Qui veut publier le meilleur écrivain ? Jean Rolin et la presse

En Chine, dans la vieille capitale du sud, je ne cesse pas de lire des auteurs de langue française. J’ai l’impression de mieux lire la littérature française quand je suis loin de France. Il me faut peut-être de la distance pour aimer.

Il y en a d’autres qui ont besoin de distance. La presse française, par exemple, met une grande distance entre elle et les grandes plumes qui pourraient faire d’elle une presse de qualité.

Il est un écrivain qui se trouve être à la fois le meilleur des écrivains vivants de langue française, et un grand reporter qui a participé à de nombreux journaux et magazines. Les reportages qu’il a écrits, à la limite du récit de voyage, du projet loufoque et de la fiction, peuvent être lus dans des livres d’une beauté et d’une drôlerie à tomber par terre. Ligne de front, dont le périple se situe en Afrique, a reçu le prix Albert Londres. L’Organisation a reçu le Médicis. Les prix littéraires ne prouvent pas son talent, mais indiquent qu’il n’est pas un obscur histrion, qu’il est bien un écrivain reconnu par le monde de l’édition et celui du journalisme.

Cet homme, c’est Jean Rolin, à ne surtout pas confondre avec son frère, Olivier, ni avec la poignée d’homonymes belges et français qui parsèment les rayons des librairies. Il a écrit sur l’Afrique, sur les chrétiens de Palestine (Chrétiens), sur les guerres des Balkans (Campagnes), sur les canaux et rivières de France (Chemins d’eau), sur les ports (Terminal frigo) et surtout sur les banlieues des grandes villes (Zones, La frontière belge, La Clôture).

La Clôture, en particulier, est un livre incroyable, inénarrable, qui fait se rencontrer l’Histoire de France et un boulevard périphérique de Paris, un chef d’œuvre d’humour, d’intelligence et de sensibilité. On y croise des prostituées, des immigrés, des travailleurs socioculturels, des hommes qui vivent, non pas sous les ponts, mais dans des ponts. Et sur des terrains vagues. Cet écrivain m’est si cher que lorsque je me trouve dans un lieu désagréable, où les gens me paraissent grossiers et pénibles, il me suffit d’imaginer comment il traiterait un tel lieu, comment il parlerait de ces gens, s’il avait à écrire un reportage dessus, pour déceler de la poésie sous la crasse, de la drôlerie et de l’intérêt sous l’apparente noirceur des mœurs.

Jean Rolin est venu en Chine, il n’y a pas si longtemps, il a visité un certain nombre de sites sur les côtes. Il a dans ses carnets toutes les notes nécessaires pour écrire un reportage, et personne n’en veut. Je m’interroge sur le niveau d’une presse qui se passe des services des meilleurs reporters.

Il y a quelques mois, au sortir d’un restaurant coréen avec Sigismond, j’ai décidé de lui écrire une lettre. Une lettre de lecteur, histoire de lui témoigner de mon admiration et de l’inviter à boire un coup à Nankin s’il devait passer par là. Il me répondit avec beaucoup de gentillesse et d’humour, d’une belle écriture manuscrite, à l’encre noire. C’est là qu’il m’informa que personne ne voulait de son reportage.

Par ailleurs, il me confia qu’il était intéressé par une île, dans l’estuaire du Yangtsé Kiang, refuge d’un nombre important d’oiseaux. Or il parle aussi bien des animaux que des hommes. Et nous allons être privés d’un deuxième texte de Jean Rolin concernant la région de Nankin ? Uniquement parce que la presse française préfère donner la parole à B.H.L. plutôt qu’à de vrais écrivains ?

Si vous ne trouvez pas ça triste, vous, alors qu’est-ce qui vous rend triste ?

4 commentaires sur “Qui veut publier le meilleur écrivain ? Jean Rolin et la presse

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s