Pierre Rabhi (2), Qu’avez-vous fait du héros de ma jeunesse ?

jardin sauvage

En même temps, j’ai toujours été un peu sceptique quand j’entendais parler des méthodes agricoles mise en place par mon héros Pierre Rabhi.

J’aime ses pages de sensations, quand il tombe de sommeil sur sa mobylette, par exemple.

Je suis moins enthousiaste quand il ressasse des formules toutes faites sur la beauté de la nature et sur l’humanisme.

Et je deviens franchement dubitatif quand j’entends parler d’agro-écologie, et des miracles que cette méthode produirait, dès le moment où le sol se verrait dynamisé et débarrassé de ces diableries que sont les pesticides et des engrais chimiques.

Quand je vivais dans les Cévennes, j’en entendais beaucoup parler, mais il y avait toujours quelque chose d’un peu magique dans les paroles. On me disait que si le compost était fait comme ceci, ses résultats étaient extraordinaires. J’en vins à penser que le compost était un art en soi, et que j’étais dépourvu du talent nécessaire pour y réussir. J’entendais encore que si l’on cultivait comme cela, les productions seraient magnifiques. Sauf que personne n’était en mesure, apparemment, de cultiver « comme cela ».

Le chose la plus importante et la plus impressionnante était la question de l’eau. Il est dit et répété qu’avec très peu d’eau, on peut réussir à cultiver la terre avec des résultats qui n’ont rien à envier à l’agriculture conventionnelle. Que Pierre Rabhi, puisant dans ses origines sahariennes, savait recréer les conditions d’un oasis en pleine sécheresse. Que c’est pour cela qu’il a créé des lieux d’expérimentation et de formation à Gorom Gorom, au Burkina Faso. Evidemment, cet aspect nous faisait intensément rêver, et suscitait un espoir fou. Mais était-ce réel, était-ce fiable, était-ce tangible ?

butte tomate mildiou

Je n’ai jamais eu les preuves sous les yeux des méthodes révolutionnaires de Pierre Rabhi. J’ouvrais les bouquins de technique d’agro-écologie publiés par « Terre et Humanisme », et je ne voyais que des illustrations en dessin, des pétitions de principe. J’avais l’impression qu’on était devant un phénomène de croyance : le sage a parlé, il a expérimenté, il faut le croire.

Un film a été produit l’année dernière, Pierre Rabhi, Au nom de la terre. Un documentaire signé Marie-Dominique Dhelsing, co-produit par « Terre et Humanisme », l’association principale de la nébuleuse agro-écologique (qui fut d’abord créée sous l’appellation « Les Amis de Pierre Rabhi »). En terme d’indépendance de point de vue, on a fait mieux, dans le domaine des documentaires.

Je suis allé voir ce film avec ma mère, et nous n’avons rien appris de nouveau. La salle du superbe cinéma de Villefontaine (Le Fellini) était pleine à craquer, signe de la starisation croissante du penseur. La réalisatrice était présente pour répondre aux questions, et dans le film comme dans les débats, il n’était question que de planète, de respect, d’humanisme, de « terre nourricière », de mots creux et d’idées vagues.

J’aurais voulu avoir des preuves et des démonstrations qu’il était possible de nourrir des populations entières avec très peu d’eau et sans pesticides. Qu’on pouvait concrètement vivre de sa ferme en agro-écologie, c’est-à-dire qu’on mette en scène des comparaisons de méthodes de culture, sur des sols équivalents, et des comparaisons de production. Qu’on nous montre concrètement les miracles dus au compost et aux systèmes d’irrigation inventés malgré la sécheresse. Qu’il y ait un suivi probant des expérimentations faites en Afrique.

Rien de tout cela. Les images de terre et de jardin sont toutes décoratives, jamais explicatives. Les images de Gorom Gorom n’étaient vraiment pas engageantes. Et tout le long du film, on voit Pierre Rabhi sur tous les continents, en train de parler. En ceci, ce n’est pas seulement un film de propagande, c’est aussi un film extrêmement bavard. Tourné vers la communication et l’idéologie bien plus que vers la terre et l’agriculture.

mais

Sans le vouloir, on a fait du héros de mon enfance un communicant et VRP d’une cause que je ne comprends toujours pas clairement.

14 commentaires sur “Pierre Rabhi (2), Qu’avez-vous fait du héros de ma jeunesse ?

  1. Citation de Pierre Rabhi :

     » Un arbre unique et solitaire fait offrande de ses ramures au ciel incandescent.

    Nul ne sait par quel stratagème il a, dès son enfance, échappé à la main prédatrice de l’homme armé de fer, à la dent avide de l’animal famélique, à la rareté de l’eau et au dard du soleil plus que nulle part au sommet de son ardeur.

    Alentour est le désert infini submergé de silence séculaire parfois troublé par la rumeur lointaine de troupeaux évanescents allant sur les dunes et les immenses plateaux ensemencés de rocailles.

    Ici, l’espace et le temps sont confondus l’un par l’autre tenus, et n’ont d’autre mesure que la démesure de l’éternité. Dans cette vastitude lunaire librement parcourue de bise en février ou de vent en ouragan de sable, rugissant d’une fureur dont on ne sait la raison, l’arbre demeure en patience témoin superbe et pathétique d’un temps révolu.

    En m’approchant de la colline où il se tient en vigile de silence, il grandit à mes yeux. Il s’anime à mes oreilles et la main qui en caresse le tronc me dit sa puissance.

    Des battements sourds se font entendre. Je ne sais d’abord leur provenance, ils sont de mon propre cœur.  »

    http://www.pierrerabhi.org/blog/index.php?post/2014/02/12/Un-arbre-en-ma-memoire

    Peut-être un matériau pour quelques sonnets, je vais voir.

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  2. En fait, toute la démarche scientifique d’évaluation sérieuse de la permaculture (au niveau agronomique et économique) – c’est ce que demandent les gens d’AFIS-Ardèche – se trouve là, sous le menu « Etude INRA AgroParisTech » :

    http://www.fermedubec.com/ferme.aspx

    Mais il s’agit de la ferme du Bec Helouin (en Normandie) et on ne trouve rien de comparable, même pas un tout petit début, sur la ferme de TetH.

    Ma première conclusion, c’est que la ferme de TetH n’est pas une entreprise sérieuse, du point de vue agricole.

    La seconde, c’est que le soupçon formulé par l’AFIS, selon lequel il s’agirait plutôt d’une opération de communication, à fort contenu idéologique, le tout teinté d’ésotérisme et sur fond de green washing, ne me semble pas si mal vu.

    Quant à Pierre Rabhi lui-même, comme dit nenette, il a… 79 ans, et il a bien mérité de se reposer maintenant. 😉

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  3. Un mot de plus sur l’évaluation agro-économique de la ferme en permaculture du Bec Hellouin : l’étude arrive bientôt à son terme (2011-2014), et l’avant dernier rapport d’étape publié (décembre 2014), disponible sur le site, est spectaculairement positif.

    Ces pratiques permettent de faire vivre décemment à l’année (en terne de revenu comme de temps de travail) une personne sur 1000 m2 de maraichage permaculturel intensif, dans un cadre tout ce qu’il a de plus commercial et sans subvention.

    La preuve d’efficacité que tu cherchais chez TetH, c’est plutôt, à mon avis, au Bec Hellouin que tu la trouveras. A cette réserve prés que, le Bec Hellouin étant en Normandie (basse vallée de la Seine, entre Rouen et Le Havre), ce n’est pas un terrain très adapté pour expérimenter des conditions de sécheresse…

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  4. Ce qui m’étonne quand même, c’est le fort contenu idéologique de l’article « afis ardèche », avec par exemple de la moquerie, de l’ironie. Exemple : il y a une princesse, on se croirait dans Gala. Je ne connais pas ces journalistes – ou scientifiques- mais il me semble qu’il y a beaucoup de « passionnel » dans leur rapport écrit. Qu’en pensez-vous ?

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    1. C’est vrai Nénette pour la moquerie, mais pour le sage précaire, un peu de moquerie n’a jamais fait de mal à personne. Surtout quand un faible se moque d’un fort. Or, en l’espèce, le mouvement de Pierre Rabhi est très fort médiatiquement, et ne laisse pas trop de place au doute. Le blog de l’AFIS est le fait de gens qui ne représentent rien du point de vue de la célébrité, mais qui défendent simplement un certain usage de la raison. Leur point de vue est plutôt rafraîchissant à mon avis.

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    2. Bien sûr, les commentaires des gens d’AFIS-Ardèche sont ironiques, voire narquois, et peut-être même qu’ils ont mauvais esprit… mais il s’agit de commentaires portant sur des faits qu’ils rapportent. Ils assurent en avoir été témoins, ils ont vu (et il y a des photos), ils ont entendu (ils assurent avoir enregistré, avec l’accord des gens présents, et se borner à transcrire ces enregistrements).

      Certes, je n’ai pas vérifié tout ça par moi-même. Quoique, à l’occasion, si je passe dans le coin, je ne manquerai pas de faire un détour…

      Bref, il me semble que l’on peut faire facilement le tri, dans le rapport d’AFIS, entre ce qui relève du constat et ce qui relève du jugement. Alors que les choses m’apparaissent beaucoup plus confuses dans le discours de Terre et Humanisme, lors de cet épisode, mais aussi d’une manière générale, sur leur site et dans les médias.

      De toute façon, pour moi, l’ésotérisme de la vessie de cerf séchée, qui « prend les influences cosmiques » et les restitue « sur un plan vibratoire » (et le discours magico-astrologico-ésotérique de la biodynamie en général), ça suffit largement à discréditer à mes yeux ceux qui tiennent ce genre de discours…

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  5. Hier j’étais au Salon Primevère, à Lyon, qui continue encore demain, on a cité le Bec Hellouin qui pour moi évoque un monastère d’autrefois, et parlé de permaculture… ce qui m’a étonnée, c’est une certaine naïveté du discours (avec quelques arpents bien cultivés, on pourrait nourrir la planète…) comme les Incroyables comestibles, et le côté bien terre à terre, sans jeu de mots, des témoignages de jardiniers qui redécouvrent des pratiques en passe d’être oubliées : le sol, l’exposition au soleil, les niveaux de culture depuis les champignons jusqu’à la canopée. Tout cela s’oublie terriblement vite quand on est citadin(e) alors qu’en remontant un peu dans le temps on trouve si vite des aieux paysans. Bon, le Sage précaire a dans son arbre généalogique des merciers, on s’en souvient…

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    1. C’est gentil de le rappeler Nénette. En plus d’un mercier, le sage précaire a pour ailleux l’auteur de la Chanson de Roland et le précepteur de Guillaume le conquérant. Ce qui n’empêche en rien d’avoir de nombreux paysans dans la lignée glorieuse de la sagesse précaire.

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