Lusigny-sur-Ouche, dans le lit de Napoléon

Pourquoi un sage précaire ne pourrait-il pas fréquenter des aristocrates ? Qu’est-ce qui l’en empêcherait ? Ses convictions politiques ? Allons donc, quelles convictions seraient inhumaines au point de mettre à l’index des braves gens qui ont le malheur d’être les descendants involontaires de fainéasses en bas de soie ?

Chez les propriétaires du château de Lusigny-sur-Ouche, d’ailleurs, on ne s’est pas contenté d’affamer la population locale et d’écraser la paysannerie bourguignonne sous des impôts injustes, si tant est qu’on l’ait jamais fait. On a aussi beaucoup oeuvré pour le rayonnement des arts. Des artistes, des écrivains et des politiques s’y rencontraient depuis la création du château, à la fin du 17ème siècle.

Ce à quoi je veux arriver, pour aller au plus rapide et au risque de passer pour un auteur sans rigueur, c’est que j’ai dormi dans le même lit que Napoléon, au vu et au su de tous. C’est une façon de parler, naturellement : Napoléon n’était pas physiquement dans le même lit que moi, et personne ne me regardait dormir, ni n’attendait mon réveil. Ou si peu. Et si l’on attendait mon réveil, c’est que j’étais en retard pour effectuer je ne sais quelle excursion.

Mais s’il est vrai que l’Empereur est bien venu dans le château, entre la campagne d’Egypte et le passage de la Bérézina, alors c’est dans la chambre où j’ai dormi qu’il a été accueilli. Après quelques recherches entreprises dans des bibliothèques de Beaune et de Dijon, un faisceau d’indices et de présomptions m’invite à avancer qu’il y a rencontré le célèbre sculpteur François Rude, bonapartiste échevelé, et que c’est sur une des tables du salon que, tous deux, ils ont décidé de ce qui allait devenir Le Départ de 1792, plus connu sous le titre de La Marseillaise, sur l’arc de triomphe de l’Etoile, à Paris.

Bien entendu, on me dira que l’Arc de triomphe ne fut inauguré qu’en 1836, bien après l’Egypte et la Bérézina. Mais que dire de cette lettre de Rude à sa nièce Cécilia de Warins, datée du 29 mars 1831 : « Ma toute petite, je serai fidèle à l’Empereur malgré que tu en aies, et le serment que je lui fis secrètement, au bord de l’Ouche, la France entière demande aveuglément que je la tienne. » ?

Cette promesse, s’il l’a bien faite à Napoléon sur les bords de l’Ouche, cela ne peut guère être ailleurs qu’au château de Luzigny. Mais surtout, elle n’a pas pu être faite après le 27 septembre 1809, pour des raisons qu’il serait trop long d’exposer.

Je ne ferai pas l’historique du château et toutes les relations artistiques qui le lient au génie français, d’autres le feront mieux que moi, mais il est ironique de noter qu’aujourd’hui, les descendants des propriétaires libéraux du premier empire, restent engagés dans les problématiques des musées et de la médiation culturelle. Ironiquement, ils le sont demeurés dans une approche plutôt critique vis-à-vis de la sanctuarisation de l’art. Hugues de Varine, l’heureux propriétaire du lieu, est même un des deux créateurs du concept d’écomusée, qui opère dans le monde entier une révolution silencieuse dans la manière de mettre en valeur les cultures et les savoir-faire, sans passer par un rapport de consommation entre le visiteur et l’exposant.

Je ne ferai pas l’histoire du château, mais il serait bon qu’on la fît, et sous cet angle si cela était possible : celui d’une réflexion sur l’art et les pratiques d’art, novatrices, subversives et pourtant réalisables. On ne sait jamais : si cela se trouve, c’est un attavisme très ancien, chez les De Varines, de rechercher des alternatives, et de promouvoir des façons de créer qui résistent aux appareils d’Etat. De Napoléon aux altermondialistes, c’est un fait que les châtelains bourguignons suivent parfois des itinéraires aussi opaques qu’aventureux.

7 commentaires sur “Lusigny-sur-Ouche, dans le lit de Napoléon

  1. Moi aussi, j’ai dormi dans la chambre de Napoléon, à Grenoble, hôtel Napoléon (qui ne s’appelait pas comme ça en 1815 mais Les Trois Dauphins). Hotel pas très bien tenu à l’époque (fini tout ça, maintenant c’est de grand standing); la clé remise par le réceptionniste de nuit ouvrait une chambre où régnait un parfum féminin fleuri. Au moment d’allumer la lumière j’ai eu l’impression que quelqu’un dormait dans le lit. Je suis redescendu; c’était une erreur de son collègue de l’après-midi, qui avait mis une dame dans la chambre réservée pour moi. Voyage pour le travail, je suis parti le lendemain matin sans l’avoir rencontrée.

    A part ça, chaque fois que je regarde la Marseillaise de Rude, j’admire le couple au premier plan, l’éraste et l’éromène; est-ce Napoléon qui en a décidé ainsi, en ce temps où la virilité s’étendait bien plus loin que maintenant ? (là, c’est Dominique Fernandez qui m’a appris à voir)

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