Infamie de la charité

Je suis entré dans une église presbytérienne, et très vite j’ai eu une révélation. 

J’ai été surpris d’entendre une voix de femme prêcher. Encore plus surpris de voir les diapositives qu’elle montrait aux fidèles. Ce service ressemblait plus à un congrès de missionnaires qu’à une messe dominicale. Elle parlait de son projet de développement au Malawi. L’église était pleine de gens richement vêtus, qui allaient faire faire preuve de générosité encore une fois, pour aider ces pauvres Africains.

Je ressentais une gêne, mais une gêne difficile à définir. Ces gens n’ont pas à être critiqués, ils aident leur prochain en donnant de l’argent. Ils sont charitables, ils font la charité. C’est ça, c’est la charité qui me parut épouvantable. L’impression que j’avais, très forte et inexpliquée, était que ces gens allaient donner, un peu pour aider l’autre, et beaucoup pour leur propre confort. Pour se gratifier eux-mêmes d’abord, mais cela n’est pas un mal ; mieux vaut vivre avec des gens qui ont une meilleure image d’eux-mêmes quand ils donnent que quand ils pillent, trucident et humilient. Mais il y a pire : il s’agit pour eux de défendre leur confort matériel, c’est l’impression que j’avais.

En y réfléchissant un peu, au bord de la mer, il m’a semblé que la charité elle-même était un système inventé par les riches ayant pour unique but de sauvegarder la situation d’iniquité qui leur permettait d’être riche.

Souvent, les privilégiés, les aisés, n’aiment pas faire face aux réalités violentes de la vie. La vie humaine n’étant pas douce ni confortable, quand on vit dans la douceur et le confort, c’est qu’on profite d’un état des choses particulier : d’autres sont écrasés, en guerre, exploités, pour que nous puissions vivre tranquillement. Si nous sommes en paix, en Europe, c’est parce que nous ponctionnons sans cesse les autres continents. Le situation de l’Afrique est évidemment dans notre intérêt.

C’est pourquoi voir des Occidentaux se donner une bonne conscience en donnant un peu d’argent à des organisations humanitaires est un spectacle douloureux, pour le sage précaire.

Il voudrait se changer en cynique grec, entrer tout nu dans les maisons et dire aux gens : « N’avez-vous pas honte de ce luxe, de ce calme, de ce confort ? Croyez-vous vraiment avoir aussi bon fond que vous le prétendez ? »

107 commentaires sur “Infamie de la charité

  1. Il y a un donc moralisme matérialiste qui affirmera donc que sans argent, aucun bien n’est accessible. la misère détruit tout, l’amour, la santé et le reste.

    Mais s’il y a un moralisme matérialiste, et si de plus nous sommes d’accord pour dire que le moralisme de la charité est « infâme », il doit aussi y avoir une noblesse de l’immoralisme matérialiste.

    C »est celui de Prince « Yornie » Johnson, vu par Celestin Monga (http://equateurnoir.over-blog.com/article-la-mort-de-samuel-doe-37562869.html) « La misère et l’arbitraire qui rythment la vie de tous les jours témoignent surtout du fait que l’existence est une forme d’agitation sans but … toute action s’énonce sur fond de vide et d’irréalité. L’être humain est essentiellement un corps destiné à la ruine. Le fait d’en disposer à sa guise pour assouvir temporairement quelques fantasmes de pouvoir ne change rien à l’équation fondamentale du quotidien. La violence s’impose comme une manière de donner une dimension éthique au mal »

    Dans un monde dominé par la misère, la charité est un idéalisme de puceau. L’envers de la charité, c’est l’acte par lequel l’homme viril s’approprie le mal, l’arrache à la fatalité informe et en fait une conquête personnelle, une « éthique du mal ». Quand tu croises des masses de pauvres misèreux dans leurs immondes cabanes, fais comme Foday Sankoh, ce brave père de famille du Sierra Léone cité par Monga, qui y dirigeait le Front Révolutionnaire : « ses soldats tiraient au sort des civils, hommes, femmes, enfants de tous ages, et leur coupaient les membres à la machette… » Il s’enorgueillissait ainsi plus des 4 000 manchots dont il peupla son pays que des 150 000 morts dont sa milice le dépeupla, note Monga.

    Dépeupler, c’est juste réduire la misère. Mais mutiler des corps misèreux, c’est donner une forme à la misère, sublimer la pitié infâme qui conduit à la pente charitable.

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  2. Non, moi je suis essentiellement charitable. Pour ce qui est de la cruauté, je suis un puceau intègral.

    Mais si on veut réfléchir sur la charité, il est important de réfléchir aussi à ce à quoi elle s’oppose.

    Kyrie eleison, comme disaient les Anciens.

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  3. Ben, ce commentaire sur la noblesse de l’immoralisme matériel est très beau. Tu devrais le reprendre et le mettre en billet sur ton propre blog, après le billet sur Prince Johnson.

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