Ce mec n’est pas plus fermier que moi

Patrick, mon « hôte fermier », n’habite pas dans une ferme, mais dans une maison située dans une rue assez modeste. De tous les pavillons de la rue, la sienne est celle qui ressemble le plus à  une maison abandonnée, une végétation assez touffue accueille le visiteur improblable.

Il y a quelqu’un à la maison, mais personne ne me répond quand je frappe à la porte. Je m’assois sous le hauvent et lit Hobbes & Calvin. Une demie-heure plus tard, un homme ouvre la porte sans s’excuser ni s’étonner. Ce n’est pas celui que j’attendais, mais un ami de passage, qui nettoyait la salle de bains. William est un voyageur qui va de communautés en communautés le long de la côte californienne. Il se dirige vers le nord de l’Etat pour vivre dans un bateau, basé dans un éco-village.

Dans les piles de livres de la maison de Patrick, de nombreux récits de voyage et d’expédition, des livres de politique écologiste, quelques classiques de la poésie américaine, et un récit qui attire mon regard : City Farm, de Novella Carpenter. Il s’agit de l’histoire d’une maison de banlieue, situé au cœur d’un ghetto d’Oakland, qu’une jeune femme a transformée en ferme urbaine. Je le feuillette pour mesurer que le livre n’est pas une fiction, mais un récit de vie, bien écrit, drôle, vivant. Ce livre a connu pas mal de succès il y a deux ou trois ans. Il reflète un mouvement réel qui prend une certaine ampleur dans la classe moyenne, mais qui n’a jamais cessé d’exister : l’établissement d’une ferme dans un environnement urbain, et même et surtout défavorisé.

Cette fille vit avec son compagnon dans la 28ème rue d’Oakland, et je me trouve dans la 23ème. Autant dire que je peux aller la voir en quelques minutes si Patrick me prête un vélo. Novella Carpenter, quel nom! On pourrait le traduire par « Roman Charpentier ».

Les livres sont éparpillés en tas. Ils me rendent la maison chaleureuse. Je note Better Off, d’Eric Brende, qui a vécu un an sans électricité dans un coin perdu d’Amérique. Un peu comme moi dans les Cévennes, mais je n’étais pas un fanatique de la technophobie, et je n’ai jamais rien mis d’austère ou de vertueux dans ma vie hédoniste de la montagne.

Pendant que William me fait la conversation, Patrick rentre enfin. Il me serre la main avec un air de mécontentement évident. Sa mauvaise humeur ne m’impressionne guère car je suis là pour une bonne raison : il m’a demandé de venir, il a besoin de ma force de travail. En réalité, il est gêné car il pensait que son ami aurait débarrassé le plancher et m’aurait laissé sa chambre. Je vais devoir dormir sur le canapé du salon.

L’ambiance est bizarre. Patrick fait une sorte de prière avant de manger son sandwich Subway. Il contredit sans arrêt son ami et parle de son travail à lui, combien il s’investit dans son travail. Nous l’écoutons, mais William lui dit qu’il ne sait pas trop où il veut en venir. Nous sommes tous des travailleurs, ici. je crois que Patrick veut me signifier que je ne suis pas ici pour rigoler. Qu’avec un workaholic comme lui, il va falloir que je me retrousse les manches.

Je ne réponds rien car, d’une part, il n’est pas explicite dans son message, et d’autre part, le travail ne fait pas peur au sage précaire.

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