Destin géographique de mon Ouïghour

Le Ouïghour de mon roman est né près de Turfan, dans le désert de Taklamakan, dans l’ouest de la Chine. Turfan est une oasis à côté de laquelle se trouve un village entièrement consacré à la culture du raisin, Putaogou, la vallée du raisin. Il est né dans les années 1980. Ainsi, mon roman n’aura pas à traiter de la révolution culturelle.

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Dans ce village, pas un Chinois Han, mais seulement des Ouïghours, avec leur architecture traditionnelle, leurs écoles, leurs mosquées. Tous les professeurs, même le professeur de mandarin, sont ouïghours. Les seuls Chinois que l’on voit sont ceux qui passent pour encaisser les loyers, les impôts, ce sont les administratifs.

Mon Ouïghour grandira là, puis il ira à la ville, d’abord Turfan, puis la capitale provinciale, Urumqi. Il n’aimera pas Urumqi, alors il ira, pour une raison que je ne connais pas encore, dans le nord de la province, les montagnes de l’Altai. Près du lac Hanasi, très loin de tout, à la frontière avec la Russie, la Montgolie et le Kazakhstan. Il voudrait faire quelque chose sur la crête qui fait frontière entre ces trois pays. Les cartes, à cet égard, sont fascinantes : un segment minuscule, presque un point, d’où partent en étoile les frontières de quatre pays si différents les uns des autres.

À cet endroit du monde, les cartes de Google Earth ne sont plus des photos satellite, mais des peintures, sans noms, sans habitations, sans rien que le blanc de la neige, le vert des pâturages, le brun de la terre et le bleu des lacs.

Là, il sympathisera d’abord avec d’autres minorités chinoises, des Kazakh, des Kirghizes, des Mongoles, et il saura entrer en relation avec les Occidentaux en visite dans la région. Touristes égarés, mais surtout biologistes, ingénieurs hydrographes, spécialistes de la faune et de la flore venus ici pour des projets de recherche, des observations de toutes sortes. Mon Ouïghour saura apprendre très vite les rudiments d’anglais, et il sera très avide de rencontres.

Il séduira une chercheuse allemande, ou américaine, ou française. Il en séduira plusieurs car, let’s face it, mon Ouïghour est extrêmement charmant. Il a les yeux noirs très perçants, de grands yeux très bien dessinés qui inspirent confiance. Au début, les étrangers lui sont un moyen de subsistance, mais assez vite, il comprend qu’en approfondissant le contact, il peut obtenir beaucoup de ces gens-là. S’ils sont vos amis, ils peuvent vous faire quitter le pays, aller dans des pays lointain, devenir quelqu’un, voyager, que sais-je. Mon Ouïghour n’a pas d’ambition sociale très nette, mais il est rêveur.

Grâce à une femme scientifique qui est tombée amoureuse de lui et qui croit en son potentiel humain et intellectuel, il obtiendra des bourses, d’abord pour aller à l’université de Pékin, puis pour aller en France. En France, il comprendra que c’est en retournant en Chine avec une identité de Français qu’il pourra avoir une vie libre et, disons, stendhalienne.

Trentenaire, il retourne en Chine en prétendant qu’il est Français quand cela l’arrange. Avec les femmes chinoises, ça l’arrange.

Il retournera dans le Xinjiang dans les années 2010, et ce ne sera pas brillant.

12 commentaires sur “Destin géographique de mon Ouïghour

  1. « mon Ouïghour est extrêmement charmant. Il a les yeux noirs très perçants, de grands yeux très bien dessinés qui inspirent confiance. »
    « Grâce à une femme scientifique qui est tombée amoureuse de lui, il obtiendra des bourses… »
    « …il pourra avoir une vie libre et, disons, stendhalienne. »

    C’est Julien Sorel, ton Ouighour, et ton roman, c’est un peu Le Rouge et le Noir version Ouloumoutchi.

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  2. Ah oui, ça me plaît infiniment cett idée d’un Ouïghour stendhalien. Je la prend, bonne idée. J’intitulerai mon roman « Le Rose et le Vert », un des titres prévus par Stendhal pour le R et le N. Le vert pour symboliser l’islam, et le rose je ne sais pas trop quoi. Il y aurait deux parties aussi, marquées par une femme différente, etc.

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  3. Pas bête. La femme scientifique correspond donc à Mme de Rênal, maternelle et bonne. Qui sera la Mathilde ? Il vous faut une riche héritère de Pékin ou de Shanghai. Une fille courtisée par les meilleurs partis (sans jeu de mots) du pays, et pour qui une passion avec un Ouïghour serait un scandale. Des idées ?

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  4. Très bonne idée. On a déjà notre Mme de Renal, bien. Mathilde, ce pourrait être une fille de la jeunesse dorée de Shanghai, blasée des étrangers qui se croient supérieurs, et ennuyées avec les nouveaux riches locaux. Je me demande quand même si cela ne sort pas complètement du domaine du vraisemblable.
    J’ai dit qu’un roman réaliste se déployait devant moi.
    Et puis, quitte à être stendhalien, alors cherchons « la vérité, l’âpre vérité ».

    (Qu’est-ce qu’on est arty-farty sur ce blog)

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  5. A »h oui, ça me plaît infiniment cett idée d’un Ouïghour stendhalien. Je la prend, bonne idée. J’intitulerai mon roman “Le Rose et le Vert”, un des titres prévus par Stendhal pour le R et le N. Le vert pour symboliser l’islam, et le rose je ne sais pas trop quoi. Il y aurait deux parties aussi, marquées par une femme différente, etc. »

    Et bien moua, je l’avoue je suis terriblement jaloux de cette idee de reecriture presque geniale ( »presque » parce que ce n’est qu’un simple projet grandiose -j’aime bien cette expression –  »simple projet grandiose » hi hi pour l’instant) du rouge et le noir. C’est assez bien vu et tres original comme idee.Il faudra quand meme travailler juste un peu le style en songeant qu’avant Joyce, Celine, Queneau,Beckett, et ‘autres ecrivains de minuit sont passes avant pour faire un truc typique vingt et unieme siecle, il ya du travail ok mais je serai editeur, l’idee me plairait.

    Un truc me chiffone quand meme : cette assimilation du Vert a l’islam dans le Rose et le Vert. C’est quelque chose que je ne comprends pas. Meme je ne suis spas d’accord, tu es l’auteur ok, mais quand meme…Personnelement je voyais un truc politique la dedans, dans le choix de la couleur. Julien Sorel comme une ssorte de neo militant ecologiste vert et le Rose pour le socialisme quand meme. Le roman parlerait de cette tension d »un etre dechire entre ces deux tensions (courant ecolo-bobo/courant socialo-gauche caviare), et finalement finirait par se rabattre vers un truc totalement different mais qui garderait a l’esprit cette volonte de  »changer la vie, changer le monde » (un julien sorel militant, c’est peut etre chiant remarque) et il se casse a la fin sur son beau cheval blanc avec Segolene Royale, c’est pas beau ca , hein , hein ?

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  6. Ah mais les lecteurs verront ce symbolisme dans le titre j’en suis certain. Puisqu’ils le verront, il devient inutile d’introduire consciemment ces deux problématique dans le roman (l’écologie et la justice sociale). De toute façon elles seront nécessairement présentes à cause de la situation elle-même : minorité, tiers-monde, islam, tourisme, pays démocratique/pays à parti unique, ascension sociale, individualisme, brouillage identitaire.

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  7. Ton blog est tres interessant et tres bien fait Ouïghour , tres agreable a lire et tres instructif, Le Sage Precaire appreciera surement…oui, Il appreciera> des eclairages de cette nature ne peuvent que nous faire avancer, tous ; (au passage, n’ai pas peur de venir plus souvent donner ton avis sur ce blog , rejoins les rangs des Commentateurs Fideles et Devoues dont je fais parti ) et Bon courage aussi>

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  8. Ca nous change en effet, ca appporte de l’air a nos considerations occidentalos -occidentales parfois un peu nombrilistes et le plus souvent fausses sur la reelle situation de ton peuple. Bon courage aussi.

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  9. Oui, Ouïghour, merci de ce lien. Je connais déjà votre blog, ainsi que d’autres consacrés au Xinjiang.
    L’université de Liverpool organise une rencontre intitulée « Xinjiang and Travel Writing », où je compte bien aller. J’ai même envoyé une proposition de conférence sur la vision de la région par les écrivains francophones.
    Je navigue donc sur ceux qui parlent des Ouïghours sur le net, et j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir pour avoir une idée nette des peuples du Xinjiang.

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