Avant-hier, j’ai assisté à une belle performance théâtrale, dans la salle « Brian Friel » de l’université. Il s’agissait d’une pièce de l’auteur comique latin Plaute, qu’une étudiante en théâtre avait traduite pour son doctorat.
A la fin de la lecture, très bien jouée par des acteurs de vrai talent, nous fûmes invités à rester dans la salle pour une séance de « feedback ». L’étudiante traductrice est venue sur scène et a posé des questions à l’audience. Qu’avez-vous pensé de l’humour ? Pensez-vous que ça fonctionne aussi bien pour une audience contemporaine de Belfast que pour les contemporains de Plaute ?
Je pensais que nous resterions tous muets, mais quelques personnes du public ont donné leur opinion, à haute voix, en restant assises dans les gradins. Il y a même eu une dame pour reprocher à l’étudiante d’avoir été un peu superficielle, et qui aurait bien vu « plusieurs couches » de significations.
Moi, j’étais un peu ahuri. C’est la première fois que je voyais ça. A mes yeux on allait trop loin mais, encore une fois, grâce à cela, je pouvais soudain réaliser combien le « feed back », le retour, le jugement, l’appréciation, étaient devenus une obsession à l’université.
On demande souvent comment a été perçue telle chose, une conférence, un cours, n’importe quoi. On nou distribue toujours des fiches d’évaluation, où il faut cocher des cases. Nous sommes tous pris dans un tourbillon d’évaluations et de jugements, dans lequel je perçois moins une élévation vers la perfection qu’un contrôle constant, un narcissisme étouffant et un système de surveillance.
A mon avis, c’est le résultat de deux éthiques : celle de l’administration et celle du « bon élève ». L’administration met sur le même plan la création et le commentaire, et pour elle ce qui a de la valeur, c’est l’appareil de notes, d’appréciation. Le bon élève, comme je l’ai déjà évoqué ici, jouit et jubile de l’attention que les adultes lui portent. Il se love dans le système universitaire car il ne peut pas avoir de public, de lectorat, d’audience, il peut avoir des professeurs, des collègues, des administratifs qui sont payés pour cela, pour lui donner de l’attention, lui donner des bonnes notes et lui procurer des caresses narcissiques.
Les bons élèves devenant personnel universitaire, cette éthique nombriliste se perpetue et se généralise, croît sur les exigences administratives de papiers, de notules et de bulles.
J’ai toujours rechigné, pour ma part, à demander aux gens ce qu’ils pensaient de ce que j’avais écrit. Non pas parce que cela m’était indifférent, mais parce que je ne voulais pas les embarrasser. Moi, quand je n’aime pas un texte, je préfère qu’on ne me demande pas mon avis, car je serai dans l’obligation de mentir ou de dire quelque chose de désagréable.
Alceste
J’ai le défaut
D’être un peu plus sincère en cela qu’il ne faut.
Oronte
C’est ce que je demande ; et j’aurais lieu de plainte,
Si, m’exposant à vous pour me parler sans feinte,
Vous alliez me trahir, et me déguiser rien.
Alceste
Puisqu’il vous plaît ainsi, monsieur, je le veux bien.
Oronte
Sonnet. C’est un sonnet…
(…)
Oronte
Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre.
Mais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet…?
Alceste
Franchement, il est bon à mettre au cabinet.
J’aimeJ’aime
j’aime bien votre blog, ce mélange de vie quotidienne et de réflexion sur les moeurs universitaires, un vrai plaisir !
J’aimeJ’aime
Merci beaucoup nath01, je suis touché.
C’est tout à fait ça Cochonfucius. Demander un feedback doit se faire dans une société hautement éduquée et hypocrite. Les malotrus comme Alceste ou le sage précaire n’y sont pas tout à fait à leur aise.
J’aimeJ’aime
Au secours! je reçois encore des formulaires à remplir pour diverses administrations de la fac, qui veulent mon avis pour « améliorer leur service ». Qu’est-ce que c’est que cette volonté obsessionnelle de s’améliorer ? Je ne peux pas passer une nuit dans un hôtel sans recevoir un email me demandant de donner un feedback. Pas de restaurant qui ne demande qu’on remplisse une putain de fiche. C’est à devenir fou, mes amis.
Oui, j’ai dormi, j’ai été nourri, j’ai été payé, les livres ont été reçus, rassurez-vous tous, et cessez une seconde de demander que l’on commente vos moindres faits et gestes!
Un bon service, à mes yeux, commencent par une forme de discrétion.
Non mais sérieusement, n’y voyez-vous pas une forme de pathologie collective ?
J’aimeJ’aime