
Quelle émotion de voir la grande carte du monde écrite en arabe, commandée par le roi normand Roger II de Sicile au XIIe siècle. Cela fait des années que j’utilise cette carte, ou des segments de cette carte, dans mes conférences et mes cours. Ici, au musée des sciences de l’université allemande de Mascate, une grande table présente un fac-similé de la mappe-monde créée par le géographe Al Idrissi. Émotion due notamment au fait qu’elle était si grande : je me l’étais confusément représentée comme un poster que l’on punaise sur un mur de chambre d’adolescent. En réalité elle mesure plusieurs mètres de long. Ses couleurs rehaussent l’intérêt que le voyageur lui porte : les mers et océans sont bleus, les fleuves rouges, les montagnes ocres.

Et comme le montrent les pliures visibles sur cette image, la carte était contenue dans un livre. Au Moyen-âge, on ne dépliait pas cette carte, on la lisait région par région, agrémentée d’un texte d’Al Idrissi qui expliquait la géographie du monde à la manière d’un guide du routard, basé sur des informations récoltés auprès des voyageurs qui faisaient escale en Sicile. Roger II, roi d’origine normande (il est né près de Coutance, de la Maison de Hauteville), a voulu cette Géographie en langue arabe car au XIIe siècle c’était la langue de science et de culture la plus raffinée, la plus solide. Nul doute qu’à la cour de Roger, à Palerme, on parlait l’ancien français, l’arabe et d’autres dialectes méditerranéens.
Qu’on me laisse rêver sur la Sicile arabophone de mon compatriote Roger. En tant que Thouroude, je me sens toujours affilié à ces anciens Normands qui – tel Jean de Courcy à Belfast – sont partis de chez eux à l’aventure pour fonder des colonies aux quatre coins du monde connu. Mais je m’égare. Retour à Mascate, dans la toute jeune German University of Technology (GUTech).
L’animatrice qui m’a accompagné vers la sortie m’a dit que j’étais le « troisième visiteur » depuis l’ouverture du musée. Je ne suis pas sûr de cette information qui, de toute façon, n’a aucune importance. Toujours est-il que le jour où j’ai effectué cette visite au History of Sciences Centre, j’étais bien le seul. Deux jeunes femmes se sont relayées pour me faire visiter les huit sections du musée. C’est peu de le dire, on se sent bien pris en main dans ce musée. Une femme vous accueille en haut de l’escalier central pour dire ce que vous allez voir, une autre vous parle de mathématique, et la première vous reprend pour vous parler des étoiles. Que demander de mieux ?
Il y avait des disciplines que je connaissais : géométrie, algèbre, géographie, astronomie, optique. Et d’autres que je serais plus en peine de décrire, d’expliquer et même de nommer : la construction navale ? La manière dont les Omanais ont construit leurs bateaux. La cinétique ? Des trucs concernant le mouvement d’autres trucs. La statique ? Des trucs qui ne bougent pas mais qui sont mesurés et qui font bouger d’autres trucs à leur tour.
Dieu que j’aime les musées. Le sultanat d’Oman en compte trop peu, j’ose le dire. Quand on voit le nombre de boutiques qui ferment dans les Malls trop nombreux, on se dit que les Omanais aspirent à autre chose qu’au lèche-vitrine. Qu’on leur offre des lieux de promenade culturelle.
Bravo à GUTech pour cette belle réalisation dont j’espère qu’ils retireront tout le prestige qu’ils méritent. Et que cela inspire les autres universités du pays !