Civilisation féminine ?

Du coup, je me pose des questions. Dans mon premier blog, Nankin en douce, je parlais beaucoup de femmes chinoises. J’écrivais un blog pour exprimer l’enchantement qui était le mien à leur contact. Que ce fût des amoureuses, des amies, des collègues, des étudiantes, elles accompagnaient ma vie et la rendaient plus facile. De nombreuses femmes occidentales me reprochaient soit d’abuser de ces femmes, soit au contraire d’être naïvement abusé par des manipulatrices. C’est comme si, dans une situation post-coloniale, il était impossible d’avoir une relation égalitaire interraciale. 

La première année de ma vie en Chine, malgré tout, j’étais ravi par cette présence féminine que je sentais partout, et dans laquelle je me sentais baigné. Je pensais faire l’expérience d’une « civilisation féminine ».

A l’opéra traditionnel, la féminité ma paraissait avoir trouvé une expression ultime, irrésistible. Dans la littérature, avec le roman des romans, Le rêve dans le pavillon rouge, je me trouvais à nouveau dans une oeuvre où les femmes étaient l’élément vivant, essentiel. Je paraphrasais Nietzsche, qui disait que la Grèce du Ve siècle avant J-C, que la France du XVIIe siècle, avaient développé l’art de la masculinité à son niveau le plus élevé. Je voyais en Chine une culture de la féminité qui avait travaillé pendant des siècles pour raffiner l’art d’être une femme. Un art d’être, de bouger, de parler, qui atteignait une sophistication presque insupportable pour l’homme sensible arrivé d’ailleurs.

En lisant Pierre Loti, je me demande si je ne suis pas tout simplement un néo-colonialiste moi-même, dans le seul fait d’avoir vu tant les femmes et si peu les hommes. N’est-ce pas une manière de se sentir inconsciemment en « terre conquise » que de voir des femmes charmantes partout, et de ne voir que cela ? J’avais des moments de doutes là-bas aussi, je m’interrogeais sur mon éventuel « néocolonialisme sentimental« .

Je suis gêné aux entournures, en lisant Loti, du style esthète de ce petit mec qui parle des femmes étrangères comme si elles étaient de beaux objets. Je me demande avec mélancolie si je ne faisais pas cela, moi aussi.

13 commentaires sur “Civilisation féminine ?

  1. Pourquoi précieux ? Si elles disent que je n’étais pas néo-colonial avec elles, cela ne prouvera pas grand chose, me semble-t-il. Inversement, si l’une témoigne que je ne l’ai pas bien traitée, cela n’éclairera pas le lecteur sur beaucoup plus que sur ma goujaterie personnelle.

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  2. « En lisant Pierre Loti, je me demande si je ne suis pas tout simplement un néo-colonialiste moi-même, dans le seul fait d’avoir vu tant les femmes et si peu les hommes. » mais non, mais non, tu aimes parfois explorer les territoires les plus éloignés de ta réalité de philospohe solitaire, c’est tout. Fautil vraiment aller à l’autre bout du monde pour cela ? non bien sur. bisous

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  3. « C’est comme si, dans une situation post-coloniale, il était impossible d’avoir une relation égalitaire interraciale… je m’interrogeais sur mon éventuel “néocolonialisme sentimental“.  » La Chine n’est pas clairement dans une situation post-coloniale, donc le néo-colonialisme n’y est pas vraiment de mise. Si tu veux de la postcolonie à l’état brut, viens en Afrique centrale, tu verras.

    Sinon, moi je trouve que le style de Loti est typiquement faux. Il se fait passer pour quelque chose de nullard par timidité ou fanfaronnade, et ce qui fait la différence entre lui et un grand romancier colonial, c’est qu’il n’en a pas assez conscience pour en faire un ressort romanesque. C’est Loti qui se chosifie lui-même. Sur les femmes étrangères et la relation coloniale, postcoloniale ou néocoloniale, il ne dit rien, il en fait une espèce de bibelot exotique qu’on peut ranger dans sa mémoire ou poser sur une étagère..

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  4. Citation d’Olivier Stroh:

    Dans son Manifeste du surréalisme (1924), André Breton demandait un « permis de non-inhumer » pour les trois gloires littéraires mortes l’année précédente, qu’il appelait « l’idiot, le traître et le policier », soit respectivement Pierre Loti, Maurice Barrès et Anatole France… Un idiot: voilà comment la jeune garde littéraire traitait Loti un an après sa disparition…

    http://artslivres.com/ShowArticle.php?Id=1459

    Colonialiste ?

    Si Loti sembla parfois feindre un sentiment de supériorité face aux autochtones qu’il pu côtoyer de par sa carrière de marin, reconnaissons que jamais il ne refusa le contact…

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  5. Moi qui ai beaucoup voyage, je n’ai pas eu ces remords de conscience, mais c’est vrai que quand je vois un Blanc avec une jolie Africaine, je ne peux pas m’empecher de penser : « Neocolonialisme sexuel ».

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  6. Loti, idiot, ca me gene un peu par rapport a « Pecheurs d’Islande » et d’autres romans que j’ai oublie mais qui m’ont surement beaucoup plu. Mais ce qui me gene, c’est surtout de traiter le grand Anatole France de « policier », la, je trouve que le jugement de Breton temoigne bien de sa propre connerie personnelle qui etait certes grande.

    « quand je vois un Blanc avec une jolie Africaine, je ne peux pas m’empecher de penser : “Neocolonialisme sexuel”. Si on ne peut pas s’en empecher, c’est aussi par un reflexe qui est lui-meme, en un certain sens, neo-colonial : les jolies Noires ne sont pas des enfants, elle a peut-etre son libre-arbitre, et son vieux Blanc frique et frippe, elle l’aime tendrement. Ou alors, c’est lui qui s’est fait neo-coloniser la tete et le carnet de cheques. Ou, pire, les deux a la fois.

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  7. « les jolies Noires ne sont pas des enfants, elle a peut-etre son libre-arbitre, et son vieux Blanc frique et frippe, elle l’aime tendrement. »

    Etant moi-même un vieux Blanc fripé et friqué installé à Sally, au Sénégal, j’aprouve. Elles nous aiment tendrement, les sauterelles.

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  8. « Je suis gêné aux entournures, en lisant Loti, du style esthète de ce petit mec qui parle des femmes étrangères comme si elles étaient de beaux objets. Je me demande avec mélancolie si je ne faisais pas cela, moi aussi.  » Je ne sais pas, mais j’ai le souvenir -et je ne suis pas le seul- que le sage précaire était un grand séducteur…je ne compte plus le nombre de chinoises de l’Alliance Française que j’ai vu a ces bras….

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