« Mobile » de Michel Butor

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Michel Butor, né en 1926, n’est pas connu pour avoir fait des récits de voyage, et pourtant, ce qu’il a apporté au genre littéraire « Voyage » est immense.

Dès après La Modification (1957) qui l’a rendu célèbre, il a écrit Le Génie du lieu (1958) qui était déjà une série d’essais d’écritures sur le voyage, avec des chapitres sur des villes (Cordoue, Salonique, Istanbul) et sur l’Egypte.

Mais c’est Mobile (1962) qui crée une véritable rupture dans l’oeuvre de Butor. Son sous-titre montre qu’il ne cherche pas à faire rêver le lecteur du Guide du Routard : Etude pour une réprésentation des Etats-Unis.

L’exégèse butorienne l’atteste : avec Mobile, Butor fait ses adieux au roman. La plupart des critiques, et Butor lui-même, considèrent ce livre comme un « moment charnière ». Parmi les oeuvre de la littérature d’après-guerre, c’est le livre préféré de Jean-François Lyotard, de Jean Starobinski, de Françoise van Rossum-Guyon, de Michel Sicard (voir Mireille Calle, Les Métamorphoses Butor. Entretiens. Grenoble, 1991.)

L’écrivain a vécu quelques années aux Etats-Unis, il y a enseigné le français, et il s’y est beaucoup promené. Son voyage américain demandait une forme d’écriture particulière, qui lui permette de rendre compte de l’espace singulier de l’Amérique :

ça a été peu à peu, très lentement, que j’ai mis au point les techniques et le texte tel qu’il est maintenant

 Les techniques sont nombreuses et réjouissantes : l’organisation de la page blanche et la succession des pages, il s’agit de jouer sur la matérialité du livre lui-même, inclure des coupures de journaux locaux, des inscriptions de pancartes et autres signes urbains, jouer avec les noms de lieux américains.

Plutôt que de suivre l’itinéraire du voyageur, préférer l’ordre alphabétique des Etats. Commencer par : « nuit noire à CORDOUE, ALABAMA, le profond sud », et terminer pas loin du Wyoming, mais toujours dans la nuit, avec le nom de BUFFALO.

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Mobile, de Michel Butor

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Cela doit se lire comme une partition de musique contemporaine. Les mots repris et répétés forment des moments rythmiques et mélodiques qu’il faut appréhender comme accompagnement des éléments d’histoire, d’actualités et de géographie divers, qui sont eux aussi pris dans des organisations spatiales musicales et contrapuntiques.

Les noms américains, dans leurs reprises continuelles, gardent le sens qu’ils ont chez le lecteur européen : Derby rappelle l’Angleterre, Florence l’Italie. Buffalo rappelle Buffalo Bill.

Le lecteur doit s’emparer du texte pour l’interpréter à sa manière, comme un musicien interprète une partition. Butor a fait une partie du boulot, il a agencé des trucs, il fait des propositions, mais le livre n’est rien si le lecteur reste passif. En cela, c’est le livre de voyage le plus expérimental de l’histoire du genre, et le plus incontournable qui soit sur les Etats-Unis d’Amérique dans la littérature française.

11 commentaires sur “« Mobile » de Michel Butor

  1. C’est drôle, ça a l’air d’une critique, et pourtant, ça a pour effet de donner envie de lire Butor, et pas du tout Galey. Et moi je dis, un critique qui donne envie de lire la personne qu’il démonte ne peut pas être tout à fait mauvais.

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  2. Voir les pages sur Jefferson et ses idees racistes, qui parsement « Mobile ». Jefferson, Washignton, Lincoln, les trois divinites de l’Amerique.
    Merci de nous rappeler ce grand livre de Butor.

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  3. Oui merci Fred, je les ai vues. J’ai même commencé à écrire deux ou trois trucs sur les extraits de Jefferson que Butor a introduits.
    Je n’ai pas l’impression que Butor veuille dénoncer Jefferson comme raciste, mais plutôt faire songer sur un truc que les postcolonialistes trouvent très original de dire aujourd’hui, alors que c’était monnaie courante dès les années 60 : que les démocraties modernes sont bâties sur des Lumières qui associent essentiellement égalité de principe et inégalité scientifique. Ou égalité face à Dieu mais inéquité face au pouvoir.

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  4. Ce qui fait froid dans le dos, et cela témoigne d’un bel art de la composition de la part de Butor, c’est l’une des dernières référence à Jefferson dans Mobile. Dans la maison dont il conçoit les plans, ses esclaves sont logés dans un coin spécial, de façon à ce qu’ils ne dérangent pas la vue.
    En une seule phrase, les thèmes, tressés les uns aux autres patiemment par petites touches, de la couleur noir, de l’architecture, des Européens d’Amérique, de la colonisation, des Lumières américaines, se rencontrent et offrent une image terrifiante de la réalité profonde de l’Amérique.

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  5. J’adore butor; je lui ai consacré un D.E.A et une thèse dont j’ai pu analyser: Passage de Milan, La Modification, L’Emploi du temps, Degrés, Mobile, 6 810 000 Litres par seconde, Histoire extraordinaire, Portrait de l’artiste en jeune singe et Description de San Marco. J’ai même écrit des livres sur Butor… Et je rêve d’en écrire d’autres. C’est un auteur hors du commun…..

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  6. Bonjour. Ma thèse ne comporte qu’un chapitre sur Butor, et encore, non pas sur sa littérature en général, mais sur son approche du récit de voyage. C’est donc peut-être assez loin de vos préoccupations (quoique: il semble considérer que la poésie et l’écriture du territoire sont très proches l’une de l’autre.)

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