Conférence en chambre d’hôtel

Il pleut sur Toronto. C’est une bonne nouvelle pour moi, car ça me force à passer plus de temps dans ma chambre d’hôtel. Je dois préparer ma conférence pour le week-end prochain.

C’est un luxe inouï de pouvoir rester dans une chambre d’hôtel à Toronto. Je sors une ou deux fois dans la journée pour manger, pour lire dans un café, et j’en profite pour regarder intensément cette ville que j’aime et qui m’impressionne. Je n’ai pas le temps de la visiter extensivement, malheureusement. Je n’aurai pas le temps de visiter ses musées, par exemple, ce qui est nouveau chez moi. Le beau musée des beaux-arts, devant lequel je suis passé hier matin, quand je tirais ma valise, je suis triste de le laisser derrière moi.

Mais c’est ainsi, et le bonheur de vivre dans le luxe précaire me console. Le luxe de passer du temps dans un hôtel un peu pourri, pour préparer une conférence. Pour un traîne-savate comme moi, c’est un luxe encore supérieur à celui de se promener au musée. Et comme je range le luxe au premier rang de mes préoccupations existentielles, je peux dire que je suis comblé.

J’ai apporté quelques livres avec moi, et j’en ai acheté quelques uns, dans la librairie « Gallimard Canada » de Montréal. Je lis les trois livres de voyage de Danny Laferrière, Je suis fatigué (2001), L’énigme du retour (2009) et Tout bouge autour de moi (2010).

Ce matin, j’ai lu un récit d’une Française d’origine vietnamienne, Kim Lefèvre : Retour à la saison des pluies est typique de ces textes d’immigrants qui ne peuvent s’abandonner à faire de la littérature de voyage. Elle parle de ses souvenirs, de sa mère, de ses soeurs. C’est très beau mais ça reste une littérature du moi, de la famille, de la mémoire et de l’identité. C’est toujours une question de temps, alors que le récit de voyage c’est de la géographie. Géographie physique et géographie humaine.

Le question que je (me) pose, dans cette conférence, c’est pourquoi la « littérature migrante » ne s’empare pas du récit de voyage, et préfère invariablement d’autres genres, tels que le roman, l’autobiographie et l’essai ?

Au détour d’un livre, dans un recueil d’essais, on perçoit que pourrait être un récit de voyage de migrant. Le Québécois d’origine iraquienne, Naim Kattan le fait par exemple. Le Camerounais Célestin Monga aussi, dans Un Bantou à Washington (écrit vingt ans après Un Bantou à Djibouti qui, lui, est vraiment un récit de voyage, fascinant en ceci que c’est un Africain de l’ouest qui visite l’Afrique de l’est).

Le libraire de Montréal me conseille le best-seller de la Vietnamienne Kim Thuy, dont Ru raconte son exil, le « Boat people » et le rêve américain réalisé au Québec. Il me l’a vendu comme un récit de voyage, mais non, ce n’en est pas un. C’est un récit de vie, une réflexion sensible et émotive sur la double identité. Comme d’habitude, suis-je tenté de dire.

Ce qui m’ennuie un peu, et me trouble dans mon luxe inouï de conférencier itinérant, c’est que je n’ai pas de conclusion à ma conférence. J’ai beaucoup d’idées, et des idées très bonnes, très intéressantes, stimulantes et affriolantes. J’ai des lignes de réflexions nettement dessinées, mais aucune conclusion.

Je tourne dans ma chambre d’hôtel et passe d’un livre à l’autre, mais ce n’est pas concluant.

Dans le doute, et assoiffé par tant de travail, je prends la décision de sortir boire une bière.

5 commentaires sur “Conférence en chambre d’hôtel

  1. …à six heure du soir je ferme les deux yeux, et j’essaie durant cette période de dix secondes, qui dure au max quinze minutes, de démêler le pourquoi du comment qui fait que nous soyons autant Chinois que Québécois; qui apportera quoi au niveau de la question initiale;toi petit français du voyage je te positionne en dernier sur la liste;et pourtant en lisant tes dernier post tu sembles pourtant partant pour une identitée renouvellable bien qu’aléatoire dans son fondement initiale.

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