Le Wadi au fond du jardin

Le soleil va se coucher. Shamsa me regarde avec cet air de folie qui la rend illisible et insaisissable. Elle donne un léger coup de tête vers Jebel Akhdar (la Montagne Verte qui nous borde sur la gauche).

Tu veux toujours batifoler dans la rivière là-haut ?

Oui, dis-je. Je désire toujours les rivières, toujours les gorges. Tu es partante ? N’est-il pas trop tard ?

Au volant de son 4*4 toujours aussi sale elle quitte la route pour emprunter une piste qui part entre deux montagnes.

« Ok, ici c’est ma route préférée (elle dit souvent le mot favorite ; il y a toujours quelque chose qui est son quelque chose préféré, my favorite wadi, my favorite road), c’est ma route préférée, alors si tu ne saisis pas ta chance pour faire le con à travers la fenêtre, tu prends le volant et moi j’en profite. »

Ayant moyennement envie de faire le con, de quelque côté de la fenêtre que ce soit, je prends le volant et continue de nous enfoncer dans la vallée tandis que Shasma se contorsionne hors de la fenêtre ouverte et fait des acrobaties que je me refuse de regarder.

Une dizaine de kilomètres plus loin, nous garons le bolide sur des cailloux et partons marcher. Sur la première piscine perceptible, des enfants se baignent et s’amusent. Mon amie saute sur des rochers, je la suis. Nous remontons la vallée en passant par dessus l’eau.

Le paysage est magnifique. Un grand canyon à la roche blanche qui me fait penser aux gorges du Tarn ou du Verdon. Que ce paysage d’eau et de minéralité joyeuse se trouve ici, à quelques kilomètres de chez moi, est sans doute la meilleure nouvelle qu’a pu m’apporter Shamsa.

C’est donc ça un wadi ?

Oui, on appelle wadi tout ce qui se rapproche d’une vallée, un creux, une rivière entre deux hauteurs.

Elle emploie d’autres mots anglais que je ne connais pas.

Des adolescents à la peau foncée nous matent. Shamsa sait reconnaître qui est indien et qui est omanais. Pour moi, la différence importe peu, mais pour les femmes, il paraît que cela compte. Le facteur de dérangement potentiel serait différent en fonction de la provenance des jeunes gens.

En bon macho précaire, je conseille à mon guide de rester près de moi, que ma présence est en général un bon antidote aux emmerdements. Soit que je fais peur aux gens ou que je leur inspire du dégoût, il n’est jamais arrivé que de jeunes marlous viennent enquiquiner ma caravane.

Nous rejoignons la rivière après un long détour et nous baignons dans une eau assez chaude tandis que la nuit tombe. Nous marchons et nageons alternativement, selon la profondeur des piscines naturelles. Arrivés à la hauteur des adolescents, nous prenons note qu’il ne sera pas utile que mon amie se colle à moi : ils sont partis avant que la nuit tombe. Tu vois, dis-je à Shamsa, je t’avais annoncé que les ennuis me fuyaient. Ils s’évanouissent avant même que je me pointe.

Nous nous laissons glisser sur des petits rapides et mon exploratrice d’amie fait la planche dans de splendides ouvertures.

Tu reviendras quand il fera jour, dit-elle en s’approchant de moi. Il est à toi ce wadi. Tu peux même venir en courant, après le boulot. Ce n’est pas le plus beau, le plus grand ni le plus spectaculaire wadi d’Oman, mais c’est le tien. Il est là, juste au fond de ton jardin.

6 commentaires sur “Le Wadi au fond du jardin

  1. tu m’as donné à lire de très belles phrases, de sublimes descriptions, de profondes analyses depuis que j’ai découvert ton blog.
    Tu savais si bien retranscrire ce que je resentais notamment sur sylvain tesson, la télé, canal +, l’art, la danse ….
    Mais là … ça se transforme en roman à l’eau de rose … je comprends que tu sois sous le charme de cette orientale, et que ça te fasse oublier ton latin …
    pensées amicales et sincéres.

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  2. Bonjour, merci de ta réponse.
    Je sens depuis ton arrivée à Oman, une indolence, un ralenti dans ton écriture et ton phrasé …
    L’orient t’a ensorcelé ?
    Mais je te rassure je continue de te lire assidûment, régulièrement et d’apprécier toujours autant ta prose.
    Pensées amicales.
    Bien à toi.

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