La littérature voyageuse de Michel Le Bris

 

Michel le Bris est un personnage étonnant. Je ne connais que deux choses de lui. Sa façon d’écrire et son activité socio-culturelle dans le domaine de la littérature.

Il a écrit des livres, des articles, des préfaces, etc. C’est souvent très mauvais. Dans son grand livre fondateur, L’homme aux semelles de vent, publié vers 1975, il développe des idées anti-progrès, anti-technologie, anti-touristes, d’un ridicule achevé. Mais il réussit à faire passer des choses assez fortes sur la Bretagne, sur une image ancienne, nostalgique et difficile de la Bretagne. Bon.

Il a publié, en 1992, Pour une littérature voyageuse. Un manifeste qui devrait me plaire, puisqu’il promeut la littérature du voyage. Sauf que le manifeste en question est un tissu d’âneries, si bien que plutôt que de rendre service, il dessert la cause du récit de voyage. A le lire, on a plus envie de se désolidariser de ce type de littérature que de signer le manifeste. 

Pour résumer, il dénonce la littérature française, à laquelle il trouve trois fléaux : l’idéologie, le moi, et le formalisme. Pour la revivifier, il faut une « littérature voyageuse » sans idéologie, sans moi et sans forme.

Comme il sent bien que tout cela ne va nulle part, il invente des notions sans consistance mais qui fonctionnent comme une langue de bois que l’on peut faire tourner dans le vide ; il parle de « grand dehors » par opposition aux « petits moi » des écrivains sédentaires. Il appelle de ses voeux des choses comme une « écriture-monde », une « écriture du réel ».

De même qu’une candidate à une élection récente assommait l’intelligence des Français en leur lançant des slogans du type : « La France présidente », de même, Le Bris cherche à les endormir avec des bricolages marketing, comme « désir de liberté », « désir de monde ». Cela vous a des airs de « Désir d’avenir », de « Bouge la France », ou de n’importe quelle trouvaille d’un communiquant quelconque. Courant littéraire, émission de télévision, parti politique, tous usent du même ramage, aujourd’hui.

Le Bris n’est pas un solitaire. Il aime regrouper les gens, et franchement, pourquoi pas ? Cela me paraît plutôt sympathique, comme personnalité. Il a alors appelé à la rescousse une grosse dizaine d’écrivains pour participer à ce livre manifeste. Ils se sont dit « pourquoi pas ? » Le Bris écrit que ce qui les unit, c’est « la conviction que toute littérature vivante se doit d’être peu ou prou voyageuse, aventureuse, ouverte sur le monde. »

A-t-on déjà vu une littérature fermée sur le monde ? Si oui, alors la définition que l’on se fait du mot « monde » doit être singulièrement ténue. Bref, tout cela, c’est bel et bien n’importe quoi, ce serait à jeter aux cabinets, sauf qu’on ne le peut pas.

Car à côté de l’écriture, il y a la société, chers amis, vous l’aviez oubliée. Et Michel Le Bris est un as de la société. Il sait regrouper les gens, il sait diriger, il sait créer des structures et il sait comment en faire parler. C’est ainsi que son festival « Etonnants voyageurs » s’est imposé comme un des plus vivant de France. Je n’y suis jamais allé, mais je veux bien croire que ce soit formidable.

Vous connaissez l’âme humaine aussi bien que moi, certainement mieux que moi, vous savez ce qui suit : personne ne peut se permettre de dire à Michel Le Bris que ce qu’il écrit est atroce, qu’il raconte des billevesées. C’est la tragédie des chefs de clan, des patronnes de salons ; ils sont tellement utiles qu’on n’ose rien leur dire. Imaginez qu’il soit fâché contre vous, ce serait déplorable : avec son entregent, sa générosité, son pouvoir médiatique, il pourrait vous aider très facilement à sortir d’une mauvaise passe. Et vous vous l’alièneriez pour si peu ? Au fond, qu’est-ce que cela vous fait, qu’il publie ses textes ici et là, quel mal cela fait-il ?

Et puis il y a la force aveugle des médias. Des expressions comme « désir de monde », « littérature voyageuse », ça parle aux médias, c’est même calibré pour eux. Aucune pensée derrière ces mots, aucune définition, rien qui retienne ou qui freine l’intense souffle de la parole médiatique qui s’auto-produit et s’auto-évalue selon les effets produits, jamais selon la pertinence interne des discours.

Il a récidivé en 2007 avec un autre manifeste : Pour une littérature-monde, en collaboration avec Jean Rouaud, et tout un tas d’auteurs des anciennes colonies. Non seulement, il y fait jouer aux anciens colonisés un rôle limite (les Noirs nous apportent la vie, ils viennent de leurs pays sauvages et nous réveillent, nous qui nous endormons dans notre civilisation décadente), mais en plus il traite de « nains » tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Il développe un anti-intellectualisme nauséabond et rejette sans autre forme de procès les décennies de théories qui sont encore aujourd’hui enseignées dans les universités du monde entier. 

Et moi, qui cherche à étudier la littérature du voyage, je suis dans l’obligation de m’appuyer ce type de prose. La prose du vide, de la formule qui fait mouche ou pas, la prose du ressentiment. Une prose qui galvaude terriblement le mot « voyage » et le mot « littérature ».   

31 commentaires sur “La littérature voyageuse de Michel Le Bris

  1. Oui, tout à fait. D’ailleurs, sur la vidéo, on l’entend dire qu’il a grandi près de la mer, qu’il a entendu le grondement de la mer toute sa vie, et qu’il écrit des livres pour retrouver ou pour comprendre le mystère de ce grondement.
    Je l’ai entendu dire la même chose à Dublin dans les années 2000, puis à la radio deux ou trois fois, puis je l’ai lu dans des livres… Cet homme radote à un point qu’il est difficile d’imaginer.

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  2. Le sage précaire s’abstient de s’engager dans les affaires; il peut se retirer dans son privé, et il écrit de la littérature, bonne ou mauvaise. Son espoir est d’être lu et considéré grâce à ses textes, et peut-être que son nom dure plus que lui parce qu’on continuera de le lire. L’homme d’affaires s’engage et s’agite, et renonce à la tranquillité; s’il le faut, il écrit des textes utiles à ses affaires; ça n’a rien à voir avec la littérature, ça ne vaut que par l’utilité au moment où c’est publié. Michel Le Bris fait de la publicité. Ce qui crée la confusion, c’est que les produits de l’industrie où il travaille, ce sont des textes dans des livres. On pourrait aussi bien reprocher violemment à ceux qui écrivent pour Dior ou Givenchy de faire de la mauvaise poésie, mais on ne le fait pas, parce que les produits sont dans des petites bouteilles et qu’on ne confond pas.

    Je n’ai jamais lu Michel Le Bris. Mais j’ai lu le « voyage aux îles françaises d’Amérique » du père Labat, réédité par Michel Le Bris. En faisant ça, il rend service à la littérature du voyage. Peu importe ce qu’il écrit à côté.

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  3. C’est bien vrai, Ebolavir, même s’il faut rester prudent. Le service qu’il rend à la littérature du voyage est évident, mais en procédant à beaucoup de rééditions, il est intéressant de noter qu’il ne cherche pas à découvrir de nouvelles formes d’écriture du voyage. Je ne parle pas de moi, car mes expériences littéraires et voyageuses ne méritent pas plus de publications que le beurre ne pousse sur les branches.
    Mais vous remarquerez que l’image du voyage qu’il véhicule est nostalgique, dans ses écrits comme dans son travail éditorial.
    Les chercheurs anglo-saxons vont même jusqu’à se demander si cette nostalgie n’englobe pas aussi la période impérialiste, le voyageur supérieur, aristocratique, mâle et aisé.
    J’aurais tendance à penser qu’il rend service au genre « récit de voyage » autant qu’il l’encombre et l’empêche.

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  4. Il y a peut-être quelque chose d’essentiellement « nostalgique » dans le « récit de voyage ». On ne peut pas vraiment soupçonner Levi_Strauss de « néo-colonialisme » mais on trouve aussi dans « tristes tropiques » cette nostalgie d’une époque où les villages de brousse étaient encore vierges de la tôle ondulée caractéeristique qui leur donne systématiquement un air de bidonville, du béton, du plastique, des carcasses de bagnoles ruillées. « Aujourd’hui où les iles polynésiennes sont noyées sous le béton, où l’Asie entière prend le visage d’une zône maladive, où les bidonvilles rongent l’Afrique, … comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique? … (Les récits de voyages ) apportent l’illusion de ce qui n’existe plus et qui devrait être encore pour que nous échappions à l’accablante évidence que vingt mille ans d’hidstoire se sont jouésIl n’y a plus rien à faire : la civilisation n’est plus cette fleur fragile …  »
    A partir du moment où on cherche à rencontrer par l’exil une « altérité » radicale, littérature de voyage ou ethnologie font la même expérience de la nostalgie de ce qui n’est plus. Moi, ce purisme, cette mystique de l’altérité, ça m’emmerde, j’aime bien la tôle ondulée, je trouve que les cases couvertes en bananier sont moins esthétiques qu’un bon vieux bidon de gas-oil pour recueillir les eaux de pluie qui coulent d’un toit en tôle. Mais je pense que l’opposition entre purisme ethnologique à la lévi-strauss/apologie du « métissage » culturel avec ses inévitables dégats est mal formulée. Qu’en pense le thésard ?

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  5. Le thésard pense que tu mets le doigt sur quelque chose de très vrai, mais peut-être sans le savoir toi-même. La nostalgie est un élément essentiel du récit de voyage, mais cela va plus loin que la nostalgie pour un monde pur : il s’agit aussi de la nostalgie pour un système de signes qui aient un lien sacré et « naturel » avec les choses qu’ils désignent. Une espèce de nostalgie sémiologique précède et préside toutes les nostalgies conscientes de Paradis terrestres, de cocotiers tentateurs, de tahiti-douche sous le soleil des tropiques.
    Le professeur David Scott a fait tout un beau livre sur ce sujet : Semiologies of Travel: from Gauthier to Baudrillard (Cambridge University Press, 2004). Son introduction, « Nostalgie du symbole », est un modèle du genre et les citations qu’il met en exergue disent déjà beaucoup:
    Lévi-Strauss : « Avec l’Amérique latine, je chéris le reflet, fugitif même là-bas, d’une ère où l’espèce était à la mesure de son univers et où persistait un rapport adéquat entre l’exercice de la liberté et ses signes. »
    Baudrillard : « Encore aujourd’hui, la nostalgie d’une référence naturelle du signe est vivace. »
    Tu vois que la citation que tu donnes, issue de Tristes Tropiques, « La fin des voyages », n’est ni pour ni contre le métissage, car Lévi-Strauss sait bien qu’il n’y a pas de pureté dans l’humanité.
    Plus encore, il montre que la nostalgie est présente chez les peuples primitifs eux-mêmes. Voir le chapitre « Une société indigène et son style » à la fin de la partie sur les Caduveo, toujours dans Tristes Tropiques. Il examine les peintures corporelles et faciales des femmes caduveo, et l’intense attraction érotique qu’elle provoque chez les Indiens de toute la région. En plus d’être sensuels, ces dessins sont aussi symboliques d’un ordre des choses fantasmé où les contradictions de leur société seraient résolues :
    « Adorable civilisation, de qui les reines cernent le songe avec leur fard : hiéroglyphes décrivant un inaccessible âge d’or qu’à défaut de code elles célèbrent dans leur parure, et dont elles dévoilent les mystères en même temps que leur nudité. »
    Moi, ça me laisse rêveur, presque nostalgique.

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  6. Je trouve ce débat passionant, enrichissant, admirable.Je n’ai rien a ajouter a part peut etre que je reve d’aller au festival des voyageurs qu’organise et crée Michel Le Bris dont je ne connais rien a part quelque photos et préfaces de livres de voyages que j’aimais bien.Un auteur que je me réserve de découvrir a l’avenir donc.Non, moi, aujourd’hui, réveur et nostalgique de mes virées aventuro-kangooesques dans ma chere bonne région parisienne en ce triste dimanche de toussaint , vla ti pas que je me décide à faire quelques miles de plus (je dis « miles » au lieu de kilométres, car échaudé par la brillante campagne américaine qui bat son plein actuellement je me sens country man en ce moment, yeah man, yes we can !) et d’emmener quelques uns de mes proches vers l’une de mes virées nostalgico sémiologiques préférées, un vrai rite de chez rite (qui aurait plu a Levi Strauss si il n’était pas parti si loin et à Baudrillard si il était moins mondanito séducteur parigot)et que connaissent les vrais gens de la région : la mare au canard !
    Qu’est ce a dire ? « La mare au canard » est la sortie dominicale préférée de nombreuses tribus meldoises (de meaux), latignacienne (de lagny) et briarde (de la brie) en générale quand on ose faire donc, quelques miles de plus pour se retrouver en pleine province a trente minute de Paris dans un cadre idyllique ou ne régne que luxe, calme et volupté loin des vociférations imbéciles, braillardes et hystériques des sorties du dimanche à Dysney (oh my god quel hooror surtout en plein halloween plus jamais çà). La mare au canard consiste a se balader le long d’une mare ou vivent les vrais donalds. La principale activitée des tribus est de s’amener par groupe de quatre ou cinq, de marcher le long de la mare en balançant des bouts de pain énorme avec un plaisir jouissif et non dissimulé a ces aimables pieds palmés en parlant le dialecte « vie active » ou  » vie affective » (ou les deux) avec des variations dialectales sur « projet » , « impot-fait -chier », « merde j’ai marché dans une bouze » , « oh regarde le cygne la bas comme il est beau » etc…La mare au canard est l’une des activités préférée de votre serviteur depuis au moins vingt cinq ans. Avec un changement cette fois , c’est que j’ai découvert une mare de la Brie (sur Coulommier) aujourd’hui et que c’était super ! Et Tout çà pour dire aussi que malgrés tout Michel Le Bris c’est bien, mais que la Brie c’est aussi trés bien ! (le brie aussi c’est trés bon..bon ok, j’arréte, yes i can !)

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  7. L’ethnologue se consacre à la « collecte d’un mythe inédit, d’une règle de mariage nouvelle, … à découvrir des faits restés inconnus » … Levi Strauss sait bien qu’aucune culture n’est jamais « pure », sa nostalgie ne concerne pas la disparition de cette pureté, mais celle d’une époque où il était encore possible de rencontrer un rituel complètement incompréhensible (et complétement con, mais ça, c’est moi qui rajoute ) qui nous révélerait un « impensé » de notre propre culture. Ce sont seulement les touristes qui cherchent l’expression d’un stéréotype culturel pur. Par exemple, moi, j’ai été faire un tour dans la brousse, et il a fallu payer (cher) des villageois pour qu’ils executent des danses traditionnelles qu’ils ne font plus jamais spontanément, il faut vraiment des cons de blancs pour les y obliger. Et encore, du point de vue du touriste, c’était nul : les jeunes et jolies villageoises ne dansaient pas, il n’y avait que les vieilles, c’était en plein jour alors qu’il aurait fallu faire ça de nuit, autour d’un feu, avec du tam-tam, des masques qui font peur… pour que ça corresponde vraiment au stéréotype : que veut le touriste ? Du stéréotype. L’altérité authentique, la signification ethnologique de la danse, le touriste s’en tamponne. Il veut avoir peur, avoir un sentiment, même artificiel. Que veut l’ethnologue ? De la vraie altérité. Ils veulent le contraire mais ils ont la même nostalgie.
    Bref, qu’est-ce que c’est que cette histoire de nostalgie sémiologique d’un rapport naturel des signes aux choses ? Pourquoi pas la nostalgie d’une époque où il était possible de « donner un sens à sa vie », tant qu’on y est ?

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  8. Ah tu as fait ça, mon bon Ben ? J’espère que tu en feras le récit sur « Equateur noir ». Ce que veut l’ethnologue, on s’en fout finalement, ce qui est vraiment intéressant à étudier, c’est le touriste. C’est lui qui a le plus d’influence aujourd’hui, et c’est lui qui compte vraiment. Du reste, Ben, tu les sous-estime à dessein, par modestie, mais tu ne devrais pas. C’est le cliché le plus collant, cette image négative et animalière du touriste. Regarde-toi, voilà le touriste, lisant et discutant sur le postcolonialisme tout en vivant en Afrique.
    L’opposition entre ethnologues et écrivains voyageurs est déjà presque évanouie ; celle entre l’ethnologue et le touriste va bientôt battre de l’aile.

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  9. Moi aussi, j’adore les touristes et les stéréotypes. L’étude du touriste est elle-même une sorte d’ethnologie. Je m’examine sans relâche, je suis l’ethnologue de mon âme de touriste, ou le touriste de moi-même.
    Justement, j’aurai le plus grand mal à raconter ce spectacle, parce que ça m’a laissé un peu froid. N’importe quelle randonnée en taxi dans Libreville remue plus mon petit coeur tendre qu’un spectacle de danses traditionnelles pour touristes.

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  10. 1- Les touristes ne doivent plus être liés à l’idée de stéréotype.
    2- Le sentiment de froideur que tu as ressenti intéresse le lecteur davantage qu’une relation faussement enthousiaste.
    3- Je ne sais plus ce que je voulais dire en 3.

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  11. C’est pas grave, Guillaume, fi de l’eternel plan en 3 parties, oui la barbe aussi cette ritournelle incessante du 1 (thése) , 2 (antithése) , 3 (synthése) typiquement français et qui empéche de penser rééllement et qu’on impose a tous les éléves de France et de Navarre, Assez avec cette dictature du plan en trois parties !!!! oui assez ! . Sinon je confirme pour le point 2 et sur l’interet du lecteur a propos du sentiment de froideur, j’ai eu les mémes sentiments lorsque je suis allé en scandinvie il y’a quelques années : bon ok mis a part le froid passé le cap nord c’est pas ca le probléme. J’avais visité un authentique village lapon avec danse traditionnel et tout le tralalala, ca m’avait laissé de marbre. Mais par contre, les virées improvisées en minibus et les campings sauvages le long des fjords ca m’avait plus qu’emballé, surexcité. Je précise que malgrés tout il s’agissait d’un vrai voyage organisé pour touristes, preuve que la frontiére entre touriste et aventurier, ou néo ethnologue plutot est en train de battre de l’aile…sinon je continue a penser que les débats Guillaume / Ben (qui devrait mettre son blog en lien sur ses posts) , passionnants, peuvent rentrer désormais dans l’histoire de la philosophie moderne, le « tchatte » philosophique a de beaux jours devant lui.

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  12. Je me souviens être allé dans un grand hôtel de luxe pour touristes à Cuba, en tant qu’auteur de guide. Il y a peu d’endroits où le monde touristique est aussi pur, un vrai cas d’école pour les ethnologues du tourisme, car les Cubains y sont à peu près interdits d’accès, hormis sous forme de chauffeurs, de femmes de ménage, de barmen et de musiciens folkloriques en costumes traditionnels. J’ai rarement senti une atmosphère aussi sinistre et humiliante : les musiciens traditionnels obligés de se singer sur leur estrade, les touristes obligés de se singer avec leurs cocktails autour de la piscine, jusqu’à moi-même, obligé de me singer dans la position de l’intellectuel critique à qui on ne la fait pas.

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  13. Au passage, je me demande ce que pense les cubains de la victoire d’Obama ; pour le coup se serait interessant d’y refaire un tour Mart pour voir leurs réactions et ce qui va advenir de l’axe usa_cuba plus que tendu depuis trente ans. En ce moment il y’a un vrai travail d’ethnolgue a faire sur ce sujet. Moi je lance l’idée.

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  14. Intéressant cette histoire cubaine. Un jour, malgré tout, il faudra que Mart m’explique comment il a pu tant travailler dans ce super business des guides touristiques et en venir à détester les récits de voyages.
    Il faudra aussi qu’il finisse son roman, car ces histoires, données au compte-goûtes, font saliver.

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  15. Il faudra un jour, Guillaume, que je prenne mon élan et que je réponde à ta question – en tous cas que j’essaye car c’est un vaste sujet.
    Disons quand même qu’en tant qu’auteur de guide on se trouve sans cesse dans une drôle de position, entre ce qu’on aimerait dire et ce que le lecteur aimerait lire. Au début, on écrit ce qu’on a envie de dire, bien sûr. Mais l’éditeur veille au grain. Un guide,ça s’achète en rêvassant dans les rayons de la fnac. Sans rêvasserie, pas de vente, et donc pas de guide ni d’auteur. Cela, l’éditeur est chargé de te le rappeler. Quand tu le comprends, c’est déjà le début de la fin, puisqu’il ne s’agit plus de décrire la réalité mais d’en composer une, où les qualités sont exacerbées et les défauts atténués. Pour préserver mon éthique intérieure au maximum, j’étais devenu le roi de la litote. Je ne disais plus « cette plage est salle », mais « cette plage mériterait d’être nettoyée ». Plus « ce lieu est saturé de touristes jusqu’à la nausée », mais « malgré une forte affluance, ce lieu … ». Plus « Cette ville sinistre », mais « Dominée par un urbanisme récent ».
    Un récit de voyage, pourquoi pas, mais alors que ce soit aussi un récit d’antivoyage. Car dès qu’on dit récit de voyage, un rêve futile s’allume. Tu n’aimes pas les intrigues car elles offrent du James bond bon marché aux ménagères de moins de 50 ans. Il me semble que les récits de voyage font la même chose. Entre les deux, un point commun : c’est à l’extérieur de fournir tout le travail. Epatez-moi. Faites moi rêver.
    J’aimerais explorer le réel, plutôt que de le repeindre. Et le rêve d’évasion inclut dans la notion de récit de voyage me semble faire obtascle.
    Mais c’est un empêchement tout personnel.
    Il me semble d’ailleurs que tu y échappes très bien.
    La question que je me pose, c’est : composes-tu des récits de voyage ?
    Il me semble que non. Quand on te lit, on a surtout l’impression que tu explores ton quotidien. Et c’est ce qui me plaît, d’ailleurs. Il se trouve simplement qu’il s’agit du quotidien d’un voyageur.
    La nuance est grande.

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  16. Je ne comprends pas ce que tu veux dire dans cette phrase : « Tu n’aimes pas les intrigues car elles offrent du James bond bon marché aux ménagères de moins de 50 ans. Il me semble que les récits de voyage font la même chose. »
    Je ne tarderai pas à écrire un billet sur la notion d’intrigue où tu serais bien aimable de t’exprimer, car c’est une des pistes de ma thèse : dans quel mesure un récit de voyage fait aussi une intrigue, et comment qualifier le narrateur du récit.
    Moi, je ne sais pas trop ce que je fais, mais les grands récits de voyage du XXe siècle ne répondent pas à un désir d’évasion, ils sont déjà des récits d’anti-voyage. Voir « Ecuador » de Michaux (1929) et son fameux « Mais où est-il donc, ce voyage ? » Et lorsqu’il navigue sur le fleuve Amazone, il écrit un chapitre intitulé: « L’AMAZONE N’ETAIT PAS D’UNE TAILLE A SE LAISSER VOIR AVANT LE XXe SIECLE » , dans lequel il note des choses comme : « Mais où est donc l’Amazone ? » ou : « Il faut monter. Il faut l’avion. Je n’ai pas vu l’Amazone. Je n’en parlerai donc pas. »

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  17. Je me demandai l’autre jour pourquoi je m’étais permis de parler ainsi de mon rite perso (que d’aucuns peuvrent trouver archi con mais ca je m’en contrefous) aussi intime en plus sur les pages de ce blog aux yeux de tous et devant de si brillants commentaires, c’est vrai ca peut paraitre déplacé. En plus, en relisant les posts de ce billet,je me suis rendu compte que c’est la premiére fois que j’invective pour la premiére fois le sage précaire par son prénom…etonnant non ? et bien je vais faire mon psy a deux balles, on va se foutre de ma gueule mais c’est pas grave , j’ai l’habitude. Parce que la , sans m’en rendre compte l’inconscient a joué un max, c’est sur. Le fait d’etre passé a Coulommiers , de m’y etre promené , d’en avoir savouré quelques merveilleuses facettes architecturales qui font toutes les beautés de la région briarde (la seine et marne m’a parue fade a coté) avait réellement éveillé quelque chose en moi, le souvenir d’une référence, mais je n’arrivai pas a savoir laquelle. En fait j’en avais déja entendu parler de Coulommiers, mais en d’autres circonstances.Outre le fait que c’est la « premiére ville numérique » (?!) -c’est ce qu’il dise sur les ronds points en fleur qui borde la mairie en tout cas-moi qui suis branché ordi ca m’avait plutot branché sure le coup… Il se trouve que c’est aussi la ville où a enseigné pendant plus de vingt ans je crois (la philo ou les lettres ou les deux je ne sais plus) un écrivain que le sage précaire connait bien puisqu’ il s’agit… d’André Dhotel, l’auteur de ce bel ouvrage « le pays ou l’on arrive jamais » entre autre…un livre qu’il m’a fait découvrir peut etre malgré lui (je me souviens qu’il tronait quelque part dans sa bibliothéque chinoise, et comme j’ai toujours apprécié ce qu’on appelle « la littérature jeunesse » ou de collégien…ça m’avait marqué.). Sans vouloir etre trop lourd avec ca, Dhotel me fait penser a Queneau sur certain point mais je n’en dirais pas plus pour l’instant car j’ai mon idée sur la question mais si, un truc, je n’ai toujours pas lu Michel Le Bris !!! (oh misére…je n’ai d’ailleurs même pas pensé a en chercher c’est pour dire…) , ca va je m’en porte pas plus mal.

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  18. Je voulais dire : « … AVEC les bibliothécaires. »
    Sinon, un ami me prévient qu’il va être question de Le Bris et de sa « littérature-monde » en Floride cet hiver. J’en donne le programme pour ceux qui traineraient vers la Floride cet hiver :

    « Littérature-monde: New Wave or New Hype? »

    International conference

    Winthrop-King Institute for Contemporary French and Francophone Studies
    Florida State University

    February 12-14, 2009

    Featured writers:
    Azouz Begag, Michel Le Bris, Alain Mabanckou,
    Anna Moï, Jean Rouaud, Abdourahman Waberi
    Speakers include:
    Mary Ann Caws (City University of New York), Charles Forsdick
    (Liverpool University, UK), Lydie Moudileno (University of Pennsylvania),
    David Murphy (University of Stirling, UK), Jean-Marc Moura
    (Université de Lille-III), Dominic Thomas (UCLA)

    The manifesto published in 2007 in favor of a “Littérature-monde en français” raises new and challenging questions about current trends in writing in French. Is the separation between “French” and “Francophone” literatures now outmoded? Does “littérature-monde” run with or against the grain of postcolonialism? Is the Anglophone concept of “world literature” a model or a rival for “littérature-monde”? Does “littérature-monde” offer a genuinely new vision or may it be seen as repackaging old wine in new bottles? Is it descriptive, normative or utopian? These are among the central questions to be addressed at this international conference. Signatories of the “littérature-monde” manifesto are among leading writers and scholars of literatures of French expression participating in the program.

    The conference is open to the public free of charge.

    To view the program, visit the conference web-site:

    http://www.fsu.edu/~icffs/litteraturemonde_call_paper.html

    For further information, contact:

    Alec G Hargreaves
    Director, Winthrop-King Institute for Contemporary French and Francophone Studies
    Ada Belle Winthrop-King Professor of French
    Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur
    402 Diffenbaugh
    Department of Modern Languages and Linguistics
    Florida State University
    Tallahassee
    Florida 32306-1540
    USA

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  19. Et bien je ne sais pas si je « trainerai » en Floride cet hiver (vu ce que je gagne , je suis plutot abonné aux sorties sur Coulommiers, a sa mare et ses canards… à moins de gagner au loto bien sur ou de quémander a droite a gauche ce que je me refuse et puis je ne suis plus trop voyages en ce moment.), ce programme a l’air fort passionant et riche néanmoins merci beaucoup ! Mais moi, je me souviens trés trés bien !!! c’était au moment ou les nouveaux profs (dont moi ) arrivaient, on allait dans les apparts des uns et des autres histoire de sympathiser et nous avions (nous : il y avait Mimic, Yfang, Patrice, Mélanie…etc) et on avait eu l’occasion de voir ce livre tronant a coté d’un pleiade de Michaux. J’ignore si c »était a la médiathéque ou non, le fait est que ce livre m’a impressionné et est par la même occasion irrémédiablement attaché a la figure du sage précaire. Aprés on avait fait une visite dans un parc avec pleins de supers chinoises et tu nous avais expliqué tout un truc sur le Ginko, l’arbre chinois et aprés on avait fait une partie de foot dans un stade géantissime de Nankin ; j’avais fait la bétise de sortir mon mémoire fle de mon sac et tout le monde s’était gentiment foutu de ma gueule, parce qu’un mémoire fle évidemment c’est surtout beaucoup de photocopie, pas mal d’exercices et pleins de trucs un peu gnan gnan (au premier abord) et que j’en parlai comme un super bouquin . Le même jour un chinois m’avait troqué mon jean sans rien me dire (que j’avais laissé au bord du stade) contre un tee-shirt Umbro (pas mal d’ailleurs , je l’ai toujours !), bref , une journée mémorable ! Une année mémorable aussi.

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  20. Les récits d’anti-voyage dont on parlait dans les commentaires du 09 novembre 2008, sont même le propre des récits de voyage « modernistes », des trente premières années du XXe siècle. J’ai cité Ecudaor de Michaux, mais il faut aussi lire Le Voyage au Congo de Gide, qui est un bon exemple de désenchantement volontairement exprmé. L’honnêteté protestante de Gide l’a conduit à dénoncer le colonialisme de la France, ce qui a fait scandale jusqu’au Parlement.
    Il faut aussi évoquer Michel Leiris. Son « Afrique fantôme » des années 1930 est un pur récit d’anti-voyage, ou un « contre-récit de voyage ».

    Bref, si on ne sait pas bien tout cela, c’est parce que c’est un genre trop peu étudié, et sur lequel on véhicule trop de clichés.

    Et le travail de Michel Le Bris sur ce point va dans le sens de ces clichés qui empêchent de vraiment connaître cette littérature. Il parle de « grands espaces », d’aventures, de liberté, et ce faisant il nie ce qui s’est fait de contestataire et de révolutionnaire dans le genre depuis un siècle.
    Le Bris, c’est le retour au XIXe siècle, et, pour citer le critique suisse Reichler, « la reprise d’un romantisme mal compris ».

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  21. Je repense à cette histoire de « nostalgie ». Tu parlais d’une nostalgie du « symbole », ce type de signes qui a un rapport « sacré ou naturel » avec la chose à laquelle il renvoie :

    « Il s’agit aussi de la nostalgie pour un système de signes qui aient un lien sacré et “naturel” avec les choses qu’ils désignent. Une espèce de nostalgie sémiologique précède et préside toutes les nostalgies conscientes de Paradis terrestres, de cocotiers tentateurs, de tahiti-douche sous le soleil des tropiques.
    Le professeur David Scott a fait tout un beau livre sur ce sujet : Semiologies of Travel: from Gauthier to Baudrillard (Cambridge University Press, 2004). Son introduction, “Nostalgie du symbole”, est un modèle du genre et les citations qu’il met en exergue disent déjà beaucoup:
    Lévi-Strauss : “Avec l’Amérique latine, je chéris le reflet, fugitif même là-bas, d’une ère où l’espèce était à la mesure de son univers et où persistait un rapport adéquat entre l’exercice de la liberté et ses signes.”
    Baudrillard : “Encore aujourd’hui, la nostalgie d’une référence naturelle du signe est vivace.”

    Je ne comprends toujours pas vraiment ce que pourrait être « un rapport adéquat entre l’exercice de la liberté et ses signes », et encore moins, si c’est possible, quel lien ça pourrait avoir avec cette nostalgie qui paraît effectivement constitutive du récit de voyage. C’est vrai qu’on raconte toujours ce qui est déja fini, et en ce sens on peut comprendre que toute écriture soit en un sens nostalgique. Mais de là à voir dans le voyage la recherche d’une adéquation du signe au sens, franchement ça me paraît tiré par les couilles.

    Mais je pensais à la notion de fétiche, cette sorte de symbole africanisé, dont j’ai essayé de parler à propos de la sorcellerie. Le fétiche est évidemment sacré mais pas vraiment naturel. Il dénote une réalité (le pouvoir sur autrui) par un acte (un sacrifice rituel) ou une chose (un panier rempli d’os d’ancêtres) qui paraît « naturelle », c’est à dire, si je comprends bien, qui parait réaliser le signifié (par exemple, tu manges les organes d’un enfant sacrifié, apparemment pour t’approprier sa puissance) ; mais ce n’est qu’une sorte de représentation du signifié (en fait, tu manges pour nourrir ton « evu » qui te permettra de t’approprier l’esprit de quelqu’un et de le « zombifier », ce qu’on appelle « cannibalisme mystique »).

    Le fétiche détourne donc le désir signifié (désir de puissance) vers un objet ou une pratique qui représente la réalisation de ce désir et, en un sens, le « pervertit »: comme ces hommes qui fétichisent les dentelles de la lingerie féminine, représentant une possession réelle (fétichisme freudien) ; comme l’argent représente la réalisation du pouvoir (fétichisme au sens de Marx) ou enfin comme tuer un petit enfant « représente » le « cannibalisme mystique », fétichisme sorcellaire.

    Ce type de détournement implique avec la « perversion » une sorte de « nostalgie » de l’objet originaire du désir puisque ce dernier est à la fois rendu possible par le fétiche comme moyen et en même temps inaccessible par le fétiche comme écran sur lequel s’arrête le désir. Cette histoire de fétiche, ça a un lien avec le mal (perversion qui s’empêche de réaliser le bien en condensant le désir sur un substitut) et peut-être le voyage, compris comme un substitut d’une autre vie possible. On pourrait, en ce sens, dire « fétichiser » le voyage ? et d’une nostalgie du lien naturel entre le signe et le signifié?

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