Dans la voiture pour Mascate, j’ai proposé à mes amis de ne pas boire s’ils voulaient que je conduise au retour. La propriétaire de la voiture a accepté presque aussitôt. Elle a l’habitude de servir de chauffeur et de guide, elle semblait soulagée de mettre son bolide entre des mains sobres pour la nuit.
Nous allions à une soirée d’expatriés occidentaux dans un hôtel de luxe de la capitale. Près de l’océan, l’hôtel exhibait ses piscines bleues et ses bars de nuit où l’alcool est autorisé. Je rencontre brièvement une charmante femme qui discute en arabe avec un de mes collègues. Elle me parle dans un anglais parfait, souligné d’un accent américain. Je crois comprendre qu’elle est d’origine palestinienne et qu’elle a longtemps vécu aux Etats-Unis. Puis elle est emportée dans un flot d’admirateurs et une cour d’amies.
Je regrette un peu de me trouver dans cette fête ennuyeuse alors que les plages et l’océan se trouvent à deux pas. L’envie monte en moi d’aller me baigner dans la nuit. Pas d’alcool pour moi, cela ne me manque pas. Je me promène, je passe d’une conversation à une autre sans grande motivation. Quand on m’offre une cigarette, j’accepte d’aller fumer dehors avec gratitude, c’est une manière de passer le temps. L’air est assez chaud et humide, mais très agréable dans l’ensemble.
Quelques heures s’écoulent et la jolie Palestinienne réapparaît devant moi. Il y a pourtant des beaux gosses autour de nous, mais c’est bien à moi qu’elle s’adresse. Elle me demande soudain ce que j’ai envie de faire. « Me baigner dans l’océan. »
Viens avec moi. Je connais un coin super.
Elle remue sa petite main fine devant mes yeux. « Quand on bouge la main comme ça, des planctons phosphorescents dansent autour. On dirait des éclats de lumière dans l’eau. Interested ? »
Je la suis dehors et prends place dans sa voiture gigantesque. Un quatre roues motrices passablement poussiéreux. « Je ne demande jamais pardon pour la saleté de ma voiture, ok ? Elle est crade, il faut l’accepter ainsi, ça veut dire que je suis une aventurière. » Je la crois sur parole. Elle me regarde : « C’est vrai que tu n’as pas bu ce soir ? Tes amis me l’ont dit. Alors prends le volant, veux-tu ? »
Elle me guide comme elle peut et me fait prendre des mauvaises directions à plusieurs reprises. Nous marchons dans des quartiers résidentiels où nous n’avons que faire, elle tient ses chassures à talons à la main et me prend le bras. Elle parle dans une anglais flottant de choses et autres que j’écoute à moitié. Je me demande si nous atteindrons jamais la fameuse plage.
Après l’avoir empêchée d’entrer dans une villa, je parviens à la faire rentrer dans sa voiture et nous reprenons la route. Son portable sonne. Elle engueule son interlocuteur en arabe. Je me gare et nous empruntons une ruelle obscure à pied. Elle a laissé ses souliers dans la voiture et quand nous arrivons sur la pelouse qui borde la plage, elle court vers l’océan et y pénètre sans ôter sa robe. Moi, je me mets en sous-vêtements quand même malgré les forces de l’ordre qui passent sur des chevaux non loin. En pleine nuit, cela ne devrait pas être considéré comme attentat à la pudeur.
Elle fait la planche quand j’arrive en nageant à sa hauteur. Comme je suis plus grand qu’elle, elle me ceinture de ses jambes pour m’expliquer Mascate depuis la mer. Là-bas, des lumières indiquent une allée éclairée très intéressante, où les jeunes gens se draguent sans le dire ouvertement. Là-bas, c’est l’ambassade de je ne sais quel pays. De ce côté-ci, c’est un hôtel très célèbre, et de ce côté-là, Dieu sait quoi. La douceur du contact aquatique me trouble légèrement et je n’écoute pas tout ce que dit mon Américaine arabe.
Nous remuons les mains dans l’eau pour voir étinceler les fameux planctons opalescents. Je pense soudain à mes amis qui sont restés à la fête et qui attendent peut-être que je les reconduise à Nizwa. « Forget your friends« , dit-elle. Je ne veux pas oublier.
A ce moment très pécisément, je voudrais l’appeler par son prénom pour lui signifier que je ne peux décemment pas abandonner tout le monde. C’est alors que je m’aperçois que je ne sais pas comment elle s’appelle.
Charmante et folle aventure !
Je me souviens du seize août 1975 au soir, dans les montagnes de Taiwan. J’avais décidé de m’installer sur les basses branches d’un grand arbre, pour observer une fête d’aborigènes dont je m’étais momentanément absenté.
J’y parvins tant bien que mal, mais aussitôt je vis surgir une charmante adolescente qui, en trente secondes, avait grimpé autant que je l’avais fait en plusieurs minutes, et ce fut une conversation mémorable, et là aussi, j’ignore son nom.
Un très joli nom, j’en suis sûr.
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Tout est véridique ?
Ce récit en fera fantasmer plus d’un…
Cela me conforte dans l’idée que ne pas boire d’alcool (comme tout le monde) peut être un comportement catalyseur de rencontres intéressantes.
Moi aussi, j’ai souvent galéré dans des soirées où l’alcool semble le seul intérêt et où la personne qui se tient à l’écart de ce genre de breuvage est presque clouée au pilori par la masse grouillante des buveurs peu reluisants…
Bravo sage précaire, ceux qui sont restés devant leurs verres à l’hôtel n’ont certainement pas vécu une aussi belle soirée/nuit que la tienne…
😉
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