Kosovo chante la Serbie

Que le Kosovo prenne son indépendance, sous l’oeil bienveillant des pays européens et américains, me met assez mal à l’aise. Je ne pense pas seulement au risque de guerres à venir, lorsque le Serbes se battront pour récupérer cette région qui signifie beaucoup pour eux, mais au sens que cela possède, au manque de sens plutôt.

Ce qui m’ennuie dans cette affaire, c’est le rapport bizarre qu’on entretient avec l’histoire. La Serbie, ce n’est quand même pas rien au regard de l’histoire. Depuis le Moyen-âge, le royaume de Serbie est un pays qui rayonne dans tout le sud de l’Europe centrale. A plusieurs reprises, les Balkans se sont réunis autour de cette puissance. Vouloir réduire la Serbie à un petit pays « démembré », cela revient vraiment à vouloir humilier les Serbes, et l’humiliation ne me paraît pas une bonne politique.

Aujourd’hui, on fait passer les Serbes pour des brutes épaisses, des nationalistes bornés, des fascistes. C’est là que je trouve matière à m’insurger. Je ne discute pas du rôle de l’armée serbe dans les années 1990. Admettons qu’elle a été coupable de crimes contre l’humanité, que ses hauts responsables doivent être jugés, admettons tout ce que l’on veut, et instruisons les procès. Mais cela ne doit pas nous autoriser à traîner dans la boue et l’infamie une nation qui fut souvent admirable, et en tout cas héroïque, le long de sa longue histoire.

Or, si l’on jette un oeil dans le passé, on note que jamais il n’y eut de pays appelé Kosovo. Grand comme un département français, aussi peuplé que le Rhône ou la Seine-Saint-Denis, ce territoire n’a pas de langue, pas d’armée, pas d’économie digne de ce nom, pas de culture en propre. En terme de critère historique, le Kosovo est moins légitime que la Bourgogne pour réclamer son indépendance. Je n’ai rien contre les Kosovars, ni contre les Albanais, ni personne, mais ces gens appartiennent à un pays qui s’appelle la Serbie, et ce depuis mille ans. Qu’ils aient les mêmes droits que les Serbes dans leur pays, soit. Qu’ils fassent sécession au moment où ils sont nourris et protégés par l’Europe, l’OTAN et l’armée américaine, cela est plus problématique.

Sincèrement, on se demande sur quelle base on accorde l’indépendance d’un pays, puisque l’histoire, visiblement, n’y entre plus pour rien. Au nom de quoi l’accorde-t-on ? Du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Mais les Kosovars ne constituent pas un peuple. De quoi vont-ils vivre, grands Dieux, quand nous ne les financerons plus artificiellement ? Comment se défendront-ils ? Devront-ils compter sur les mafias qui contrôlent déjà les familles et les business locaux ? Je m’emporte un peu, sans doute, et je présente mes excuses pour cela. Vous allez comprendre ma gêne.

A mon avis, le fond de l’affaire, c’est que les pouvoirs en place (Etats-Unis et Union européenne) veulent rabaisser les peuples qui se sentent en prise avec l’histoire. Ils veulent humilier l’histoire elle-même. Ils veulent couper les gens de tout « sens historique ». Pour les Serbes, le Kosovo est le lieu d’une bataille importante contre les Ottomans au XIVe siècle, une défaite annoncée qui symbolise à la fois la fin de leur souveraineté, et l’héroïsme tragique d’une armée qui se savait plus faible que l’ennemi et qui a quand même lutté jusqu’à la mort.

Le Kosovo est donc un « lieu de mémoire » pour la nation serbe. Et aujourd’hui, les médias, les humanitaires, les gens au pouvoir disent aux Serbes que tout cela, l’histoire, les lieux de mémoire, ce sont des bêtises. On leur dit qu’il faut oublier le passé et se tourner vers l’avenir, vers l’Union européenne, l’Amérique, le spectacle.

Il me semble que nous faisons le contraire de ce que nous devrions faire. Et nous, Français, portons une lourde responsabilité, nous qui fûmes des alliés de la Serbie. Il me semble que nous devrions parler avec les Serbes la langue de l’histoire, comme nous le faisons avec les Chinois. Nous devrions les aider à s’en sortir, à guérir les blessures atroces des guerres de ces vingt dernières années et soutenir le projet d’une Serbie digne et forte, respectueuse, voire protectrice des minorités et des cultes.

Au lieu de cela, on croit bien faire en les mutilant. On croit que les Serbes « ont évolué » ou « vont évoluer », comme si communier avec les riches heures de son passé était une maladie, une nevrose. C’est de là que vient mon courroux, de cette volonté acharnée que je perçois en Occident de faire table rase du passé, de résumer l’histoire à des schémas simplistes pour s’en débarrasser.

7 commentaires sur “Kosovo chante la Serbie

  1. Je lisais ce matin dans « Je me souviens » de Boris Cyrulnik une phrase qui disait que l’humiliation était pire que les coups. Je crois que c’est vrai parce que l’humiliation laisse une trace plus durable, une trace dans l’esprit

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  2. « Sincèrement, on se demande sur quelle base on accorde l’indépendance d’un pays » Je crois qu’on a posé la question aux habitants du Kossovo par référendum. La base, c’est donc la démocratie, le même droit qui fut exporté, dans l’hagiographie française, par Napoléon à toute l’Europe pour faire chier les Habsbourg. Faudrait-il revenir aux bons vieux empires ? Le problème devient plus piquant si on remarque que les Kossovars sont en grande partie des immigrés d’origine albanaise. Faut-il donc refuser le droit de vote à d’anciens immigrés ? Mais je pense que si on avait demandé son avis à tous les habitants de la Serbie, ça n’aurait pas donné le même résultat. Tout ça, c’est compliqué, c’est de la faute à Napoléon.

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  3. Oui, et si on demande leur avis à tous les départements français, qui sait s’il n’y en aurait pas quelques uns qui pencheraient pour l’indépendance. En revanche on pourrait demander à l’ensemble des Français ce qu’ils penseraient de l’indépendance des Antilles, de la Corse ou de la Réunion, le résultat m’intéresserait.
    Pour revenir au Kosovo, le Nouvel Observateur de cette semaine donne un petit entretien avec Hasim Thaçi, le premier ministre kosovar, sa

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  4. sans aucun souci de contextualisation. Le lecteur penserait aisément qu’il s’agit là d’un homme politique raisonnable, soucieux de « la stabilité de toute la région ». Il se dit même « prêt à discuter avec Belgrade ».

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  5. Salut à tout le monde;
    J’ai lue avec interest votre oppinion et il y a qu’une chose qui me marque: D’ou vous osez dire que le Kosovo n’as pas de langue, que il n’as pas de culture etc etc
    Je pense que vous devriez allez visiter l’endroit pour voir de vos propres yeux et de pas se fier sur ce que les autres disent. Je suis Kosovar et je sais de quoi je parle. Même si le Kosovo n’as jamais était un pays en lui même, il à fait partie de l’Albanie si ce n’est pas le cas dans une carte c’est le cas dans le coeur. Après 1912 lors de la declaration de l’indépendence de l’Albanie, Kosovo a été anexé, et dans cette guerre d’independence des centaines de kosovards ont perdu leurs vie.
    Je suis née et grandit au Kosovo jusqu’à l’âge de 20 ans (1999) j’ai fait l’esentielle de mes études là bà et je peux t’affirmer une seule chose: Quand tu voie de tes propres yeux ton père se faire maltraiter, frapper etc etc juste parce que il possède des livres en albanais dans sa bibliotheque je peux te dire que tu ne peux supporter une tel situation et t’es obliger de prendre les armes.

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