Sonia & Alexandre Poussin s’emmêlent en Afrique sur les religions

Photo de Thirdman libre de droit pour illustrer un article lui aussi libre de droit. Prise sur Pexels.com

Si l’on en juge par les deux tomes d’Africa Trek, succès de librairie publiés respectivement en 2004 et 2005, la religion joue un rôle crucial dans la vie et les choix des écrivains voyageurs. Curieusement, quand Sonia et Alexandre Poussin entrent en Israël, après avoir lancé des piques gratuites contre les Palestiniens, ils participent joyeusement à des cérémonies juives alors qu’ils n’ont partagé aucun office religieux ni musulman, ni animiste, dans aucun des pays traversés, depuis l’Afrique du Sud jusqu’en Egypte.

Ils ont le bras assez longs pour traverser la frontière israélienne facilement, ce qui est un exploit compte tenu des accablants témoignages que laissent les voyageurs indépendants qui vont en terre-sainte, mais ils n’ont pas assez de connexions pour être accueillis dans une mosquée. Ils passent des semaines et des mois en terre d’islam, Egypte, Soudan, Zanzibar, et ils n’ont trouvé personne pour obtenir ce que j’ai mainte fois donné en Oman : une initiation à la prière musulmane, à la manière de faire les ablutions, aux délices et aux beautés des mosquées. Ou alors ils n’avaient simplement aucune envie de partager cela, peut-être ne voyaient-ils pas d’intérêt à vivre de l’intérieur ce que vivaient leurs hôtes.

Maintenant que nous savons qu’ils appartiennent au mouvement identitaire de la France de droite, nous ne serons pas surpris qu’ils donnent de cette religion une image très négative. Au Soudan, ils montrent des chrétiens être esclavagisés par « les Arabes du Nord » (II, 440). Ils discutent avec un certain Mounir qui leur explique que tous les prophètes de la bible étaient des musulmans, d’Abraham à Jésus. Ils se font constamment sermonner par des hôtes qui leur bourrent le crâne d’idées islamistes délétères. Ils se font servir par des femmes noires qui sont des esclaves (II, 448). Ils se font voler. Sonia se fait déshabiller du regard par des hommes frustrés.

Ceci dit, ils rencontrent aussi des gens qui les aident. Des musulmans sympas car, comme le dit la chanson de Didier Super, « y en a des bien ».

Il y a des hauts et des bas, mais en général, je retiens de cette lecture l’impression que l’islam, pour les Poussin, est une religion d’attardés mentaux.

Tout ce que fait Alexandre Poussin pour partager quelque chose de spirituel avec les gens, et ce n’est pas si mal, c’est d’apprendre quelques mots du fameux verset « Al Kursi » de la deuxième sourate du Coran. Il confond d’ailleurs verset et sourate, si bien qu’il écrit :

En guise de remerciements, je récite souvent mes sourates préférées du Coran. Hayat el kursi, celle du Voyageur, et Kulwallah ahad, celle du Dieu unique, et nous repartons dans la liesse et les rires.

Sonia et Alexandre Poussin, Africa Trek II, 446.

Il laisse penser que les mots « Hayat el Kursi » signifient « Sourate du Voyageur ». En réalité, « Hayat » signifie « verset » et « al kursi » « le siège, le trône », ce qui n’a rien à voir avec un voyageur puisque c’est un verset qui ne parle que de l’omniscience de Dieu.

Poussin fait même preuve de réelle désinvolture quand il aborde la deuxième de ses « sourates préférées ». Il la baptise Kulwallah ahad, ce qui ne fait aucun sens. Il s’agit de la sourate Al Ikhlas, parfois nommée As Samad. Poussin confond le titre de la sourate avec les premiers mots d’un verset de cette sourate :

Qoul huwa Allah ahad

Dis (Qoul) : il est (huwa) Dieu (Allah) unique (ahad)

Coran, CXII, 1.

Le grand voyageur ne s’est pas limité à confondre le titre et le verset, il a aussi mal écrit, donc mal compris, la phrase elle-même. Kulwallah ahad ne peut pas signifier « Dis : il est le Dieu unique ». Poussin comprime une phrase de quatre mots en une expression de deux mots. Je me suis amusé à saisir ce curieux Kulwallah ahad dans un traducteur automatique, et voici ce que Google Translate a généré : « Jurer devant Dieu ».

Il prétend réciter la sourate à des enfants qui sont évidemment émerveillés, ce qui lui suffit. Les Poussin sont en effet des voyageurs qui proclament leur amour de l’humanité, mais cet humanisme consiste à relater l’effet qu’eux-mêmes exercent sur les autres. Exemple :

Suspendues à nos lèvres, les sœurs écoutent nos histoires comme des cadeaux (…). Vague d’applaudissements. Mais qu’ai-je dit de si formidable ? Elles admirent notre courage.

Africa Trek I, 135.

Le même esprit narcissique se relève lorsque l’auteur parle des jolies musulmanes qui savent porter leurs voiles avec élégance. Il reconnaît qu’elles ont du charme et, sans le leur reprocher, souligne le fait qu’elles manquent de pudeur et de chasteté. En fait, il se délecte à nous expliquer combien ces femmes voilées le draguent outrageusement.

Au gré de nos rencontres, les œillades en disent long sur l’effet que leur font mes yeux bleus. Elle se pâment théâtralement à notre passage. Sonia ironise :

– C’est comme si je n’existais pas ; elles n’ont d’yeux que pour toi, elles commencent à m’agacer ces allumeuses…

Jamais vu autant de sexualité concentrée dans un regard de jeune fille. Elles me violent du regard. Drôle de sensation…

Africa Trek, II, 465.

Le gentil chrétien aux yeux bleus, innocent et sage, entouré de suaves africaines qui le corrompent. Les Poussin en Afrique, c’est encore pire que le fameux « Bichon chez les sauvages » que Roland Barthes avait décrypté dans ses Mythologies. Ce sont des agneaux de Dieu mis en danger dans l’univers sataniques des croqueuses d’hommes.

Roland Barthes et les écrivains du voyage expérimentaux

Guillaume Thouroude, La Pluralité des mondes, PUPS, 2017
Photo de Marlon Schmeiski libre de droit qui a pour but d’illustrer le regard torve des filles que croisent les Poussin. À voir sur Pexels.com

En conclusion je vous le dis, ce n’est pas des femmes africaines qu’il faut se méfier. Le lecteur aventurier doit y regarder à deux fois devant ces bichons blonds et blancs, aux yeux bleus charitables : derrière leur discours humanitaire peut se cacher une attitude régressive, méprisante, voire carrément raciste.

Des racines chrétiennes de la France : la laïcité selon Sarkozy et Guaino

Notre grand couple de l’Elysée a encore fait des étincelles. J’avoue que depuis que Sarkozy est élu, on s’emmerde très peu. Et c’est un coup de génie de s’être collé cet extraordinaire imbécile qu’est Henri Guaino. Avec eux deux, 2008 s’annonce une année aussi pétulante que 2007.

Vous avez lu le discours du Latran ? Du pur Guaino, reconnaissable entre mille. Un peu de provocation chrétienne pour l’extrême droite, une pincée de laïcité pour se prémunir contre les attaques, des inepties historiques, du name dropping, du lyrisme à quatre sous, des amalgames conceptuels, tout y est.

Rappelez-moi la nécessité qu’il y avait, déjà, à ressortir des formules comme « les racine chrétiennes de la France » ? On a le droit de le penser, bien sûr, mais le président parle au nom de la France, il suit un projet politique. Alors, politiquement, à quoi ça nous sert de remettre au goût du jour cette vieille mélodie réactionnaire ? A calmer les ultras de l’Action française ? A séduire les dangereux fondamentalistes qui menaçaient la paix sociale ?

Un journaliste du Monde écrit que Sarkozy veut « enterrer la guerre entre la France révolutionnaire et la France chrétienne ». C’est une erreur, il réveille les énervements, au contraire, il agace les oppositions entre les Français, mais il n’apaise pas une situation religieuse qui, de fait, ne posait aucun problème.  

En revanche, cela risque de heurter, et même de blesser profondément, un certain nombre d’athées, de protestants, de musulmans et même de catholiques. Heurter les gens, c’est parfois bon, mais il faut que cela serve une cause solide et plus grande que soi. Alors, quelle cause servaient-ils, nos dirigeants, pour risquer ouvertement de blesser tous les Français qui ne se reconnaissent pas dans cette chrétienté ? 

En revanche, dire que la loi de 1905 n’est un message de liberté qu’en vertu d’une « interprétation rétrospective », voilà qui peut rallumer un feu pour ceux qui auraient envie d’y mettre un peu d’huile. Lequel de nos deux penseurs élyséens va venir nous expliquer en détail ce qu’il entendait par « interprétation rétrospective » ? Parce que c’est comme pour « l’homme africain », cette histoire, nos Laurel et Hardy parlent d’une voix assurée mais ils sont très légers au fond. Ils laissent penser que la loi de 1905 était en réalité une injustice qui a heurté le monde chrétien. Ils laissent penser que la spiritualité chrétienne a été alors meurtrie par des républicains sans âme. Or, parmi les concepteurs de la loi de 1905, il y avait des hommes habités par une profonde foi chrétienne, et qui pensaient sincèrement, non « rétrospectivement », qu’une loi de séparation de l’église et de l’état était nécessaire pour la liberté de conscience. Certes, il y a eu des violences faites aux hommes d’églises qui refusaient d’obéir, mais cette question n’est-elle pas plutôt à sa place dans des colloques de chercheurs, des discussions entre copains, des lectures d’historiens ? Guaino va-t-il venir s’expliquer et mettre au clair ce qu’il voulait dire, ou va-t-il préférer botter en touche en soupirant qu’on n’a rien compris à son discours ?

Avait-on besoin de ce poussiéreux rappel : « C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l’Eglise » ? Surtout que le président tient, cette fois, à être très explicite, alors il enfonce le clou : « Les faits sont là. »

Les faits sont là ? Vous voulez parler des faits, maintenant ? Dans ce cas, faites-le vraiment et dites-nous ce que vous reprochez exactement à la loi de 1905. Et surtout, à côté de cette liste d’écrivains que vous mettez en avant comme les fleurons de la France chrétienne (donc de la vraie France, de la France éternelle, car en contact avec ses « racines ») : « Blaise Pascal, Bossuet, Maritain, Emmanuel Mounier, Henri de Lubac, Yves Congar, René Girard », dites-nous si cette autre liste d’écrivains n’est pas « plus française » encore, plus forte pour le rayonnement de la France : Villon, Montaigne, Descartes, Voltaire, Diderot, Sade, Stendhal, Flaubert, Baudelaire, Rimbaud, Gide, Sartre, Bataille, Foucault, Deleuze ? S’il fallait être exhaustif, la liste serait accablante des hommes fondamentaux qui ont construit l’identité intellectuelle et spirituelle de la France en pensant en dehors de l’Eglise.

Les faits sont là.

La question est donc : que cherchez-vous donc à faire, messieurs, en remuant ces choses-là ? Quels problèmes cherchez-vous à régler – ou à créer !- en sortant vos croyances et vos interprétations rétrospectives de la sphère privée où elles avaient vocation à demeurer ?