Perfection du piano

Clara Schumann, Scherzo n°2, op. 14

Depuis que des disques de musique classique tournent sur la platine de mon bureau collectif, ma concentration intellectuelle s’est améliorée. En particulier grâce au piano.

Cela fait longtemps que je suis très impressionné par cet instrument. Ce que l’on peut faire avec le piano, ce que les musiciens ont pu composer avec lui me fascinent. Ma fascination avait commencé quand une voisine du dessus, en Chine, mettait des disques de piano tous les matins. Elle devait avoir une sorte d’obsession, et elle a dû me la communiquer.

Parfois, dans mon bureau, quand j’y suis seul, je ne pense plus à rien, j’éteins les lumières et je pénètre le monde incroyablement varié, complexe, surhumain, des morceaux de Mozart, de Schubert, de Schumann. (Chopin, c’est moins mon truc, je l’avoue, et je partage ce sentiment avec une amie japonaise dont on dit qu’elle est une vraie pianiste mais qui a toujours refusé de jouer pour moi. Alors nous parlons musique dans les pubs, des pintes de bière à la main, et nous pensons de concert que Bach est préférable – et même, pardoxalement, plus libre pour l’interprète – que Chopin.) 

Parfois, je n’écoute plus, car je me lance dans des méditations historiques sur l’invention technologique que le piano représente. Je me dis qu’il a fallu des siècles de travail pour arriver à cette perfection absolue. Une fois qu’on a inventé le clavier, il restait encore beaucoup à faire.

D’abord, le son était fluté, avec les harmonium et les orgues, c’était beau mais dès qu’on jouait un peu vite, cela devenait confus. Bon, j’entends déjà les défenseurs de l’orgue, des mecs comme Ben, par exemple, qui vont venir protester, comme quoi c’est très exagéré de dire que c’est confus, etc. Alors disons que l’orgue n’est peut-être pas confus, mais que ce qu’il gagne en amplitude sonore, il le perd en précision.

Ensuite avec l’épinette, et le clavecin, le son était pincé, parce que les cordes étaient pincées. C’était beau, et en plus, on pouvait jouer diablement vite, ce que mes amis Forqueray et Couperin ont pris un malin plaisir à faire. Mais avec le clavecin, on pouvait appuyer aussi fort que l’on voulait, le son était à peu près égal, et il avait une longueur très médiocre.

Avec l’invention du pianoforte (pour jouer piano et pour jouer forte comme on veut), et ses cordes frappées par des marteaux en velour (là aussi « marteau » et « velour », quel oxymore délicat), alors on pouvait jouer rapidement comme avec le clavecin, et tenir de notes longuement, comme à l’orgue. On pouvait privilégier la clarté de la pensée des Lumières, ou au contraire s’enliser dans des langueurs monotones annonciatrices des dérives romantiques.

On dit avec raison que le piano est l’instrument romantique par excellence. On a tous en tête les nocturnes de Chopin, les envolées de Rachmaninov. Ce qu’il ne faut pas oublier, cependant, c’est que le piano fut inventé un siècle avant le romantisme, et que le XVIIIe siècle connaissait l’existence de gens tels que Mozart. Mettez cet instrument merveilleux entre les mains d’un génie comme Mozart, et laissez-le s’amuser avec ce jouet autant qu’il le veut. 

Il en est sorti, bien sûr, des choses très célèbres, ce troisième mouvement de la sonate n°11. Mais aussi des jeux brillants et philosophiques, comme les fameuses 12 Variations sur « Ah! Vous dirai-je Maman » …

En général, mes méditations ne me mènent nulle part et s’interrompent brutalement, car j’ai tout de même une thèse à finir.

 

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