Musée imaginaire dans une ville imaginaire

Ghirlandaio dans la ville du Vigan

Le grand peintre italien est né il y a 575 ans exactement, près de Florence.

(Les Italiens, selon Philomena Cunk, appellent cette ville Firenze pour empêcher les touristes de trouver Florence sur la carte.)

Il est ironique de décorer la rue la plus pestilentielle d’une ville avec un peintre mort de la peste en 1494.

On note cependant une remarquable correspondance entre les couleurs de cette Visitation et celles du mur de la vieille ville.

Mon petit potager en juin

Je n’ai pas donné de nouvelles de mes tomates. Pourtant je passe du temps chaque jour autour de mes plantes potagères. La plus grande nouvelle dont je puisse être fier est le léger rougissement des tomates les plus précoces.

Si un oiseau ne vient pas becqueter mes beaux fruits, je pourrai manger ma première tomate dès le mois de juin.

Dans le jardin potager, tout ce que j’ai semé et ce qu’on m’a donné poussent à merveille. Les tempêtes récentes, les grêles et les saints de glace n’ont pas eu d’impact sur mon petit carré.

Mon basilic se porte bien. Je suis très fier de voir les quinze petits plants grandir avec timidité. Les premières feuilles de basilic sont brillantes et vigoureuses.

Et pour ce qui est des tournesols que mon frère m’a donnés, pas de commentaire. Ils sont chez eux et règnent littéralement sur mon potager.

Un Français en Iran. Désérable nous rassure : nous sommes bien supérieurs

Un récit de voyage en Iran, écrit par un jeune écrivain reconnu par la scène littéraire. Un voyageur d’aujourd’hui qui met ses pas dans ceux de Nicolas Bouvier : je ne pouvais pas passer à côté de l’événement.

Tite de livre, le titre : L’usure d’un monde. Publié en 2023 par Gallimard. On reconnaît l’écho de Bouvier et de son Usage du monde publié en 1963. Un hommage rendu en forme de soixantième anniversaire du classique de la littérature de voyage.

L’usure d’un monde. On sent qu’outre le jeu de mot avec le livre de Bouvier, ce livre va nous expliquer que le régime des Mollah est usé jusqu’à la corde, et que c’est un monde qui est destiné à s’écrouler. Très original. Aussi original que la dédicace mise en exergue :

Aux Iraniennes

vent debout

cheveux au vent

Encore un Français obsédé par le voile et les cheveux des femmes musulmanes.

Titre de livre, le livre : le contraire de ce que fit Nicolas Bouvier en 1963. Désérable passe un mois en Iran pour nous rassurer sur nos clichés, nos attentes, nos certitudes. Il tient le rôle du voyageur qui, plutôt que de nous déstabiliser sur des façons d’être différentes, nous confirme que nous, les Occidentaux, sommes dans le vrai, le bien et le doux. Désérable remplit son office en consolidant nos préjugés déjà formés par les médias ; les autres sont bel et bien comme on le pensait : bornés, tyranniques et misogynes.

Terminer un cours de philosophie

J’ai donné mon dernier cours de philosophie hier, 1er juin 2023. Je ne suis pas en vacances car d’autres tâches m’attendent encore. Les élèves qui le veulent pourront aussi venir en classe pour réviser le programme avec moi sous forme d’exercices pratiques, d’entraînements à la dissertation et à l’explication de texte.

Mais en cette fin de semaine, le programme de la classe terminale est bouclé. Je me faisais un point d’honneur de consacrer un cours à toutes les notions prévues dans les textes officiels, même s’il est explicitement rappelé que ces notions pouvaient apparaître de manière libre, à l’intérieur d’un cours organique. J’avais remarqué que les élèves, même et surtout ceux qui manquent d’assiduité, étaient très sensibles à cette dimension programmatique de leur cours. Ils tiennent à avoir « fait » les chapitres correspondant à ce qui est annoncé dans la première page de leur manuel. Vous êtes regardé avec suspicion si vous expliquez : « Vous avez étudié l’idée de nature sans avoir fait un chapitre sur le notion de nature. Souvenez-vous, nous en avons parlé avec l’idée d' »état de nature » développée par Hobbes et Rousseau, et aussi avec Kant qui nous enseignait ce que la nature demandait à l’homme. Nous en avons beaucoup parlé dans notre cours sur le travail et celui sur la technique, rappelez-vous les textes d’Aristote, de Descartes, de Marx… » Leur regard silencieux en dit long. Non, le chapitre n’est pas fait.

En ce qui me concerne, j’aime mettre un point final à quelque chose, car je ritualise un peu ma vie. Je souligne par des actes symboliques les virages et les passages. Je crois avoir soigné la dernière page de mon livre Birkat al Mouz. Je trouvais beau que le récit se termine par le mot « concentration ». Dieu sait pourquoi. Pour moi, cela sonnait comme un coup de gong grave et solennel qui devait résonner longtemps dans l’âme du lecteur. Hier, j’ai donc conclu mon cours sur l’État et la dernière diapositive de mon document PowerPoint était une déclaration très auto-satisfaite :

Fin du programme. Merci à tous.

Cela a déclenché une salve d’applaudissements dans les trois classes que j’ai enseignées, alors même que j’avais eu le plus grand mal à faire respecter le calme dans des groupes d’élèves nombreux et dissipés par la fatigue. Les élèves, aux aussi, étaient satisfaits, même et surtout ceux qui n’avaient rien écouté.

Où se situe le passage sur la peur dans L’Usage du monde ?

Je relis L’Usage du monde de Nicolas Bouvier avec délice. Je ne compte plus le nombre de mes lectures. L’Usage du monde fait partie de moi depuis que je l’ai découvert lors d’un voyage en Thaïlande et au Cambodge en 2005.

Aujourd’hui, printemps 2023, je le relis à l’occasion d’un article que je rédige sur la réception de Bouvier sur les îles britanniques, mais aussi pour aider une de mes élèves qui a choisi de traiter de la peur pour son Grand Oral du baccalauréat. La peur. Beau sujet de réflexion, et étrange intérêt. Pourquoi une jeune fille de 17 ans veut plancher sur la peur ? Je lui ai parlé de ce passage dans L’Usage du monde où Bouvier sent qu’il ne doit pas rester là. Il est pris par une panique inexplicable. Il dit que le lieu lui-même nous intime l’ordre de partir. Il dessine, ce faisant, une petite théorie de la peur comme instinct de conservation.

Mais où ce passage se trouve-t-il dans le récit du voyageur ? Je le recherche depuis quelques jours, en refusant d’aller voir les notes que j’ai prises quand je faisais ma thèse. Je tiens à relire le livre car j’en découvre à chaque fois de nouveaux passages oubliés, des couleurs inattendues, des tournures inouïes.

Je me retrouve dans le dernier quart du récit, en Afghanistan, et n’ai toujours pas retrouvé mon passage sur la peur. C’est troublant car j’étais persuadé qu’il se situait dans les Balkans. Mais je crois avoir relu très précisément tout le chapitre sur la Yougoslavie et être resté bredouille.

Alors j’en appelle à la sagacité et la générosité des lecteurs fidèles de La Précarité du sage. Avez-vous une idée ?

Comment François Bégaudeau a perdu son emploi

Il y a mille manières de se retrouver au chômage et de belles perspectives associées à cette compétence que j’ai appelée en 2007 « Savoir perdre son emploi ». Je le dis à tous ceux qui souffrent du monde du travail et qui prétendent que leurs affaires tournent bien pour faire bonne figure : il ne faut pas avoir honte d’une période de chômage, cela ne dégrade pas l’idée que l’on se fait de vous.

Ni dissimulez pas les épisodes conflictuels que vous avez connus et qui vous ont valus de tomber malades, d’être harcelés, d’être traînés dans la boue par des cons. Cela arrive. Cela n’entache pas votre profil professionnel, car nous savons que derrière un employeur se cache parfois un être faible et méchant.

Prenez le cas de François Bégaudeau, écrivain et critique très puissant du monde littéraire d’aujourd’hui. Après la publication d’Histoire de ta bêtise, le magazine Transfuge l’a viré en essayant de le salir. Souvent dans les ruptures : il ne suffit pas de voir la personne s’éloigner, on veut en plus l’égratigner, justifier sa décision en soulignant des défauts de caractère rédhibitoires chez elle. Le patron de Transfuge n’y manque pas en nous informant que Bégaudeau n’a pas d’amis, qu’il n’est pas aimé dans le milieu, que c’est une tête de con.

Quelle bassesse d’âme de la part de ce Vincent Jaury. Pourquoi ne reste-t-il pas à sa place de directeur ? Son argument est perfide et surtout contre-productif car le lecteur et tout nouvel employeur peut facilement voir le verre à moitié plein : certes, Bégaudeau s’est engueulé avec d’autres gens, mais il a donné totale satisfaction pendant quinze ans ? 15 ans ? C’est énorme comme longévité dans une entreprise culturelle.

Personne, aujourd’hui, n’espère conserver un collaborateur au-delà de quelques années. À mes yeux, le fait que Bégaudeau soit allé au clash avec plusieurs employeurs et camarades, ce n’est pas le signe d’une personnalité toxique et caractérielle. Au contraire, j’y verrais plutôt la marque d’un esprit sérieux et perfectionniste, entier et libre, n’ayant aucune crainte de se retrouver sans emploi. Alors le patron Vincent Jaury, ne supportant pas cette impertinente liberté de ton, décide d’accuser Bégaudeau du plus grave des forfaits : l’antisémitisme.

Là, c’est le coup de grâce. Dans la presse parisienne, on ne se relève pas d’une accusation d’antisémitisme. Bégaudeau se défend sur son blog en affirmant que son sujet n’était évidemment pas « les juifs d’aujourd’hui », mais le fait très connu et vérifiable que les juifs français sont devenus globalement de droite, et son expression fut « l’abêtissement récent des juifs de gauche ». Il n’y a rien là d’antisémite, et le coup revient en boomerang au visage de Transfuge. Ce type d’arguments employés pour souiller des individus avait déjà été employés par Philippe Val quand il s’occupait de Charlie Hebdo et avait déjà valu une grande fuite des lecteurs.

Transfuge, n’étant déjà pas très lu, a choisi clairement son camp. Celui de la subvention gouvernementale pour survivre plutôt que la recherche d’un lectorat. L’apparition quelques ligne plus loin du nom d’Éric Naulleau confirme ce mouvement.

Quand vous faites appel à des personnages médiatiques qui ne pensent pas, qui ne proposent rien, c’est que vous êtes à court d’argument. « D’ailleurs, Eric Naulleau l’a dit », voilà qui vous discrédite pour l’éternité aux yeux des lecteurs, mais qui rassure les donneurs d’ordre. Naulleau fait partie de ces gens dont le rôle principal consiste à taper sur la gauche tout en se réclamant de gauche, pour affaiblir autant que possible toute possibilité d’alternance. Ce patron de Transfuge ne pouvait pas mieux s’y prendre pour donner de la gloire à Bégaudeau.

François Bégaudeau a donc donné une leçon de précarité. Il a su perdre son emploi avec flamboyance et en acquérant du prestige au passage. La sagesse précaire lui tire son chapeau.

La France offre un jour férié national pour fêter l’Aïd al Fitr

Pour terminer cette série sur la laïcité, qui a commencé, je le rappelle, avec une petite réflexion sur Emmanuel Kant, je propose d’organiser un référendum qui poserait aux Français la question suivante :

Voulez-vous un jour de congé supplémentaire pour que la nation reconnaissante fête avec ses frères musulmans la deuxième religion de France, à l’occasion de l’Aïd al Fitr ?

Tous les ans, à la fin du ramadan, les Français pourraient avoir un week-end prolongé grâce au vendredi qui suit l’aïd. Les écoliers et les employés du service public se réjouiraient. Les professionnels du tourisme verraient soudain d’un bon oeil cette religion musulmane qui leur permet de remplir les hôtels et les restaurants, alors qu’elle n’est présentée d’ordinaire que d’une manière négative.

Vous m’avez bien lu, je ne demande pas une loi, mais un référendum. J’aimerais voir les Français débattre sur cette idée d’un jour de congé supplémentaire et de la place joyeuse que doivent prendre les musulmans dans notre nation.

Quoique. Les arguments identitaires pleureraient sur nous comme une averse interminable. Les économistes orthodoxes expliqueraient que les Français travaillent déjà trop peu et qu’il faut au contraire augmenter les nombre d’heures au boulot pour soigner notre compétitivité. Les musulmans seraient à nouveau associés à des clichés de paresse. On les accuserait de tirer au flanc alors que tout ce qu’ils demandent est qu’on leur fiche la paix.

Non, finalement, le mieux serait une loi autoritaire, à la française, couplée à l’abrogation de la loi sur la laïcité de 2004. Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas. Les signes religieux sont de retour. Comme je l’ai déjà écrit en 2010, nous serons encouragés à accueillir les plus belles mosquées. Toutes les confessions sont invitées à célébrer dans la joie et les couleurs. Nos villes et nos villages connaîtront un âge de renaissance.

L’origine de l’intolérance des Français

Nous sommes samedi 20 mai 2023. Les gens qui travaillent dans le secteur public sont en weekend prolongé grâce au « jeudi de l’ascension ». Comme jeudi était chômé, l’État nous offre de « faire le pont » et de rester chez nous vendredi. Fête catholique. Vive la république laïque.

Le weekend prochain sera aussi prolongé pour nous car ce sera « lundi de la Pentecôte ». Fête catholique. Merci à la laïcité qui prend bien soin de séparer l’église et l’État.

Tout cela se déroule quelques jours seulement après une séance de formation d’une journée entière sur la laïcité où l’on nous a bien expliqué qu’il ne fallait pas être « naïf » devant les risques que faisait courir « l’islam politique ». Je vous laisse imaginer ce que pensent (en silence, inévitablement) les musulmans présents dans les salles de classe.

Ce n’est pas tout à fait un hasard si les fêtes qui s’imposent toujours à nous sont des fêtes catholiques et non chrétiennes en général. Le catholicisme a survécu dans le corps social et a profondément imprégné les républicains anti-cléricaux.

Parmi les caractéristiques du catholicisme, il y a l’intolérance absolue. La religion y est vue comme une cité de Dieu, avec un seul chef sur terre correspondant au seigneur de l’univers. L’organisation de l’Eglise donne sa place à tout un chacun et nul n’a besoin de fonder sa petite église dans son coin. Tout le monde est couvert par la seule église universelle et apostolique. Si certains veulent dévier un peu, et lire la bible différemment, on les appelle hérétiques et on les aide à revenir sur le droit chemin. Pour le bien de leur âme, on les presse d’abjurer et de réintégrer la seule vraie foi.

Des siècles après le concile de Nicée qui prévoit d’excommunier ceux qui voient Jésus comme un homme, les républicains se sont crus très anti-religieux mais ont gardé ce vieux fond catholique. Pour le bonheur du peuple et l’édification des masses, un modèle unique devra s’imposer.

Et c’est ainsi que la France est parcourue par une tendance profonde, venue de son catholicisme médiéval, lui-même issu de l’antiquité tardive : la tendance à l’autoritarisme, la massification, l’égalitarisme de façade, le populisme incantatoire et la recherche de l’homme providentiel. De là vient, je suppose, son intolérance délétère.

Les filles voilées chez nos voisins

Dans les films et les séries, on voit des classes de lycée où des filles sont voilées, et on s’étonne après cela que les jeunes Français soient défavorables en majorité à la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école. Ils ne voient tout simplement pas où est le problème.

Chez nos voisins et partenaires, personne ne comprend la France et personne surtout ne pense que la France est efficace sur le plan du fondamentalisme religieux.

Les pays anglophones et scandinaves, pour ne parler que d’eux, sont pragmatiques. Ils apprécient une situation et ils agissent en conséquence de ce qu’ils observent. Ils acceptent les signes ostensibles d’appartenance religieuse car il a été prouvé que cela ne provoquait aucune tension. Par ailleurs, ils prennent au sérieux les crimes, les violences et les attentats. Ils traitent cette question avec pragmatisme aussi. Ils ne sont pas naïfs, ils ont des espions partout, ils renseignent, ils contrôlent, ils préviennent les passages à l’acte.

Ce que les Français doivent comprendre, simplement, c’est que nos partenaires distinguent les questions religieuses et les questions de sécurité. Une mosquée, pour eux, n’est pas un nid de fanatiques. C’est juste un lieu de prière. Quand ils cherchent une bombe ou un malfaiteur, ils ne sont pas distraits par des collégiennes qui portent un turban sur la tête et des manuels de sciences dans leur sac-à-dos.

D’expérience, ils savent que ce n’est pas dans les mosquées que les jeunes se recrutent pour aller au Jihad. Ils évaluent l’expérience française d’interdiction au nom de la laïcité, et ils décident de ne pas suivre notre modèle.

Des formations « laïcité » dans une république en quête de valeurs

Le moment le plus frappant de la journée « laïcité » fut cette réflexion menée par un professeur que je ne connaissais pas, un collègue qui s’occupe de classes d’élèves en difficulté : « Cela fait vingt ans que j’enseigne et que je vois mes enfants grandir. Selon moi les valeurs de la république ne sont pas menacées au premier chef par les musulmans. La pression que je vois s’exercer sur nos jeunes, c’est la pression du marketing, des grandes entreprises pour faire d’eux de dociles consommateurs. L’islam politique dont vous nous parlez, je ne dis pas qu’il n’existe pas, mais ce n’est pas la pression la plus grave qui menace l’ordre républicain. »

Les formateurs ne surent pas que répondre. J’ai même eu la sensation que les formateurs ne comprenaient pas les paroles de mon collègue. Pourtant, il était clair et concret. Les formateurs furent au contraire approximatifs et abstraits, c’est sans doute pour cela qu’ils ne sont pas entendus.

Dans les collèges et les lycées de France, l’État demande des formations de grande ampleur sur la laïcité. L’État français craint que les « valeurs de la république » soient piétinés par des fondamentalistes, alors les professeurs et tous les personnels de l’éducation nationale sont invités à suivre des sessions de formations très longues. Cela peut durer des heures, et cela peut occasionner des journées banalisées pour les élèves.

Ecoutez, chers élèves, restez chez vous, vos profs ont autre chose à faire. Ils doivent se former à la laïcité. Il paraît qu’il y a des centaines d’ « atteintes à la laïcité » chaque année. La république serait donc en danger et les instances les plus hautes de l’État décident qu’il y a urgence de remettre les points sur les i. Il paraît que la plupart des professeurs ne se sentent pas « armés » pour en parler aux élèves, qu’ils ne sentent ni « légitimes », ni assez « informés » sur ce sujet.

L’impression qui ressort de cette journée de formation est que professeurs et élèves comprennent, acceptent et appliquent la laïcité, et n’ont pas besoin de formation pour cela. En revanche il apparaît qu’ils ne comprennent pas bien la loi de 2004 sur les « signes religieux » à l’école, et ils ne la comprennent pas parce qu’elle est en effet incompréhensible. Ce n’est pas le peuple qui a besoin de formation, c’est la loi qui est mal pensée et qui ne pourra jamais être assimilée par le peuple.

Les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive

Bulletin officiel, mai 2004.

Qu’est-ce qu’une dimension « manifestement » excessive ? Et pourquoi faut-il interdire des signes qui manifestent une appartenance religieuse ? En quoi cela nuit-il au principe de la séparation de l’Église et de l’Etat ? On le sait depuis les débats de 1989, le but est simplement de stigmatiser les musulmans sous couvert de défense des valeurs républicaines.

Les formateurs étaient des gens charmants et compétents, mais ils ne pouvaient répondre au malaise des personnels qui ne supportaient pas le climat raciste qui pèse sur eux.

Un enseignant fit une remarque très pertinente qui mit en crise le dispositif des formateurs. « Votre diapositive montre trois colonnes, qui s’intitulent « Liberté », « Egalité » et « Séparation ». Vous avez escamoté le troisième mot de notre devise, « Fraternité », et à la place vous avez mis son contraire, la « séparation ». Nous, au quotidien, on essaie de faire de la fraternité et c’est de cela que nos élèves ont besoin, alors que vous nous encouragez à séparer. »

Un autre collègue rappela que l’Islam « ne venait pas d’ailleurs », mais était une religion française par la volonté de l’État français. « Cela fait plusieurs fois que vous dites quelque chose qui me choque : en 1905 la république ne reconnaît que les formes de christianisme et le judaïsme. Mais vous occultez qu’en 1905 la France est un empire colonial qui a conquis des territoires habités par des musulmans. L’islam est de facto une des religions de France depuis des siècles. »

Un professeur de sport, plus tard, a confessé avoir accepté qu’une fille en burkini apprenne à nager. Il a demandé aux maîtres nageurs de « fermer les yeux ». Il était tout penaud : « À la fin, la petite a réussi à nager, donc j’étais satisfait, mais j’étais hors la loi ». Il demandait presque pardon alors qu’il aurait dû être récompensé pour son action humaine et pédagogique.

Et cela n’arrêtait pas, et les formateurs n’avaient pas les mots.