Comme dans un film de Fellini

Nous sortons de l’eau et nous séchons à l’air doux des tropiques. Dans sa voiture, elle écoute les messages laissés sur son téléphone, et m’annonce que nous sommes invités chez un ami libanais qui nous propose de fumer la chicha au bord de sa piscine. Moi, ce plan inattendu me plaît bien, mais mes amis alcoolisés qui comptent sur moi ?

« Ne t’inquiète pas pour tes amis, je m’en charge. »

Elle passe quelques coups de fil et parvient à les inviter chez son ami libanais. Comment a-t-elle fait, je ne le sais pas mais j’ai confiance car je suis le seul novice dans cette histoire. Toutes les personnes impliquées dans cette soirée sont en Oman depuis des années.

Quartier des ambassades ou des ministères, nous nous garons et traversons des résidences surveillées. L’ami libanais qui nous accueille parle très bien français. Il se présente comme Marocain. Je ne comprends rien à la manière dont les gens s’identifient. Ma compagne de la soirée se dit tantôt Arabe, tantôt Américaine, tantôt Palestinienne, tantôt Syrienne.

Sa robe de soirée est encore humide et salée de l’eau océane, le sable colle encore à notre peau. Elle saute dans la piscine du Libanais Marocain sans autre forme de procès.

Mes amis de l’université finissent par arriver comme par enchantement. La chicha est bonne, elle a été préparée avec de la glace. On me dit que je suis vierge car je n’ai jamais fumé de chicha. On rigole beaucoup à propos de ma virginité car je suis le plus vieux de l’assemblée, tandis que mon amie palestinienne évolue sérieusement dans l’eau, sans communiquer avec la fête ambiante mais en me prodiguant de furtives caresses.

Quand tout le monde est dans la piscine, il est difficile de savoir si elle est particulièrement proche de moi ou si elle caresse tout un chacun comme un chat se frotte aux inconnus dans les souks d’Oman.

Quand la chicha est fumée et que tous sont un peu fatigués, nous sortons de la piscine et retournons dans l’appartement du riche Libanais. Je me tiens à l’écart et vois toute cette petite bande informelle, d’individus en goguette qui ne se connaissaient pas il y a quelques heures. Ils marchent avec indolence, l’effet de l’alcool commence à passer et l’apaisement dû à la chicha se fait sentir.

Mon amie arabo-américaine me dit au revoir de manière formelle, comme après un meeting. Nous projetons de nous revoir car elle prétend aimer plus que tout les montagnes et le monde rural. Elle pense venir à Nizwa, qu’elle connaît bien, et se tient prête à me faire découvrir des petits endroits en dehors des sentiers balisés.

Nous quittons la ville dans une voiture que je conduis, l’esprit ailleurs.

Il porte un joli nom mon guide

Dans la voiture pour Mascate, j’ai proposé à mes amis de ne pas boire s’ils voulaient que je conduise au retour. La propriétaire de la voiture a accepté presque aussitôt. Elle a l’habitude de servir de chauffeur et de guide, elle semblait soulagée de mettre son bolide entre des mains sobres pour la nuit.

Nous allions à une soirée d’expatriés occidentaux dans un hôtel de luxe de la capitale. Près de l’océan, l’hôtel exhibait ses piscines bleues et ses bars de nuit où l’alcool est autorisé. Je rencontre brièvement une charmante femme qui discute en arabe avec un de mes collègues. Elle me parle dans un anglais parfait, souligné d’un accent américain. Je crois comprendre qu’elle est d’origine palestinienne et qu’elle a longtemps vécu aux Etats-Unis. Puis elle est emportée dans un flot d’admirateurs et une cour d’amies.

Je regrette un peu de me trouver dans cette fête ennuyeuse alors que les plages et l’océan se trouvent à deux pas. L’envie monte en moi d’aller me baigner dans la nuit. Pas d’alcool pour moi, cela ne me manque pas. Je me promène, je passe d’une conversation à une autre sans grande motivation. Quand on m’offre une cigarette, j’accepte d’aller fumer dehors avec gratitude, c’est une manière de passer le temps. L’air est assez chaud et humide, mais très agréable dans l’ensemble.

Quelques heures s’écoulent et la jolie Palestinienne réapparaît devant moi. Il y a pourtant des beaux gosses autour de nous, mais c’est bien à moi qu’elle s’adresse. Elle me demande soudain ce que j’ai envie de faire. « Me baigner dans l’océan. »

Viens avec moi. Je connais un coin super.

Elle remue sa petite main fine devant mes yeux. « Quand on bouge la main comme ça, des planctons phosphorescents dansent autour. On dirait des éclats de lumière dans l’eau. Interested ? »

Je la suis dehors et prends place dans sa voiture gigantesque. Un quatre roues motrices passablement poussiéreux. « Je ne demande jamais pardon pour la saleté de ma voiture, ok ? Elle est crade, il faut l’accepter ainsi, ça veut dire que je suis une aventurière. » Je la crois sur parole. Elle me regarde : « C’est vrai que tu n’as pas bu ce soir ? Tes amis me l’ont dit. Alors prends le volant, veux-tu ? »

Elle me guide comme elle peut et me fait prendre des mauvaises directions à plusieurs reprises. Nous marchons dans des quartiers résidentiels où nous n’avons que faire, elle tient ses chassures à talons à la main et me prend le bras. Elle parle dans une anglais flottant de choses et autres que j’écoute à moitié. Je me demande si nous atteindrons jamais la fameuse plage.

Après l’avoir empêchée d’entrer dans une villa, je parviens à la faire rentrer dans sa voiture et nous reprenons la route. Son portable sonne. Elle engueule son interlocuteur en arabe. Je me gare et nous empruntons une ruelle obscure à pied. Elle a laissé ses souliers dans la voiture et quand nous arrivons sur la pelouse qui borde la plage, elle court vers l’océan et y pénètre sans ôter sa robe. Moi, je me mets en sous-vêtements quand même malgré les forces de l’ordre qui passent sur des chevaux non loin. En pleine nuit, cela ne devrait pas être considéré comme attentat à la pudeur.

Elle fait la planche quand j’arrive en nageant à sa hauteur. Comme je suis plus grand qu’elle, elle me ceinture de ses jambes pour m’expliquer Mascate depuis la mer. Là-bas, des lumières indiquent une allée éclairée très intéressante, où les jeunes gens se draguent sans le dire ouvertement. Là-bas, c’est l’ambassade de je ne sais quel pays. De ce côté-ci, c’est un hôtel très célèbre, et de ce côté-là, Dieu sait quoi. La douceur du contact aquatique me trouble légèrement et je n’écoute pas tout ce que dit mon Américaine arabe.

Nous remuons les mains dans l’eau pour voir étinceler les fameux planctons opalescents. Je pense soudain à mes amis qui sont restés à la fête et qui attendent peut-être que je les reconduise à Nizwa. « Forget your friends« , dit-elle. Je ne veux pas oublier.

A ce moment très pécisément, je voudrais l’appeler par son prénom pour lui signifier que je ne peux décemment pas abandonner tout le monde. C’est alors que je m’aperçois que je ne sais pas comment elle s’appelle.