Malade fiévreuse, 1935. L’histoire mystérieuse d’une peinture franco-chinoise

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Réserves du Musée des Beaux-Arts de Lyon, 2009.

Pour les happy few qui peuvent aller dans les réserves du Musée des Beaux-Arts de Lyon, un tableau de 1935 leur racontera une des belles histoires de l’entre-deux-guerre franco-chinois. Que ceux qui aiment la Chine, la peinture, les belles femmes et les musées prêtent attention à ce petit billet. Les autres, ceux qui n’aiment ni la Chine, ni la peinture, ni les femmes, ni les musées, passent leur chemin et ne reviennent jamais sur ce blog.

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Mon étudiante de l’université Fudan était à Lyon ce jour-là et nous sommes allés ensemble dans les réserves du musée. 2009.

Je suis allé voir ce tableau accompagné d’une amie shanghaïenne. C’est une heureuse coïncidence que le jour même où je fus autorisé à pénétrer les profondeurs du musée, mon ancienne étudiante me rendît visite à Lyon, ville où je n’habite d’ailleurs pas. Elle posa, à ma demande, devant Malade fièvreuse, et son radieux sourire, son regard séduisant, faisaient un joli contraste avec la beauté fatale de cette Dame aux Camélias extrême orientale.

J’y fus toléré grâce à la gentillesse et l’efficacité du personnel du musée, qui m’ont ouvert les portes et les bras. Quand des membres imminents de ce dernier ont appris que s’organisait le colloque « Traits chinois, lignes francophones », en février 2010, ils m’ont parlé de ce peintre chinois qui, dans les années trente, vivait à Lyon et avait fait le portrait de sa femme malade.

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Malade fiévreuse de Chang Su Hong, Lyon, MBA, 1935.

Né à Hangzhou en 1905, diplômé d’art appliqué à l’université du Zhejiang, puis enseignant les beaux-arts au même endroit, 常书鸿 (Chang Shu Hong) est venu à Lyon en 1928 pour  étudier à l’Institut franco-chinois. Quelques années plus tard, il continua sa formation aux Beaux-Arts de Paris, et participa à de nombreuses expositions en France, dans une entre-deux-guerres beaucoup plus sinophile qu’on pourrait l’imaginer aujourd’hui. Il s’est marié avec une autre étudiante de l’Institut franco-chinois, dont il aura une fille, née à Lyon et qui fut, assez récemment la biographe de son père.

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Malade fiévreuse de Chang Su Hong, Lyon, 1935.

C’est le visage de sa femme que l’on voit sur ce tableau, enfiévré dans tous les sens du terme. L’artiste chinois, qui apprit la technique de la peinture à l’huile en France, l’utilisa pour faire briller les yeux de son épouse. Pour le voyageur candide que je suis, le rouge des joues rappelle le maquillage des chanteuses d’opéra de la région du Zhejiang, ou même de l’opéra Kun, dans le Jiangsu.

En dépit de quelques jugements un peu dépréciatifs sur ce tableau, je l’apprécie de plus en plus. Je fais d’ailleurs le pari que le Musée des Beaux-Arts de Lyon lui fera quitter la réserve pour rejoindre les cimaises des salles du XXe siècle. Qui veut parier ? Un repas chez Boccuse!

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Dossier Chang Su Hong dans les archives du Musée des Beaux-Arts de Lyon.

Dans les archives, on apprend par une lettre de l’artiste qu’il s’agit du premier tableau « chinois » à avoir été acheté par le gouvernement français pour les musées nationaux. Chang est prêt à le vendre « à n’importe quel prix », du moment que l’argent déboursé provient officiellement du denier public.

Nous voici donc au début d’une glorieuse histoire. Celle des artistes chinois en France, en Europe et dans le monde occidental. Soixante-quinze ans plus tard, un Yan Pei-Ming allait offrir à l’art occidental des funérailles nationales. Entre Malade fièvreuse (1935) et Les Funérailles de Monna Lisa (2009), les Chinois ont marqué l’art en France d’une empreinte indélébile et incontournable. Réjouissons-nous : ceci n’est que le début de notre brillante collaboration.

26 commentaires sur “Malade fiévreuse, 1935. L’histoire mystérieuse d’une peinture franco-chinoise

  1. Les jugements des responsables du musée qui justifient que ce tableau soit en réserve. Ils ne sont pas très détaillés, il ne font que dire qu’il ne s’agit pas d’une oeuvre d’importance. Bien entendu, s’ils vaient une croûte d’un peintre célèbre, ils n’hésiteraient pas à l’afficher, mais c’est naturel, il n’y a pas à critiquer cela. C’est la raison pour laquelle je pense que ce tableau va revenir sur les cimaises. Ce ne sera pas seulement à cause de sa qualité intrinsèque mais parce que l’école franco-chinoise de l’entre-deux-guerres va devenir bientôt célèbre.

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  2. Est-ce qu’on voit les influences de la peinture française et de la tradition chinoise dans ce tableau ? C’est ça qui est important.
    Sinon, il y a aussi la fille à poil sur la dernière photo à côté du dossier ouvert, elle a l’air très très musclée. je ne peux pas croire que Guillaume l’ait laissée traîner là par hasard.

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  3. Ah non, j’ai mis cette image de femme nue parce qu’elle était dans le dossier concernant ce peintre, au musée de Lyon. C’était juste pour que les lecteurs se rincent un peu l’oeil.
    C’est une façon de prendre soin de ses lecteurs.

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  4. Ben, si son bras à l’air musclé c’est à cause de la déformation du grand angle. En réalité, elle est si belle que tu pleurerais ta mère en apercevant le début de son poignet.

    Sinon, où est passé le bon Guillaume ? Perdu dans une traboule ?

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  5. Pour les lectrices, Vanessa, je ne sais pas ce que je peux faire. Tu touches du doigt une réelle lacune chez le sage précaire : il ne sait pas prendre soin d’une femme.
    Je suis d’accord avec Mart, je n’ai pas le souvenir d’avoir trouvé la fille très musclée, ce doit être l’angle de la photo.
    Pas mal François, le jeu de mot sur le culturisme. Toujours en forme.

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  6. Que Dieu me damne si je ne pleure pas ma mère. Je pleure ma mère tous les matins en me brossant les dents.

    Vanessa, je dis ça pour ton bien, prends garde. Le sage précaire est un pervers. Il met des photos de femmes à poil en ligne, et maintenant il commence à te proposer de te faire toucher du doigt ses lacunes, ça commence comme ça et on sait bien comment ça finit.

    Cet été, sur la Mecque, il a essayé de kidnapper ma petite soeur.

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  7. Mart, pour l’amour du ciel!
    C’est quoi « la Mecque », Ben ?
    Il est vrai que les soeurs de Ben, j’essaye de les kidnapper, mais c’est moi qui, au final, risque d’en être l’esclave.

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  8. ok Ben, je vais faire gaffe; mais peut-il réellement quelque chose à distance, comme ça? (c’est au spécialiste ès « Mari(e) de nuit ou Mauvais esprit » que je pose la question )
    et je n’ai pas compris pourquoi tu pleures ta mère tous les matins en te brossant les dents…
    Guillaume, tu essaie de les kidnapper toutes!? ça fait pas un peu beaucoup?
    (d’ailleurs, si l’une d’elles voulaient bien me donner la recette pour faire des esclaves: ça a l’air intéressant comme idée.)

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  9. Oui, toutes. Mais je m’y prends comme un manche, pas une seule dans mon filet.
    Je te rassure, je ne peux vraiment rien te faire à distance, et même de près, je suis parfaitement inoffensif.
    L’ennui de la mise en esclavage, c’est que cela vous aliène presque autant que la personne esclavagisée. Mais je me vois bien à la tête d’un harem plein de soeurs de Ben, mais où ce sont elles qui me commanderaient, évidemment.

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  10. Vanessa, Vanessa, Vanessa. Tentation du harem n’est que ruine de l’âme. La version moderne du harem est d’être la poulette entretenue d’un homme riche. Moi non plus ça ne me déplairait pas d’être adorée par un riche qui veut s’occuper de moi, je ne suis pas passionnée par l’indépendance ni par la liberté. Mais pour ça, il faut lui plaire, au riche, puis entretenir son attirance, son amour, son désir de nous entretenir; quel boulot, quelle fatigue, quelle vanité. Ruine de l’âme. Et que fera-t-il de nous quand nous serons devenues moins jolies?
    Si les hommes n’étaient pas ce qu’ils étaient, je dirais vive le harem. Mais s’ils n’étaient pas ce qu’ils étaient, il n’y aurait pas de harem.

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  11. Quelle horreur, si mes soeurs lisaient ça.
    Un « mari(e) de nuit », je ne sais pas ce que c’est, mais j’imagine ça comme un incube ou une succube. Le « Mauvais esprit », c’est quand le « Nsissim », l’esprit de quelqu’un, va se promener la nuit et te mange la tête pour faire de toi son esclave. Il te « Khôngise ». Il y a de terribles sorciers Fang qui utilisent un « fusil nocturne » pour faire ça, une sorte d’outil en bois qui te lance son nsissim dans les narines comme par internet. Tu perds l’appétit, le sommeil et le goût de vivre.
    Mais il ne faut pas croire que c’est drôle pour le sorcier lui-même. Il s’enferme dans le không, se dépossède de lui-même, et les esprits qu’il a cru pouvoir dominer plongent son « Gnoul », son corps, dans un bain de braises pour le transmuer en métal. Des panthères galopent dans ses veines et le foudre pénètre ses orbites creuses.

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  12. Terrible Ben!
    quant à l’idée du harem, Laurence, ça n’est pas tant « d’être la poulette entretenue d’un homme riche » qui m’intéresse, que le fait d’être entre copines à piailler toute la journée et une bonne partie de la nuit;
    (d’ailleurs ainsi, il n’y a plus qu’à plaire un jour sur 20 (plus ou moins selon le nb de femme), et pour l’amour, on verra toujours…)[bon, faut qu’il ait des sous qd mm]

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  13. Ben, tu diras rien à tes soeurs, hein? C’est même pas vrai que je les voudrais dans un harem. Tu leur diras que je les aime comme elles sont.
    Ta description des succubes et incubes est tout à fait saisissante. J’ai beaucoup aimé le « “fusil nocturne” … qui te lance son nsissim dans les narines comme par internet ». l’Afrique te va bien, c’est indéniable.

    la tentation du harem, Vanessa? Ce n’est pas la première fois que j’entends une femme moderne occidentale dire cela. Je suppose que c’est une rêverie sans fondement, que vous n’accepteriez jamais ça en vrai… Mais enfin, j’ai vu des émissions qui montraient des Américains, chrétiens et middle class, vivre dans une situation de polygamie. L’homme vit dans une immense maison, avec quatre femmes et quinze enfants. les femmes sont libres, et d’ailleurs elles se liguent parfois contre le mari. Il paraît que ça se fait dans une branche du protestantisme illuminé. Alors cela renvoie peut-être à un désir ou un fantasme féminin.
    Je pense être trop solitaire de nature pour envisager cela pour moi, mais on ne sait jamais, il faut peut-être tenter l’aventure.

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  14. Que voulez-vous dire, Vanessa, par « et pour l’amour, on verra toujours » ?
    Piailler entre copines, moi je ne suis pas contre bien sûr, mais ses copines, on les choisit, alors que les concubines, les autres épouses, elles viennent sans qu’on n’ait notre mot à dire. Et dans un espace confiné, il suffit d’une ambitieuse qui cherche à être la favorite pour mettre la zizanie dans notre douce vie quotidienne.
    C’est rageant, on ne peut même pas compter sur les autres pour être heureuses.

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