BHL, les humanitaires et l’impérialisme

Le sage précaire pense en partie avec sa tête, et en partie avec ses tripes. Parfois, souvent, il lit des choses universitaires et, avant même d’avoir une opinion articulable, il sent monter une rage depuis la région du foie, ou de la rate. Parfois, cela monte et le sage précaire manque s’étouffer. La dernière fois que cela m’est arrivé, ce fut en lisant la revue la plus prestigieuse d’ « études françaises » au Royaume-Uni. C’est la revue la plus établie, la plus reconnue, la plus célèbre. Tout le monde la feuillette quand elle sort. J’y ai lu de telles conneries dans le dernier numéro que je préfère ne rien en dire ici. Les universitaires réussissent par moments à combiner le dogmatisme (l’absence de réflexion critique sur une idéologie donnée) et l’erreur factuelle. Cela fait beaucoup pour un sage précaire, qui n’aime rien tant que la vérité factuelle et l’ondoiement idéologique.

Mais plutôt que de critiquer mes amis britanniques, qui font aussi des revues de grande tenue, je vais me tourner vers des personnalités françaises qui provoquent aussi en moi des pulsions de rejet ou d’attraction, que je ne peux m’expliquer qu’après coup.

Bernard-Henri Lévy par exemple. la dernière fois que je l’ai vu, il militait pour défendre la femme iranienne qui était menacée d’être lapidée. Pourquoi cela me gênait-il de le voir parler de cela ? Moi aussi, je suis contre la lapidation, et même opposé à toute peine de mort. Voire, je suis parfaitement en faveur de l’adultère, en terre chrétienne comme en terre d’Islam. L’équilibre d’une nation, c’est mon idée, tient dans la capacité des couples à se tromper sans se haïr et sans rompre.

BHL, donc, m’énerve prodigieusement quand il parle de cette Iranienne. Pourtant, il ne m’énerve pas tout le temps. Là il m’énervait spécifiquement. À la réflexion je comprends pourquoi.

Il disait : « Si le tribunal iranien recule, si nous gagnons cette bataille… » Arrogance contre-productive. Cette attitude ne peut avoir comme effet qu’un adversaire qui se braque, et qui, pour montrer son indépendance, fera ce qu’on lui demande de ne pas faire. Pour reprendre les termes de Max Weber, c’est de la diplomatie « de conviction » et non « de responsabilité ». BHL se moque que son projet foire, ce qu’il veut, c’est prendre le rôle du chevalier blanc, qui saute sur la première cause venue. À la limite, je me suis demandé si BHL n’aimerait pas que l’Iran lapide ses femmes, cela permettrait de diaboliser vraiment ce pays, et de lui déclarer la guerre dans un futur proche.

Passons sur l’Iran. Le problème avec BHL, pour moi, c’est qu’il ne nous apprend jamais rien sur les pays et les peuples qui attirent son attention. Il énumère toujours les grandes batailles qui furent les siennes, où il s’engagea pour faire prendre conscience d’un massacre. Il dit toujours : « La Bosnie, le Darfour, la Tchétchénie », comme s’il avait porté sur ses épaules les décisions internationales qui ont réagi, ou pas, aux événements qui s’y déroulaient. À chaque fois, il sort les grands mots, la grosse artillerie de la sensiblerie et de l’Histoire émotive, telle qu’elle s’écrit à gros traits : « massacre, charnier, génocide, Munich, tortionnaire, droits de l’homme… »

En revanche, jamais une réflexion sur l’histoire de ces peuples, de ces gens, des enjeux. La seule chose qui l’intéresse, semble-t-il, c’est l’incendie et l’alarme. Le rôle de l’intellectuel était tout de même plus vaste et plus intelligent à l’époque de Sartre.

Mais j’y pense, c’est la même chose avec Bernard Kouchner, et avec tous les humanitaires. Un refus de se situer dans la réflexion historique. Une vision du monde binaire avec de pauvres gens aux abois, des démocraties qui sont dans le vrai, et des chevaliers blancs dont le seul rôle est de forcer l’attention de ces souverains au coeurs purs, les Peuples occidentaux, afin qu’ils interviennent, s’interposent, tels de nouveaux Deus ex machina.

C’est ma contribution, aujourd’hui, aux débats contemporains. Nos humanitaires, nos activistes de la guerre juste, nos nouveaux philosophes, prennent le peuple pour un monarque vaniteux, qu’il faut flatter, à qui il faut parler de manière émotive. Le résultat de cette posture est un mépris infini pour l’histoire et pour tout ce qui ne va pas dans le sens des intérêts des démocraties occidentales. Tous ces gens, et les champions de la charité en premier lieu, sont les figures les plus visibles, les plus vivantes et les plus hypocrites, de l’impérialisme occidental.

11 commentaires sur “BHL, les humanitaires et l’impérialisme

  1. Guillaume, tu me paraîs pas très universitaire, car il me semble que les universitaires français, enfin, tous ceux que j’ai renconté, professeurs ou étudiants, ne lisent ni écoutent BHL, et n’ont même pas envie de le débattre.

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  2. Bon, et alors ? Etre un philosophe du bon côté, c’est un métier. Et ça peut être très astreignant. J’ai eu récemment droit aux souvenirs d’un médecin humanitaire (chef de service dans un hôpital public; sa direction lui permet une fois par an d’aller faire une intervention avec Médecins sans frontières). Dans l’hélicoptère qui le transportait sur son lieu d’action, il avait aussi BHL et son assistant. Ils avaient sur les genoux un gros tas de fax venus des éditeurs et des journaux parisiens. BHL tranchait à mesure sur la faveur à accorder à un auteur ou la punition à faire infliger à un journaliste qui avait écrit mal sur lui. La machine à influence ne doit jamais s’arrêter. L’humanitaire opérationnel qu’il avait à côté de lui ne l’intéressait pas du tout. Trop compliqué et sans intérêt, les histoires de formation des aides soignantes à l’application des règles d’hygiène dans un service de chirurgie en campagne. Ca ne produit pas de photos publiables. Finalement ça doit être l’enfer, d’être occupé sans arrêt à regrimper au sommet de la vague, avec la hantise de rater la prochaine.
    Le médecin a plus de chances d’être content de ce qu’il fait.

    A part ça, je n’ai as compris ce que le mot « universitaire » vient faire dans le discours.

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  3. Je ne connais pas très bien le paysage universitaire en France, mais j’ai l’impression que les professeurs et les étudiants s’écartent de ces renoms médiatiques, jugeant leurs émissions ou interventions trop arrogantes et trompeuses. Seule la masse y porte intérêt.Ne pas en parler serait un signe unanime du mépris. Chaque fois je mentionnais des personnalités médiatiques, mes amis français me disaient « tu es sur la mauvaise route ».

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  4. Oui, c’est vrai qu’il faut différencier universitaires et intellectuels « amateurs ». BHL n’est pas un bon exemple de ces intellectuels amateurs (même s’il gagne beaucoup d’argent), mais il en est un exemple.
    J’avais tâché de faire une typologie de ces deux types d’intellectuels, http://laprecaritedusage.blog.lemonde.fr/2008/11/11/amateurs-et-universitaires/
    et je m’étonne que beaucoup, même parmi les universitaires, ne se rendent pas compte de la profonde différence entre les deux.

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  5. test 1. commentaire : il déblogue ton blog Guillaume ?
    On peut être universitaire amateur aussi et intellectuel tout court (dison les penseurs écrivians , essayiste par dessus le marché -Houellebecq, Rolin, Deleuze.oui Deleuze universitaire ca me fait rire car je pnese qu’il devait se foutrte de ce statut dunivesritaire professionel ou amateur etc… c’est une notion un peu plus difficile a concevoir ou tout est « catégorisé » aujourd’hui je veux bien le reconnaitre. Test 2.
    Test 3 : modérateurs du monde.fr : bandes d’ amateurs !!

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  6.  » Finalement ça doit être l’enfer, d’être occupé sans arrêt à regrimper au sommet de la vague, avec la hantise de rater la prochaine. Le médecin a plus de chances d’être content de ce qu’il fait. »

    Est-on plus heureux en faisant le bien qu’en jouissant du pouvoir ? Heureux n’est peut-être pas le bon mot. Si on pense adrénaline, on ne répondra pas de la même manière que si on pense estime de soi.

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  7. En jouissant du pouvoir pardi ! D’ailleurs bientôt Docteur Sage Précaire va bientôt tous nous dominer de son gros sceptre Conceptuel du Philosophe-qu-aura-beaucoup-voyagé-et-beaucoup-lu-et on va sentir notre douleur pardi! Les PMU (Portes Magiques de L’Université) vont s’ouvrir à lui et un nouvel univers s’offrir aux yeux des ses commentateurs préférés, humbles pages (que bien sur il va remercier dans sa thése pour leurs soutiens indefectibles c’est évident…). On ira t’écouter au Collége de France, promis !

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  8. J’ai vu BHL à la télé qui a dit que l’Iran était un « pays où être femme signifie être impure », etc. C’est un vrai problème, non seulement il associe le président iranien et Hitler, mais il donne de l’Iran comme pays, dans son ensemble ou dans son essence, l’image d’un territoire horrible. Il ignore superbement les études de ceux qui connaissent l’Iran et qui témoignent d’une société équilibrée, moderne, où les filles vont à l’école, où les familles contrôlent leur natalité.
    L’Iran qu’il veut montrer est un pays abstrait, une horreur, qui n’a qu’un besoin, que lui et les siens viennent les libérer, ou viennent apporter la lumière.

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