Quelle place dans ta famille ?

Le sage précaire n’aurait jamais été ni aussi sage ni aussi précaire s’il n’avait pas occupé cette place spécifique dans sa fratrie.

Je suis le dernier né d’une lignée de quatre garçons, et après moi est arrivée ma sœur. Il ne fait pas de doute que mes frères et sœurs ont formé une structure symbolique qui a déterminé ma personnalité et mon rapport au monde.

Quand vous cherchez à vous comprendre, analysez votre place dans la famille.

Ma sœur fut le pôle douceur et humanité de mon existence. Avec elle pas de dispute, pas de colère, pas de drame.

Mes frères furent en revanche la grosse masse au-dessus de moi qui me montrait la voie en m’en interdisant l’accès. Mais en même temps mes frères furent un rempart de protection inexpugnable.

Moi, petit garçon, je n’avais même pas besoin de savoir me défendre. Les harceleurs et les bizuteurs me voyaient auréolé d’une armée de frères avec qui on ne badine pas. Les grands embêtaient mes amis plutôt que moi. Une fois un gars du village m’a tapé sur un terrain de football. Je me suis laissé faire car il ne faisait pas mal et que je voulais retourner au match. Il était plus âgé que moi, la préséance voulait qu’il me dominât. Il a dû se prendre une chasse monumentale chez lui car il n’a jamais recommencé et a toujours joué au football avec moi malgré mon jeune âge. On ne bat pas un petit Thouroude.

Une autre fois, un grand du collège me faisait peur car il était très laid et me maltraitait avec des gestes de petit caïd. Mon frère Jean-Baptiste, alerté par mon père, est venu vers lui en l’appelant par son surnom « le pisseux » : l’adolescent est parti en courant et ne m’a plus jamais importuné.

Mes frères avaient ce pouvoir magique de faire disparaître le danger sur mon chemin.

Cela explique je crois mon rapport décontracté au monde et au voyage. Je n’ai presque jamais peur et ne pense jamais qu’il pourrait m’arriver un malheur. Même les hommes qui me regardent salement, je les aborde avec un sourire et les mains ouvertes. Cette confiance en l’humanité et cette légèreté face aux responsabilités, je les dois à mes frères et sœurs. Ils m’ont encadré de manière protectrice.

D’un autre côté ils me disaient que j’étais trop petit pour comprendre et j’ai intégré cette variable. Je me perçois donc comme petit, capable de peu, et je mets toujours la barre très bas quand je me lance dans une entreprise. Par exemple, quand je suis parti vivre à l’étranger, personne ne croyait que je réussirais et moi pas plus que les autres. Mon objectif était de tenir trois mois. Quand, dans les pubs de Dublin, je rencontrais des jeunes qui avaient passé six mois en Irlande, j’étais éperdu d’admiration.

Rien n’est plus éloigné du sage précaire que les ambitieux adeptes d’aphorismes. Il faut viser les étoiles car au pire, en cas d’échec, tu atteindras la lune. Le sage précaire ne vise ni la lune ni les étoiles. Ses ambitions sont terre à terre et il ne se croit jamais supérieur aux autres. Quand il est supérieur aux autres, c’est temporaire, c’est dû à ses efforts et non à son talent, et il endosse la responsabilité afférente sans orgueil particulier. Ce que les autres voient comme de l’arrogance est simplement de l’impolitesse mêlée à de l’assurance enfantine. Je sais faire cela car je l’ai déjà fait, nul besoin de prétendre autre chose.

Quand on est un petit frère, on est donc modeste dans ses objectifs mais fier dans ses maigres réussites. Clamer sa fierté quand on a sauté des obstacles est davantage une manifestation de joie que de prétention. Tu as vu le but que j’ai mis ? Les grands frères haussent les épaules car on ne complimente pas dans la famille, ce sont les femmes qui complimentent, mais le petit frère puise en lui-même sa validation. Je suis devenu cet adulte plein d’assurance, qui ne se croit pas capable de grandes choses mais qui sait reconnaître ce qu’il a fait de bien, sans attendre qu’on le lui dise. Au football, j’étais donc le capitaine de mon équipe, sans avoir jamais ambitionné de l’être.

La Petite ville d’Éric Chauvier et le style du sage précaire

Petit chef d’œuvre de narration sociale et sentimentale, La Petite ville, publié en 2017 aux éditions Amsterdam, raconte à la fois le destin de Saint-Yrieix la Perche (Haute Vienne), et celui de Nathalie, qu’on a tous connue jolie fille dans les années 1980.

Pour ce faire, il emploie une typographie normale pour l’histoire de la ville et des italiques pour ses échanges avec Nathalie. J’ai lu ce livre d’une traite à la bibliothèque de Munich en songeant que ce dispositif typographique était ingénieux mais que j’avais vu cela ailleurs.

Éric Chauvet est né un an avant le Sage précaire, et a produit une très belle œuvre littéraire. Des livres brefs et fins toujours en contact serré avec les sciences sociales.

Nathalie évoque soudain Barbara. Tu te souviens de Barbara, elle était amoureuse de toi. De moi ?Chauvier alors de parler d’une histoire d’amour dont il n’est pas fier :

Barbara était très belle mais très perdue (C’est juste qu’elle a pas eu de chance). C’est la façon qu’elle avait de divaguer qui m’a fait entrevoir ce rapport de classe entre nous. Il y avait quelque chose d’une déréliction qu’elle portait dans sa façon d’être.

La petite ville, p. 94.

La séquence Barbara permet à Chauvier de parler de la profession du père de Barbara, et comme ce dernier était mineur, cela lui permet de parler de l’activité aurifère qui était vivante dans la Haute Vienne du siècle dernier.

Pour ma part je peux seulement dire qu’elle était inventive et que son inventivité me dérangeait.

Idem.

Je me souviens où j’avais vu cette double narration avec italiques : dans une des premières publications du sage précaire datée de l’an 2000 ou 2001, dans la revue Lieu-dit.

Revue Lieu-dit, n. 12

J’ai retrouvé par hasard ces anciens numéros de la revue lyonnaise. C’est d’une qualité qui m’impressionne encore plus aujourd’hui qu’à l’époque. L’équipe de rédaction, que je ne voulais pas connaître personnellement pour qu’il n’y ait pas de copinage entre nous, abattait un travail de tous les diables pour faire paraître de si beaux numéros tous les trois mois.

Ils publiaient parfois mes textes qui, je l’avais oublié, se passent tous en Irlande. Je vivais à Dublin à cette époque.

Dans ce texte, dont je mets en ligne des photos de page, je parle de la National Library d’Irlande, lieu où je me rendais aussi souvent qu’aujourd’hui son équivalent bavarois. Or si je décidais d’écrire un texte avec une double narration, c’est probablement que je l’ai vu dans des livres lus dans cette bibliothèque de Dublin.

Je ne relis pas mes anciennes productions. Je revis les émotions de l’époque. J’étais serveur en restaurant. Écrire ces textes me sauvait et remplissait ma vie. Leur publication me comblait de fierté et de joie.

J’étais alors amoureux d’une serveuse anglaise qui travaillait dans le même restaurant que moi, mais je n’ai pas été à la hauteur de l’événement.

Plus facile que l’amour, l’histoire littéraire permettait de laisser libre cours à la créativité du sage précaire.

L’affection qu’on nourrit pour les livres et la voix d’Eric Chauvier va donc sans dire. Il y a entre le sage précaire et lui une espèce de fraternité qui ne fait pas de doute. Finalement, je l’aime bien ma génération. Les gens nés dans les années 1970 ont un charme assez distinct qui laisse la phrase en suspens…

Lecture des « Femmes », sourate IV. Le divorce, les mésententes, les conflits et les vrais croyants

À partir du verset 35, qui recommande de régler les conflits conjugaux par une réunion paritaire de conciliation, le coran quitte momentanément la question des femmes et des enfants pour se diriger vers d’autres types de désaccords. Une longue parenthèse s’ouvre pour parler de divorces, à l’intérieur comme à l’extérieur de la communauté des musulmans.

Le divorce

Une centaine de versets plus tard, le couple et la femme referont surface et le Coran répétera que l’équité est impossible quand on a plusieurs épouses, et que la réconciliation est préférable en cas de querelles. En revanche, le divorce est parfaitement admis et la femme a la garantie de pouvoir refaire sa vie :

Si les deux se séparent, Allah de par Sa largesse, accordera à chacun d’eux un autre destin. 

Coran, IV, 130

Le divorce n’est pas seulement toléré de manière formelle. Le système matrimonial mis en place par l’islam permet aux femmes, à travers la dot, une part non négligeable des héritages et l’obligation pour l’homme seul de subvenir aux besoins de tous, d’acquérir un pécule. Ce pécule favorise l’autonomie financière nécessaire à la femme en cas de séparation ultérieure.

Ceci est une réponse à ceux qui rappellent la parole de Jésus selon laquelle « ce qui a été fait par Dieu ne peut être défait par les hommes ». Pour l’islam, un mariage n’est pas un sacrement, n’est pas « fait » par Dieu. C’est une union scellée entre êtres humains qui ouvre le droit à la sexualité, et qui peut être révoquée. En revanche, ce qui est toléré par le coran n’est en aucun encouragé : comme la polygamie, la possession d’esclaves et l’usage de la violence, le divorce est toléré mais dans des limites strictes, après avoir faits des efforts manifestes pour donner sa chance à la réconciliation.

Les mésententes entre les hommes de la communauté

La séparation entre les hommes est aussi ce qui taraude la sourate IV. Une grande partie y est consacrée à des dissidents, des frondeurs, des déserteurs, des mutins et des hypocrites, voire des traitres. C’est pourquoi il faut s’apprêter à lire des dizaines de versets sur des individus qui ne sont pas en harmonie avec le Prophète et la parole de Dieu, bien qu’ils fassent partie, plus ou moins, de la communauté des musulmans.

La sourate IV expose alors une taxinomie des différents niveaux de divergence entre le croyant parfait et l’infidèle le plus hostile. Le croyant parfait n’est qu’un concept, les hommes sont imparfaits et le coran vient parler la langue des imparfaits pour les ramener vers le bon chemin. Mais il y a beaucoup à faire pour rappeler aux croyants qu’il faut être bon, tempéré, modeste et généreux. Les avares, les arrogants, les extrêmistes doivent essayer de se réformer. Et puis vous, les faibles mortels qui ne pouvez résister à la tentation, tâchez de vous modérer quand vous buvez de l’alcool :

Ô les croyants ! N’approchez pas de la prière alors que vous êtes ivres, jusqu’à ce que vous compreniez ce que vous dites

Coran, IV, 43

Aux premiers temps de l’islam, l’alcool était donc autorisé, et puis il a fallu l’interdire pour des raisons évidentes, malgré le plaisir qu’il apporte, et les « bienfaits » qu’il peut apporter. Malheureusement, comme on s’en rend aujourd’hui compte avec d’autres produits comme le sucre et le sel, l’alcool a tôt fini par tout détraquer dans la santé des hommes.

Plus important, la sourate IV s’emploie à désigner ceux qui divorcent d’avec le Prophète.

Et quiconque fait scission d’avec le Messager, après que le droit chemin lui est apparu et suit un sentier autre que celui des croyants, alors Nous le laisserons comme il s’est détourné, et le brûlerons dans l’Enfer. 

Coran, IV, 115

L’enfer sera la punition de ceux qui se détournent de Dieu, c’est la base des religions monothéistes, mais il y a toujours de la place pour le pardon et le retour vers le bon chemin, donc le Prophète doit toujours manier la carotte et le bâton. N’allez pas trop loin dans la mésalliance car vous pourrez bénéficier de notre grandeur d’âme, vous pouvez toujours trouver une rédemption, mais n’attendez pas trop quand même non plus car les flammes de l’enfer vous attendent, etc.

En particulier un mot revient souvent : « mécréants », transformé dans toutes les déclinaisons que permet la langue arabe : kufar, kafirun, Lilkāfirīna, kafaru, en fonction de sa place dans la grammaire de la phrase, si c’est un nom ou un verbe, etc.

Le mot koufar vient de la clé KFR, qui à l’origine désigne les paysans qui recouvrent de terre grains et graines. Le geste fondamental est celui de couvrir, recouvrir, dissimuler, voiler la vérité. Donc ce qu’on traduit par « mécréant » ne désigne pas celui qui n’est pas musulman parce qu’il est élevé dans une autre culture, mais celui qui a vu et compris la « vérité » et qui retourne aux illusions passées. Typiquement, il a bien compris que les pierres dressées n’avaient aucun pouvoir, que les idolâtrer n’était que de la superstition, mais après quelques temps il décide d’aller quand même sacrifier une bête dans un temple pour telle pierre sacrée parce qu’on ne sait jamais.

Ces gens causent beaucoup de soucis au Prophète, car ils ont cru en Dieu puis se sont désolidarisés des croyants, et on comprend à travers les versets que certains sont devenus de véritables ennemis mortels de la communauté, tandis que d’autres pourraient facilement réintégrer le groupe des croyants. Selon les versets, on sent que Dieu joue avec la conscience du Prophète : avec certains il faut être généreux, pour d’autres il faut montrer de la sévérité, d’autres encore ne méritent que du mépris, voire des châtiments mortels.

Il est clair qu’à ce moment de l’islam, la descente du Livre sacré, la constitution de la communauté religieuse est encore mouvante et fluctuante. Les « mécréants » sont donc des gens dont la foi n’est pas assurée et font des allers et retours vers l’islam, on ne peut pas compter sur eux. D’un côté, il ne faut peut-être pas leur fermer la porte, car Dieu est généreux et miséricordieux. D’un autre, il faut savoir dire stop :

Ceux qui ont cru, puis sont devenus mécréants, puis ont cru de nouveau, ensuite sont redevenus mécréants, et n’ont fait que croître en mécréance, Allah ne leur pardonnera pas, ni les guidera vers un chemin.

Coran, IV, 137

On le voit, les choses ne sont pas noires et blanches. Contrairement à ce que pensent des islamistes extrêmistes et des islamophobes, il ne suffit pas d’être musulman pour être sauvé ni pour profiter de la solidarité. Car il y a encore un autre degré d’infidélité, entre le croyant et le « mécréant », c’est celui des « hypocrites » (Al Munafiqina) qui n’ont que l’apparence du croyant mais qui n’y croient pas vraiment. Ils sont paresseux, velléitaires, et ostentatoires. Ils prient, si l’on veut, ils sont musulmans à leur manière, ils ne vont pas vers d’autres chapelles, mais ils prient pour la galerie, et surtout, ce qui horripile le Prophète, ils ne donnent rien d’eux-mêmes :

Ils sont indécis (entre les croyants et les mécréants,) n’appartenant ni aux uns ni aux autres. Or, quiconque Allah égare, jamais tu ne trouveras de chemin pour lui.

Coran, IV, 143.

C’est contrariant mais c’est ainsi, les hommes sont divers, ondoyants, même ceux qui appartiennent à la communauté des musulmans.

Mais les pires ennemis, ceux qui méritent les pires châtiments, ce ne sont pas ceux qui croient différemment, qui se sont trompés de religion, ou qui persévèrent dans l’hérésie, ce sont ceux qui ont noué une alliance avec le Prophète et qui l’ont trahie. Puis, qui se retournent contre le Prophète et ses hommes. Dans ce cas c’est une question de vie et de mort, et il n’y a plus de tolérance qui tienne.

Ce qui provoque la violence du musulman, ce ne sont pas les croyances différentes, ce sont les dangers que font courir les groupes qui trahissent leur parole et qui sont manifestement hostiles. Trois versets prouvent ainsi que le djihadisme, le terrorisme moderne, sont de graves hérésies : 89, 90, 91. Ces versets distinguent ceux que le croyant doit combattre et ceux, parmi les ennemis, qu’il doit laisser tranquilles. Du moment que ces ennemis sont « neutres » et « offrent la paix », les musulmans ont l’obligation de les laisser vaquer. Mais les autres, ceux qui veulent vous avilir et vous faire quitter votre foi, ceux-là doivent être combattus sans relâche.

On assiste alors à des guerres de bandes, pour la survie des communautés. La vie n’était pas facile, on pouvait se faire attaquer à tout moment par les ennemis, à tel point que Dieu préconise des prières armées et à rotations :

Et lorsque tu (Prophète Muhammad) te trouves parmi les tiens, et que tu les diriges dans la prière, qu’un groupe d’entre eux se mette debout en ta compagnie, en gardant leurs armes. Puis lorsqu’ils ont terminé la prosternation, qu’ils prennent place dans un rang arrière et que vienne l’autre groupe, ceux qui n’ont pas encore célébré la prière. À ceux-ci alors d’accomplir la prière avec toi, prenant leurs précautions et leurs armes. Les mécréants aimeraient vous voir négliger vos armes et vos bagages, afin de tomber sur vous en une seule masse. Vous ne commettez aucun péché si, incommodés par la pluie ou malades, vous déposez vos armes ; cependant prenez garde. Certes, Allah a préparé pour les mécréants un châtiment avilissant.

Coran, IV, 102

Les juifs et les chrétiens

Quelques versets s’adressent à ceux qui ont connu la vérité avant la descente du Coran et qui, évidemment, ont commis quelques impairs qui les ont conduits à fonder des religions qui ont eu tendance à s’écarter du droit chemin.

Ces gens-là qui ont compris que Dieu a crée l’univers, ils ont les mêmes références fondamentales que les musulmans, les mêmes valeurs, mais ils se sont égarés. Bon, Dieu conseille, les concernant, de les laisser tranquilles dans leur égarement, de les traiter avec respect et de les accueillir chaleureusement quand ils voudront se soumettre à Dieu seul et non pas à d’illusoires « associés » qu’ils lui ont inventés.

On appelle ces gens-là les « Gens du Livre » car l’islam considère que la Torah, la Bible et le Coran constituent un seul et même Livre qui diffuse la parole de Dieu à travers l’intercession d’anges et de prophètes.

Les hommes étant imparfaits, on l’a vu plus haut avec les mécréants et les musulmans qui n’arrivent pas à croire correctement, les juifs et les chrétiens ont travesti, perverti les mots du Livre soit par erreur, soit par malice :

Il en est parmi les Juifs qui détournent les mots de leur sens, et disent: « Nous avions entendu, mais nous avons désobéi », « Écoute sans entendre », et « favorise-nous »: Ils font un mésusage du mot « Ra’inâ », tordant la langue et ainsi attaquent la Religion.

Coran, IV, 46

Pour les Chrétiens, de même, c’est Dieu qui décidera ce qui leur arrivera après la mort, les croyants n’ont pas à s’en occuper, et certainement pas à faire pression sur eux. Il faut les respecter comme Hegel respectait Descartes : certes ils ont tout faux, mais ils ont fait un pas dans la bonne direction. La sourate IV se borne à leur faire un simple rappel sur l’unicité de Dieu, après quoi, qu’on les laisse en paix :

Ô gens du Livre, ne soyez pas excessifs dans votre religion, et dites plutôt la vérité à propos de Dieu. Le Messie Jésus, fils de Marie, est un Messager de Dieu. (…) Et ne dites pas « trois », arrêtez cela, ce sera meilleur pour vous. Dieu est Un. Il est trop glorieux pour avoir un enfant.

Coran, IV, 171

Les dernières paroles de la sourate concernant les Chrétiens puis les croyants sont assez apaisés. Le Coran ne préconise ni n’approuve d’agressivité dirigée contre des non-musulmans qui sont le fruits d’égarements séculaires. Il y a assez à faire avec tous ceux qui, parmi les nouveaux venus dans la religion monothéiste, doivent être recadrés, récompensés, santionnés et tancés. Les autres, les Gens du Livre, qu’ils se débrouillent avec leur version du Livre. En revanche, ils savent que la porte leur est ouverte s’ils décidaient un jour de « dire la vérité à propos de Dieu ».

C’est la profession de foi de l’islam. Vous déclarez que Dieu est unique et vous voilà musulmans.

La sourate se termine enfin par un verset qui fait retour sur les parts d’un héritage. Pour une personne qui meurt sans enfant, tant revient à sa soeur, tant pour un frère, tant pour deux soeurs, etc.

Il y a une logique profonde à combiner la question des femmes et des enfants d’un côté, et celle des différents niveaux de scission avec le Prophète de l’autre. Le trait d’union entre les deux problématiques, c’est l’héritage. Dieu nous confie un Bien, nous en avons tous une part. Il n’y a pas d’égalité entre ce qui nous est confié, mais nous avons tous assez de liberté, d’autonomie et de pouvoir pour en faire un usage qui permettra à notre bien de fructifier, ici-bas comme après la mort.

Lecture des « Femmes », sourate IV. De la violence domestique

L’heure est grave. Arrive le fameux verset qui trouble le musulman d’aujourd’hui et divise les croyants, celui qui aborde le sujet devenu tabou de la correction physique. Qui aime bien châtie bien, dit-on chez les chrétiens, et en effet, la bible enseigne la correction par le maniement de la verge.

Ne revenons pas sur l’éducation « à la dure » qui était celle de nos parents et grands-parents. Ce n’était pas le Moyen-âge et pourtant, on frappait sans penser à mal. Les intentions, aussi horrible que cela paraisse, étaient bonnes. Il y a au fond des religions monothéistes une ombre qui me fait peur, un trou noir dans lequel torturer est une guérison de l’âme. On lit dans la bible : « N’épargne pas la correction à l’enfant ; si tu le frappes de la verge, il ne mourra pas, en le frappant de la verge, tu délivres son âme du séjour des morts. » (Proverbe, 23, 13-14).

L’islam arrive sur terre pour retourner vers une foi directement tournée vers le Dieu unique. En règle générale, donc, c’est Dieu seul qui peut punir les hommes. Personne n’est habilité à être adoré ni à être châtié. Or il y a ce verset qui certes est plus doux que les versets bibliques sur le châtiment corporel, mais qui reste choquant pour un esprit du XXIe siècle.

Avant de citer le verset en question, je précise que pour moi c’est un tabou absolu : on n’a jamais le droit de frapper sa femme, ses enfants ou son mari. Dans une famille, il n’y a pas de place pour le châtiment corporel. Ce n’est pas un option. C’est pour moi une ligne rouge. Si ma religion m’obligeait à changer sur ce point, alors je quitterais cette religion.

Voici le verset en question dans la traduction que je juge la meilleure, celle de Muhammad Hamidullah :

Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection d’Allah. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand !

Coran, IV, 34

Allons droit au but, le problème est devant nos yeux : « frappez-les ». Je ne l’accepte pas et tolère encore moins les arguments des pseudo-savants qui disent qu’il faut frapper gentiment, « sans laisser de trace », et autres ignominies.

Le musulman que je suis a pris ce verset comme une véritable épreuve lors de mon voyage vers l’islam. J’en parlais avec celle que j’aimais et avec qui j’allais me marier. Notre union ne saurait être parfaite mais elle ne pouvait pas non plus laisser passer la moindre justification de la violence. Ma fiancée confessait son trouble, elle qui connaissait ce verset depuis l’enfance et ne savait comment le comprendre.

J’habitais alors au sultanat d’Oman, la plupart de mes amis étaient des musulmans arabophones de naissance. Quand je dis « des amis », il faut se représenter des Omanais, des Tunisiens, des Jordaniens, des Palestiniens, des Algériens, etc., des gens qui lisaient et apprenaient le coran dans le texte original depuis l’enfance. Nous pouvions parler de ces sujets à tous moments. Un jour que nous mangions sur une terrasse de restaurant indien, avec plusieurs couples d’amis, je mis ce sujet sur la table. À ma surprise, personne ne connaissait précisément ce verset. Ils ont d’abord incriminé ma traduction, puis ils ont vérifié le texte arabe et ont admis qu’en effet, même si le verbe a plusieurs sens, il n’est pas fautif de dire : « frappez-les ».

J’abrège. J’ai recouvré la sérénité par rapport à ce verset car voici ce qu’il signifie :

Quand le couple est dans une phase de conflit, le coran donne l’instruction de résoudre le problème en passant par trois étapes, qui correspond chacune à un verbe.

  • Parler
  • S’éloigner
  • Maîtriser (physiquement)

Dans un premier temps, il convient de retrouver l’harmonie par l’échange et la communication. C’est ce qui correspond à l’expression « exhortez-les ».

Si le conflit persiste, c’est qu’il est profond et qu’il nécessite d’autres mesures. Il est temps de prendre de la distance pour éviter justement de laisser libre cours l’agressivité que les deux membres du couple ressentent. « Éloignez-vous d’elles dans leurs lits », cela signifie : pas de rapports sexuels entre vous, pas de tendresse, pas d’affection. On met le couple entre parenthèses jusqu’à ce que le problème soit résolu. Il ne s’agit pas de faire la grève du sexe, mais de retourner au plus vite à une situation saine d’entente et d’harmonie, et pour ce faire d’y suspendre les bienfaits de la vie de couple.

À partir de là, si le conflit persiste alors même qu’en islam il est autorisé de divorcer à l’amiable, c’est que le problème est encore plus profond et que nous sommes en face d’un cas de force majeure, c’est-à-dire d’un(e) forcené(e), une personne pathologiquement violente, qui en appelle nécessairement à l’emploi de la force physique pour la maîtriser.

Ou alors, il s’agit d’une incompatibilité d’humeur au sein d’une relation toxique qui entraîne des réactions violentes. Bref, le coran ne ferme pas les yeux devant les réalités du monde, il arrive que des relations génèrent de la catastrophe, du désastre, et dans ce cas, il n’y a pas d’autres solutions que l’emploi raisonné de la force physique.

Mais qui est détenteur du droit à l’usage de la force physique ? Dans un État de droit, c’est l’État, à travers les services sociaux en coordination avec les agents de la sûreté (gendarmerie, police) et l’administration judiciaire. Pas l’époux, ni l’épouse. Nous ne vivons plus au temps du Prophète, où les actions de police et de justice étaient menées par la communauté elle-même, par le chef du clan en concertation avec le prêtre.

Le sens de ce verset est donc clair et n’autorise en rien l’usage privé de la gifle, celui des sévices corporels, ni celui de la violence psychologique. N’oublions pas que dans les versets qui précèdent celui-ci, le coran prescrit avec force une attitude de douceur envers son épouse, et promeut la concorde de la manière la plus nette :

Et comportez-vous convenablement envers elles. Si vous avez de l’aversion envers elles durant la vie commune, il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose où Allah a déposé un grand bien.

Coran, IV, 19

Même à l’époque du Prophète, avant d’être autorisé à lever sa main sur sa femme, le croyant était invité à se méfier de ses propres sentiments négatifs, car tout geste déplacé pouvait contituer un grand péché.

Enfin la question est conclue dans le verset suivant qui propose carrément une résolution raisonnée avec des médiateurs et des conciliateurs :

Si vous craignez le désaccord entre les deux [époux], envoyez alors un arbitre de sa famille à lui, et un arbitre de sa famille à elle. Si les deux veulent la réconciliation, Allah rétablira l’entente entre eux. 

Coran, IV, 35

Il semble clair que l’homme n’est pas tout-puissant dans son couple et que l’islam intervient pour limiter et encadrer le plus fort, protéger le plus faible, et garantir les droits de tous.

Lecture des « Femmes », sourate IV. Une part de l’héritage

Le sage précaire lit le coran selon un mode de lecture dynamique. Quand le coran édicte un principe, ce n’est pas pour dire que cela doit être ainsi pour l’éternité, statique et gravé dans le marbre. Il faut comprendre le but dans lequel est édicté le principe et s´efforcer vers ce but. Ici, c’est la justice et l’équité.

Trop de personnes commettent l’erreur de croire que l’islam impose pour toujours un partage brutal et définitif des héritages. On cite le verset qui dit : au fils, une part équivalente à la part de deux filles. Et les gens de crier : voyez comme l’islam est sexiste ! Une fille ne vaut que la moitié d’un garcon. Cette erreur vient d’une lecture statique du coran.

Au moment où le coran vient sur terre, les filles n’héritent de rien du tout par principe. Les filles, on leur donne ce qu’on veut, c’est à la discrétion des hommes, et surtout, on ne leur garantit aucune part. Dans l’antiquité, la vie et la fortune des filles sont subordonnées au bon vouloir et à la sagesse de leurs tuteurs.

Le coran vient pour dire aux hommes : arrêtez de vous croire tout-puissants avec les femmes. Les femmes sont des créatures de Dieu comme vous. Certains pouvaient être tentés de dire que l’homme adore Dieu et que la femme doit vénérer son mari ; certains comprennent l’épitre aux Éphésiens de Paul dans ce sens, mais ils manquent de générosité avec Paul.

Le coran vient remettre les choses au clair. Non seulement il faut aimer sa femme comme le dit Paul, mais il faut aller plus loin que cela. Considérez les femmes comme des sujets de droit ; dans un héritage, il leur revient même une part à part entière. Il n’est pas suffisant de donner un beau cadeau à sa femme pour lui faire plaisir et de garder tout le reste pour soi et ses affaires. Une femme a beau ne pas être en charge de l’administration et de la

gestion des biens, elle a le droit d’avoir ses propres biens et d’en user comme bon lui semble, car une femme est un être adulte. C’est une révolution car on n’avait pas encore vu cela. Rappelez-vous que les filles de l’aristocratie britannique n’avaient aucun droit à l’héritage encore aux XIXe et XXe siècle, (comme l’illustrent les romans de Jane Austen ou la série Downton Abbey). Le fait qu’elles aient une part d’un héritage est tellement nouveau que ce doit être une avancée inscrite comme une loi divine. D’où le verset 7 :

Aux hommes revient une part de ce qu’ont laissé les père et mère ainsi que les proches ; et aux femmes revient une part de ce qu’ont laissé les père et mère ainsi que les proches. Que ce soit peu ou beaucoup, cette part est une obligation.

Coran, IV, 7

Le mot arabe pour dire « obligation » est Mafrudan, qui renvoie à un devoir impérieux, non pas une recommandation. La même racine est utilisée pour le mot qui désigne les piliers de l’islam (prière, jeûne, charité, etc.).

Il est donc obligatoire d’un point de vue légal et d’un point de vue religieux de garantir des droits aux enfants, parmi eux aux orphelins et par dessus tout aux femmes. Et dans d’autres sourates il sera noté que les femmes ont autant de dignité que les hommes, qu’on peut les prendre comme témoin dans des affaires de résolution de conflit, etc.

Je me permets de le dire aux islamophobes ainsi qu’aux musulmans intégristes : le coran ne demande pas qu’aujourd’hui les filles héritent moins que les fils. Croire cela n’est pas faire justice à la sagesse de la religion.

Lecture des « Femmes », sourate IV. Monogamie ou polygamie ?

Dans l’histoire des minorités, on peut voir l’islam comme une des étapes d’un progrès pour les femmes. Avant l’arrivée du coran, les femmes sont juridiquement des possessions d’hommes, comme un cheptel, des terres ou des biens immobiliers. Or Dieu inspire au Prophète d’aller dire à ses hommes de considérer les femmes comme des êtres humains à part entière, dont les droits doivent être protégés.

Exemple : alors que les hommes prenaient autant de femmes qu’ils voulaient, en fonction de leur richesse, de leur pouvoir et de leur vigueur, le coran vient leur imposer une limite très stricte :

Il est permis d’épouser deux, trois, ou quatre parmi les femmes qui vous plaisent, mais si vous craignez de ne pas être équitables avec elles, alors une seule, ou des esclaves que vous possédez.

Coran, IV, 3

L’islam encourage la monogamie. Il tolère la polygamie, mais dans la limite d’un traitement équitable ; il donne un objectif d’équité qui est supérieur au droit d’avoir plusieurs épouses.

Preuve que l’islam encourage la monogamie, le verset 129 de cette même sourate :

Vous ne pourrez jamais être équitables avec vos femmes, même si vous vous efforcez de l’être.

Coran, IV, 129

On ne peut pas être plus clair : vous pouvez prendre plusieurs femmes à condition d’être équitable entre elles. Or il est impossible d’être vraiment équitable dans l’intimité de plusieurs mariages. Donc… je vous laisse le soin de conclure ce syllogisme. La parole coranique préfère ne pas énoncer la conclusion de ce syllogisme pour laisser une tolérance. À l’époque l’interdiction claire et définitive de la polygamie aurait créé plus de complications que de vertu.

Le mot que je viens de traduire par « équitable » (Ta’adilu) peut aussi se traduire par « juste ». Le reste de la sourate va beaucoup parler de parts d’héritage, et de redistributions matérielles, donc, selon moi, il s’agit d’une notion de justice matérielle, qui vise non l’égalité stricte mais l’équité : être capable de donner à chacun selon ses mérites, selon ses responsabilités. Et comme on l’a déjà dit, les responsabilités à l’époque échoient aux hommes des tribus. Il n’y a pas, à cette époque, de familles monoparentales : une veuve se remarie, les hommes doivent aussi prendre pour épouses les veuves, les orphelins doivent être pris en charge.

L’équité est la notion centrale autour de laquelle tourne cette sourate. Le fidèle, ou le chercheur, doit lire toute cette sourate en gardant à l’esprit qu’au fond ce qui est demandé à chaque instant à l’homme libre, c’est d’agir avec sagesse et discernement, et non pas d’obéir brutalement à la parole de Dieu sans réfléchir.

Exemple : vous avez la charge d’un orphelin qui possède les biens de son père mort à la guerre. Quels droits avez-vous sur ces biens ? Le coran vous dit : si vous êtes riche n’y touchez pas, si vous êtes pauvre, faites-en un usage parcimonieux et raisonnable (ma’ruf).

Et le coran ajoute : à la majorité de l’orphelin, remettez-lui ses biens devant témoin. Ce qu’il faut comprendre, c’est que vous devez agir en transparence car la communauté vous jugera sur votre équité. Si vous dépensez tous les biens de l’orphelin dont vous avez la tutelle, la communauté le saura, Dieu le saura, et vous n’irez pas en prison mais votre réputation en prendra un coup. Honte à celui qui profite de la fortune d’un orphelin.

Si vous prenez sa mère pour épouse, sachez toutefois que vous devrez lui donner une dote et que vous n’aurez aucun droit sur ses biens à elle. Si elle est plus riche que vous, vous devrez mériter son aide et son soutien dans vos entreprises.

Lecture des « Femmes », sourate IV, verset 2. Pourquoi parler d’orphelins dès le début ?

À l’époque où le coran est révélé, les hommes sont ceux qui ont la responsabilité des affaires économiques et morales de la famille, du clan et de la tribu. Dans toutes les cultures que nous connaissons, l’antiquité en général est un monde d’hommes. Ce sont eux qui doivent gagner l’argent, l’investir, le distribuer, songer à l’avenir et nourrir tout le monde dans la maison. Les femmes étaient globalement subalternes.

Les guerres sont fréquentes et intégrées dans la pensée politique, chez les Grecs, les Chinois comme chez les Arabes. Beaucoup d’hommes meurent au combat, laissant veuves et orphelins dont il faut s’occuper. Les guerres apportent aussi des esclaves, captifs de guerre, ou vous tranforment en esclave quand vous avez perdu la bataille. Ce contexte explique pourquoi dès le début de la sourate dite des Femmes, il est question d’orphelins.

Et donnez aux orphelins leurs biens; n’y substituez pas le mauvais au bon. Ne mangez pas leurs biens avec les vôtres : c’est vraiment un grand péché.

Coran, IV, 2

Un texte comme le coran se situe dans cette antiquité et traite donc souvent de sujets comme les orphelins, les esclaves, les guerres, la gestion des biens.

Il s’adresse aux hommes libres. Il ne parle pas directement aux esclaves, aux femmes et aux enfants, mais à travers les hommes libres, il guide l’ensemble de la population. De même il est prononcé en arabe mais à travers l’arabe il s’adresse à tous les peuples. De même il parle de sujets compréhensibles par les habitants de l’Arabie antique, mais à travers cette antiquité, nous pouvons l’entendre et adapter son message à notre temps.

Lecture des « Femmes », sourate IV, verset 1 : la femme n’est pas issue de l’homme

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Ève n’est pas née de la côte d’Adam

Pendant le ramadan, j’accompagne mes prières d’une relecture du coran. Cette année, ce n’était pas prémédité, je suis resté bloqué sur la quatrième sourate, que je lis et relis dans chacune de mes prières. À force quelques idées me sont venues que je vais partager avec vous sur ce blog.

Qu’une sourate entière du Coran soit intitulée « Les Femmes », c’est en soi un geste révolutionnaire car le statut des femmes dans l’antiquité était presque inexistant. Certes, l’antiquité nous offre des exemples de femmes de pouvoir dans l’aristocratie (la reine de Saba, Nefertiti, Cléopâtre). L’antiquité a fait naître des femmes lettrées comme les célèbres poétesses grecques. Mais les femmes dans leur ensemble ne sont pas considérées en tant que telles. Nous ne reviendrons pas ici sur les théories anthropologiques d’Aristote ni sur les épitres religieuses de Saint Paul, les femmes y sont reléguées à un rang ontologiquement inférieur.

Un texte sacré consacre une sourate aux femmes, c’est une nouveauté et il importe que l’on décrypte ce qui y est dit, d’autant plus que nos élites françaises laïques aiment répéter que l’islam est misogyne. Alors on va  voir ensemble, sur ce blog et pendant ce temps de jeûne et de calme, ce qu’il en est vraiment dans le coran.

Le premier verset rappelle la Création divine déjà racontée dans la torah et la bible mais avec une variante :

Ô humains ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d’un seul être, et a créé de cet être son conjoint, et qui de ces deux-là a fait répandre beaucoup d’hommes et de femmes.

Coran, IV, 1

Sans être trop sûr de moi, je dirais que le coran diffère de la bible en ceci que Dieu n’a pas créé directement l’homme, puis de l’homme une femme ; mais Dieu a créé  un « être », à partir duquel il a créé le premier homme et la première femme.

(Selon ma femme Hajer, le mot Nifs est plus proche d' »âme » que d' »être », mais après réflexion je souscris aux choix faits par les autres traducteurs qui parlent aussi d’être. C’est plus général et moins mystique.)

Ou pour être plus précis, Dieu a créé un être, puis un « double » de cet être, un « partenaire ». Et de ces « deux-là » sont issus les hommes et les femmes.

À quoi peut correspondre cet être intermédiaire entre Dieu et l’homme ? Je ne me risquerais pas à une hypothèse, pas pour le moment, mais je garde à l’esprit cette Création par étapes. Dans l’islam, Dieu crée quelque chose qui deviendra ce que nous connaissons.

Trop de traducteurs disent « Dieu vous a créés d’un être et de cet être a créé son épouse ». Cela donne l’impression que la femme (l’épouse) sort de l’homme. Mais ce n’est pas correct car le mot Zawjaha devrait se traduire par « son époux à elle ». 

Non, il est plus rigoureux d’affirmer que Dieu a créé la matière, l’être, à partir de quoi il l’a dédoublé en partenaires, comme des êtres hermaphrodites. Après quoi les êtres ont évolué jusqu’à produire des hommes et des femmes.

L’antiquité grecque nous a habitué à ces mythes de la Création de l’homme, avec une origine hermaphrodite des hommes et des femmes. Que l’on songe au Banquet de Platon et aux théories sur l’amour qui y sont exposées.

Un texte comme le coran se situe dans cette antiquité orientale, où se mêlent christianisme, judaïsme, mysticisme hellénique, pensée byzantine, philosophie grecque, cosmologie égyptienne, sans parler des milliers de trésors des peuples disparus de la péninsule arabique. Sa porosité avec la culture grecque, qui m’est plus chère qu’une autre, est affirmé par Youssef Seddik notamment et par de nombreux isamologues.

Il faut sortir du préjugé selon leque le coran serait une imitation maladroite des histoires bibliques par un faux prophète qui aurait mal compris la profondeur des grands récits hébreux.

Ici il y a une remarquable constance intellectuelle : de même que Dieu n’a pas parlé directement à Mohammed, mais est passé par un intercesseur angélique qui avait la forme d’un homme, de même Dieu n’a pas créé l’homme directement. Il a créé la substance.

Ma traduction du Coran

Comment puis-je prétendre être moi-même traducteur du Livre saint ? Mon niveau d’arabe n’est pas suffisant pour une tâche si noble.

Je vais vous dire comment je procède. Vous comprendrez que je n’ai pas fait le travail tout seul, bien au contraire. Le possessif « ma traduction » signifie que j’en suis le seul responsable. S’il y a une erreur, elle est de mon seul fait, mes collaborateurs n’y sont pour rien. Ils m’ont par contre beaucoup aidé.

Je lis une traduction, puis une autre et une autre. Sur certaines phrases, elles ne s’accordent pas sur tel ou tel mot, ce qui produit parfois de gros écarts de sens. Je dois donc me faire ma propre idée et partir à la recherche du sens véritable et choisir en conscience les mots français qui constitueront l’équivalent le plus approprié.

Par exemple quand un mot est traduit tantôt par « mécréants », tantôt par « polythéistes », tantôt par « associateurs », l’écart de sens est énorme. « Mécréant » peut équivaloir à une insulte du genre « payen » ou « pas très catholique ». « Polythéistes » désigne des gens qui n’appartiennent pas aux religions monothéistes (animistes, grecs antiques, perses zoroastriens, etc.). Enfin « associateurs » renvoie en général aux chrétiens puisque ces derniers sont accusés d’associer à Dieu un fils de Dieu qu’ils prient et vénèrent. La traduction est donc déterminante.

Il est bon de savoir qu’en arabe le mot en question est Mushrikin, et que ce mot est basé sur l’idée d’additionner. Ainsi, il ne désigne pas les chrétiens ni les juifs comme certains le prétendent, mais des gens qui ont plusieurs dieux. Mais dans le contexte de la sourate en question, on comprend qu’il s’agit simplement des adversaires du moment, et que ce mot renvoie plutôt à une insulte pour galvaniser les troupes, afin de défendre la paix de la tribu. Cela correspondrait plutôt à des jurons grognards des armées françaises de type  » salauds de payens », « damnés d’antechrist », ou « satanés hérétiques » sans réelle considération sur la religion des adversaires combattus.

Je lis donc le texte en arabe mais avec beaucoup d’humilité. Quand des mots ou des phrases ne me sont pas clairs, je vais à la pêche aux informations et interroge les mots arabes eux-mêmes.

Il y a d’excellents dictionnaires savants qui génèrent des données étymologiques necessaires.

Souvent enfin je demande à mon épouse de bien vouloir éclairer ma lanterne et c’est le moment le plus doux de ma recherche. Hajer n’est pas seulement arabe, elle est une lettrée polyglotte et professeure de langues, enseignant l’arabe, le français et l’allemand. Sa connaissance des langues est à mes yeux infinie. Elle me dit le mot arabe, la clé du mot et le type de vocabulaire qui lui est associé. Souvent elle est inspirée, alors je la laisse parler et me baigne dans son érudition. Elle me donne ainsi des indications précieuses de toutes sortes qui pourraient par leur richesse créer de la confusion mais qui se révèlent toujours très éclairantes.

Je lui pose des questions, je lui propose mes hypothèses de compréhension qu’elle valide ou pas. Je chemine avec la femme que j’aime dans les méandres de la langue arabe, de la langue française, et du texte coranique.

C’est ainsi baigné d’un savoir multiple sur les mots arabes que je choisis les termes français qui me paraissent les plus appropriés. Je suis seul dans cette phase finale car les mots français que je choisis sont le fruit de ma réflexion sur la langue.

C’est ainsi que je fonde ma traduction sur une certaine vision et perception du message coranique.

Voilà pourquoi j’ai l’outrecuidance de dire « ma traduction ».

Les oreilles et l’œil de ma femme

Les dernières mesures de cette symphonie que vous aurez tous reconnue ont été filmées par mon épouse à l’Isarphilarmonie de Munich, hier soir.

Impressionné comme toujours par son sens du timing, je lui ai demandé si elle avait sorti son téléphone sachant qu’on entrait dans la dernière minute de la symphonie. Avait-elle eu la volonté de capter les fameuses ultimes mesures ?

Tout à fait. Son oreille musicale est telle qu’elle se repère dans une symphonie romantique comme moi dans la ville de Lyon. Les yeux fermés.

Les oreilles closes plutôt, ce qui est plus adéquat quand on évoque une musique qui fut composée par un homme qui était en train de devenir sourd.