Arguments contre et pour le livre numérique

Depuis des années, on entend des amoureux de la lecture clamer leur amour du livre en papier, et lutter de toute leur force heuristique contre les livres numériques. Je voudrais reprendre ici quelques uns des arguments que j’ai le plus souvent entendus.

1 – Je préfère le papier car j’aime le « charnel », j’aime toucher. Le livre numérique est « dématérialisé », on l’appelle d’ailleurs parfois « livre virtuel ». Je préfère le réel au virtuel.

2 – Le livre en papier est plus naturel, plus traditionnel. Il renvoie à une vie plus proche de la nature et des rythmes de vie plus traditionnels.

2 bis – Le livre en papier est plus « authentique ».

3 – Un livre en papier (codex) encourage la rencontre avec une oeuvre complète, alors que la liseuse électronique encourage la fragmentation de la lecture. L’ebook, c’est le zapping de la lecture.

Ces arguments, je les entends depuis toujours et je ne les ai jamais compris. Même intuitivement, en faisant un effort d’abstraction, je ne saisis pas ce que veulent dire mes amis. Je suppose qu’ils parlent de quelque chose qu’ils ne connaissent pas, qu’ils fantasment sur un mode technophobe extrêmement en vogue dans certaines couches de la population.

Je réponds brièvement à ces arguments.

1 – Une liseuse électronique est aussi charnelle qu’autre chose. Vous avez un objet entre les mains, et ce sont bien les yeux qui impriment sur la rétine la forme des lettres ; il y a bien du noir sur du blanc, de la matière. Ne soyons pas magiciens : rien n’est dématérialisé. Rien n’est virtuel, tout est bien réel.

2 – Le livre en papier n’est pas écologique, le papier est cause de déforestation. L’encre et la colle puent, polluent et salissent les mains. Le livre en papier renvoie à l’histoire de l’imprimerie, donc de la modernité économique, de la révolution industrielle et du capitalisme. Vous repasserez avec vos rythmes lents et naturels : le livre et l’écriture sont technologie, communication, rapidité, signe extérieur de richesse, etc.

2 bis – Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.

3 – Moi, je lis des œuvres complètes sur ma liseuse sans aucun problème. Le codex n’est qu’une étape récente des techniques de la lecture, et n’est en rien son essence.

On n’écrit pas d’œuvres qui ont la taille d’un livre codex, sauf les genres modernes comme le roman de gare. Nombre de genres littéraires produisent des « oeuvres » qui sont trop courtes pour occasionner la production d’un livre : poème, fable, conte, nouvelle, lettre, aphorisme, note, cas, saynète, etc. D’autres genres sont trop longs et débordent le livre : geste, mémoires, journal intime, saga, récit mythique, roman fleuve, oeuvres complètes, somme, etc.

Même des romans modernes, pourtant conçus pour la forme « livre en papier », aiment déborder le format et se répandre en plusieurs tomes. Voyez Proust, Tolstoï ou Martin-Du-Gard.

10 commentaires sur “Arguments contre et pour le livre numérique

  1. Comment ça, tu comprends pas ce que veut dire « Le livre en papier est plus « authentique »? C’est marrant ce refus de la notion d’authenticité. Eigentlichkeit, authenticité : ce qu’un étant ne peut être qu’à partir de lui-même. Un livre ne peut être un livre qu’en étant un livre, c’est évident.

    Enfin, c’est bien de citer Martin du Gard.

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  2. Pour ce qui est de l’authenticité : l’authenticité d’un livre est d’être un livre, soit. Mais l’authenticité de la lecture, en quoi est-elle liée au fait que la lecture se fasse dans un livre (1) codex (2) en papier (3) ?
    En quoi lire Homère sur un livre en papier est authentique ? Toute la littérature antique s’est faite hors de ce format. Même chose pour la bible, ou pour les littératures extra-eruopéennes.
    Et pour nos auteurs modernes : prenons Proust. La seule lecture authentique de Proust serait de manipuler ses cahiers, de déchiffrer son écriture, de s’amuser avec ses « paperolles ». Or, Proust ne voulait pas que l’on fît cela, il projetait un livre fini sans ratures et à l’apparence impeccable. Le lire sur un écran est donc plus respectueux de ce que voulait Proust. Le papier n’est qu’un intermédiaire entre le brouillon des cahiers de l’artiste et le fichier gracieux qui glisse sous la surface d’un bel écran.

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    1. Le papier (et avant lui, parchemin, tablettes, papyrus et autres supports) a toujours été conçu comme intermédiaire.

      La source du livre est le discours d’un auteur ; sa destination est un écho de ce discours chez ceux et celles qui le lisent.

      Changer d’intermédiaire n’est pas anodin, mais ce n’est pas dramatique, non plus. Si je faisais une randonnée avec une personne capable de réciter par coue le Devisement du Monde, ce serait aussi une façon de voyager avec ce livre.

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      1. Changer d’intermédiaire n’est pas anodin, c’est vrai, ça peut même se révéler un bienfait. En l’espèce, j’aime toujours le livre en papier, mais je préfère naturellement une belle tablette grise et fine, propre et douce, à un livre mal imprimé sur un papier cheap.

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  3. La grande différence entre une librairie électronique et une librairie papier, c’est de pouvoir trouve ce qu’on ne cherche pas. Chez Amazon, aucun feuilletage, on commande ce que l’on connait déjà. Je serais étonné, Guillaume,que vous n’ayez pas fait de découvertes en librairie (je ne parle pas des points de presse Hachette)

    C’est d’ailleurs ce qui se passe lorsqu’on feuillette une encyclopédie papier. L’encyclopédie électronique ne répond sèchement qu’à la demande.

    Pour ce qui est de l’argument écologique,le mieux est de laisser chaque support à ses pollutions propre, si j’ose, l’industrie papetière ne détruit que ce qu’elle a planté, on ne fait pas de papier avec des chênes, et les métaux lourds et rares de nos machines électroniques ont un impact certain.

    Mais je suis utilisateur des deux supports, un pollueur universel en quelque sorte.

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  4. Concernant le troisième argument (le papillonnage que la lecture d’un livre immatériel permettrait) j’ai constaté l’inverse: lire sur un écran m’enferme dans un « tunnel de lecture » qui me donne une meilleure concentration. Rien de plus facile que de poser un livre (codex) pour consulter un autre livre ou l’ordinateur, ou une autre page du livre, alors que la manipulation pour sortir d’un livre et entrer ailleurs est rebutante sur une tablette et encore plus sur une liseuse. C’est sur l’ordinateur qu’on est toujours à un clic de n’importe quoi d’autre<; mais on ne peut pas lire un long texte sur un ordinateur, juste chercher une citation.

    Aussi bien, le véritable support de l'écrit qui interdit de se divertir, c'est le volumen, le rouleau qu'on lit depuis le début, où "sauter" à une autre page n'est pas concevable. Là dessus lire Ivan Illich "Du lisible au visible : La Naissance du texte, un commentaire du «Didascalicon» de Hugues de Saint-Victor" (1991). Le codex, les pages cousues qu'on peut tourner, fut une révolution de l'écrit, qui a permis de feuilleter, d'indexer, de donner des coordonnées à un paragraphe (page et ligne) et d'entrer n'importe où dans le texte. C'est relativement récent (moins de 2000 ans, en Chine comme en Occident). Il semble que les traditionalistes étaient contre. A la synagogue, on continue de lire la Bible (les cinq livres) sur le grand rouleau, où on progresse chaque semaine du début à la fin, avant de recommencer au bout de l'année.

    Pour le reste, si toxiques et néfastes que soient les métaux et matériaux de synthèse dont est faite la liseuse, son poids est comparable au poids de l'encre (sans parler du reste) de quelques mètres de rayonnage de livres. Et on en utilise de moins en moins, les matériaux néfastes sont généralement très chers, aussi.

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  5. Le mot livre vient du latin liber, le même mot qui est aussi la racine de libre. Je ne sais pas s’il y a un rapport. Ce qui est sûr, c’est qu’un livre a un volume, il occupe une place dans l’espace, pas la liseuse. Et on peut écrire sur un livre, pas sur une liseuse. Le fait de prendre de la place, c’est à la fois un handicap et une qualité.

    Enfin bon, moi je n’ai jamais utilisé de liseuse (je pense que j’aurais du mal à m’y mettre, de toutes façon je suis trop vieux)

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