Villefontaine

Cela fait plus de dix ans que ma mère vit dans cet immeuble H.L.M. de Villefontaine, et que, grâce à elle, j’explore un peu sa ville d’adoption, cette excroissance urbaine de Lyon.

Dans les années 70, la France a lancé ce projet des « villes nouvelles », pour désengorger les grosses villes. Il y en a quelques unes autour de Paris, une près de Lyon, une près de Lille, une près de Marseille et une près de Rouen (pourquoi Rouen ? C’est très engorgé, Rouen ?).

Dans la nature, dans des champs ou autour de villages existants, on conçut et planifia des quartiers, des lotissements, des habitations de différents standings, des écoles, des salles de spectacles, des terrains de sport, des centres commerciaux et des lieux culturels. Tout y est artificiel, mais en même temps, les arbres y poussent comme ailleurs, et avec le temps, la vie humaine impose ses règles irrationnelles.

Près de Lyon, il s’agit d’un ensemble de villages du Dauphiné, qui a pris le joli nom de l’un de ces villages : L’Isle-d’Abeau. Le plus grand de ces villages, où habite ma mère, possède aussi un très beau nom : Villefontaine.

Avant d’être une « ville nouvelle », Villefontaine était un tout petit village depuis des siècles. Un village à l’histoire froide, sans développement, proche de l’équilibre thermodynamique. En témoignent les recensements démographiques, depuis qu’ils existent, c’est-à-dire depuis la révolution française. En 1793, il y avait 345 habitants. En 1911, il y en avait encore 345. En 1954, il y en avait toujours moins de 400.

Je suis prêt à parier que la population de Villefontaine s’est équilibrée à 350 âmes pendant des siècles et des siècles. Ses origines remontent aux temps obscurs du Dauphiné vivant.

Aujourd’hui, il y a 20 000 habitants. La démographie a explosé avec la création de la ville nouvelle. Et l’ensemble de l’Isle d’Abeau compte plus de 40 000 habitants.

Mais on ne le croirait pas car tout a été fait pour qu’on ne se sente pas à l’étroit. Les routes sont bordées d’arbres, et on n’imagine pas que des lotissements se distribuent de part et d’autres.

L’air n’est pas pollué, les lacs et les forêts nous rappellent qu’on est à la campagne, et pourtant l’autoroute est là, qui nous mène à Lyon en vingt minutes. Les constructions ont l’air d’avoir été pensées pour accompagner les vallons.

Les vues et les chemins sont nombreux et mystérieux. On traverse de fréquents bosquets, et l’on passe de barres d’immeubles à des réserves naturelles. Le promeneur reporter est ainsi sans arrêt déconcerté par la contigüité, finalement harmonieuse, des trafiquants de drogues  et des hérons cendrés, des mamies jardinières et des boucheries hallal.

6 commentaires sur “Villefontaine

  1. La forêt enchantée (Alphonse Allais)
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    – Une nuit superbe, s’écria Wilfrid, qui revenait du jardin. Si on s’en retournait à pied?

    Il pouvait être neuf heures. On avait dîné copieusement. dans une ferme située en pleine forêt, à une dizaine de kilomètres de la ville.

    (…)

    Nus cheminions par un sentier poétique en diable, mais où l’humain le plus désespéré n’aurait pu se pendre à nul réverbère.

    Tout à coup, Wilfrid s’écria :

    « Là-bas… de la lumière ! »

    C’était vrai. Au bout du chemin, une grande clarté confuse filtrait à travers les branches.

    Nous hâtâmes le pas.

    À mesure que nous avancions, une inquiétude me prenait. Où allions-nous arriver ?

    De hautes maisons blanches se dressaient avec des balcons, d’immenses enseignes dorées. Une pharmacie étincelait, éblouissante de bocaux polychromes, une immense terrasse de café parisien étalait ses mille tables et chaises.

    Et puis une station de fiacres, des colonnes Morris, des kiosques de journaux, des réverbères innombrables. Paris, quoi !

    Je priai Wilfrid de me pincer, à seule fin de me réveiller.

    Wilfrid m’invita à lui fournir quelques grains d’ellébore pour dissiper son hallucination.

    Vous imaginez-vous cette situation ? En pleine forêt, à cinquante lieues de Paris, la nuit, tomber sur un morceau de boulevard Montmartre !

    Et nous étions bien éveillés, fous ni l’un ni l’autre.

    Nous arrivons ; nos pieds foulent l’asphalte du trottoir.

    Personne dans la rue, personne dans les boutiques, personne aux fenêtres.

    Seuls, quatre vieux messieurs fument des pipes à la terrasse du café, buvant des bocks.

    Sans percevoir exactement quel danger nous menace, Wilfrid et moi sommes vaguement inquiets.

    Nous nous asseyons à une table du café et commandons à boire. Un garçon, très correct, nous sert de l’air le plus naturel du monde.

    Un des consommateurs semble à ce moment prendre pitié de notre ahurissement.

    – Ces messieurs, dit-il, ont l’air surpris de se trouver en plein Paris à cette heure-ci ?

    Nous avouâmes notre surprise.

    – C’est toute une histoire, reprit le brave homme. Je vais vous la raconter. Je suis né à Paris dans une maison du boulevard, j’ai été apprenti coiffeur dans une maison du boulevard, garçon coiffeur dans une maison du boulevard, patron au boulevard. Je n’ai jamais quitté le boulevard, j’y ai fait ma fortune. Vivre sans le boulevard, sans les kiosques, ni les réverbères, les magasins, les stations de fiacres est impossible pour moi… L’année dernière, je suis tombé gravement malade et mon médecin m’a ordonné l’air de la forêt. Ce que je me suis ennuyé, dans cette forêt, loin de mon boulevard. Alors j’ai pris le parti de me construire un petit bout de boulevard avec ses accessoires, dans un morceau de forêt que j’ai acheté… Ces messieurs que vous apercevez, qui ont des têtes de généraux, d’avocats, de grands commerçants, sont de simples bûcherons à qui je taille les cheveux et la barbe, pour me donner l’illusion de la société parisienne. Vous allez peut-être vous moquer de moi, mais ça suffit à ma félicité

    Nous ne nous moquâmes pas de lui, bien au contraire ; car un homme qui sait se rendre heureux avec une simple illusion est infiniment plus malin que celui qui se désespère avec la réalité.

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    1. Très belle référence Cochonfucius. Ces courts textes de la Belle époque, avec ceux de Renard et d’autres, sont d’exquis chefs d’œuvre. En tout cas merci, je ne connaissais pas cette histoire, qui doit être la vraie référence de ceux qui disent, « comme disait Alphonse Allais, il faudrait avoir la ville à la campagne… »

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  2. J’ai découvert votre blog par les hasards des moteurs de recherche avec le mot-clé « Villefontaine ».
    Passé la lecture des pages consacrées à ma ville, je me suis laissé porté par vos mots et votre façon trés « impressionniste » de décrire les villes et les gens.
    Et je me suis souvenu que sur ma table de chevet, il y a « Voyage au pays des travellers » conseillé par Nassera il y + d’1 an;
    C’est décidé, je l’ouvre aujourd’hui …
    Bon suite à vos voyages et à vos récits
    Jean-Noël

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  3. Très Cher, en ce moment j »écoute de la musique de noir, tel que ton ami Ben l’entends journellement; ici au Québec à 106.3 FM tout les gens sont d’ici …et toi …By.

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