Depuis des mois, j’entends des nouvelles alarmantes de mon ami H. qui menace de prendre tous les risques et d’émigrer coûte que coûte. Il n’en peut plus de sa vie, il ne voit aucune autre issue que le départ et la clandestinité en Europe.
Nous faisons ce que nous pouvons pour le convaincre de ne pas faire de bêtises. Apparemment nous ne faisons pas tout ce que nous pouvons, ou en tout cas ce qu’il faudrait faire. Nous sommes impuissants à le raisonner. Il m’a dit la mort dans l’âme que lorsque je serai en Tunisie il serait déjà parti et qu’il serait soit en Italie, soit en pleine mer, soit mort, soit porté disparu.
C’est affolant et pourtant on ne peut pas se permettre de s’affoler. Ce qui est certain c’est qu’on ne peut pas profiter la conscience tranquille de la Tunisie, ni parler avec détachement de la culture locale. Heureusement pour nous, notre voiture est un modeste véhicule utilitaire d’une marque française, donc aux yeux même des Tunisiens, une caisse de pauvre. Avec nos vêtements sans marque, notre voiture de blaireau, nos livres en papier en lieu et place de tablettes et téléphones high tech, nos préférences pour la ferme de Ftiss plutôt que pour des logements climatisés de la côte, nous faisons plutôt pitié qu’envie.
J’espère en tout cas que nous ne participons pas trop aux jeux délétères que je vois à l’œuvre où chacun cherche à se faire passer soit pour nécessiteux soit comme roi du pétrole. De mon côté, je ne parle jamais d’argent et cela m’est aisé car je laisse Hajer s’occuper de ce délicat et encombrant sujet.
Toujours est-il que les Tunisiens sont constamment exposés à des compatriotes venant d’Europe, les poches pleines d’argent et les mains pleines de biens de consommation. Cela crée une frustration invivable. Les candidats au départ sont de plus en plus nombreux et de plus en plus désespérés. Ils sont littéralement prêts à mourir car plus les années passent plus leur situation se dégrade.
Cela résonne avec les histoires horribles, relayées par les réseaux sociaux, de clandestins subsahariens renvoyés dans le désert entre Lybie et Tunisie. On a retrouvé des femmes et des enfants morts de soif. La police les avaient reconduits à la frontière lybienne.
Les Tunisiens sont en effet affolés de voir tous ces Africains dans leurs villes. D’où viennent-ils, se demandent-ils ? Ils pensent notamment que c’est le gouvernement algérien qui les laisse passer voire les escorte jusqu’à la frontière tunisienne et leur dit débrouillez-vous.
On n’a plus de nouvelle de mon ami H.