La vraie mort de Philippe Sollers, un écrivain remorque

Photo de Matej sur Pexels.com, générée quand j’ai saisi les mots « vieil écrivain sur sa machine à écrire ».

L’écrivain s’est éteint à 86 ans hier ou avant-hier. Paix à son âme.

Le dernier billet que je lui ai consacré date de 2008 et recensait son dernier livre intéressant, ses mémoires intitulés Un vrai roman (2007).

Philippe Sollers se distingue comme un homme qui aura toujours été en retard sur les événements, qui aura couru après la gloire en essayant d’incarner la nouveauté alors qu’il ne faisait que se renier, qu’imiter les autres, et que prendre la pose. Petit condensé de sa carrière à grands traits :

Années 1950, il monte à Paris et prend racine dans le « milieu littéraire » qui sera son champ de bataille. Financièrement aisé, il n’enverra pas ses manuscrits par la poste, il les donnera à ses nouveaux amis éditeurs. Il écrit de manière classique, comme ses aînés, pour leur montrer qu’il est aussi bon qu’eux. Il sera donc apprécié et adoubé par des écrivains d’avant-guerre.

Années 1960, il devient d’avant-garde et écrit comme les expérimentateurs qu’il rallie (lettrisme, situationnisme, nouveau roman, etc.). Pour combler son retard sur eux, il fonde la revue Tel Quel qui les publie, et qui cherche à donner l’impression qu’il est lui-même le créateur des mouvements qu’il singe.

Années 1970, il fait son fameux tournant maoïste, des années après le « Grand bond en avant » et la « Révolution culturelle ». Ayant raté mai 68, il compense en se radicalisant et en incarnant la position chinoise. De fait, il est encore lamentablement en retard : quand Simon Leys publie Les Habits neufs du président Mao, dénonçant le mal que fait Mao à la culture chinoise, Sollers est vu comme l’intello parisien maoïste qui n’a rien compris. Il va passer des années à se défendre et à incorporer Simon Leys à sa propre galaxie pour faire oublier ses égarements.

Années 1970 encore : il retourne sa veste et rejette le marxisme-léninisme. Il soutient BHL et les « nouveaux philosophes ». Il n’aura vraiment eu aucune colonne vertébrale, sauf celle de la séduction et de la mise en réseaux de ses contacts.

Années 1980, retour à la normale, il abandonne les expérimentations, écrit des livres qui parlent de cul. Arrête la revue Tel Quel, se vend aux éditions Gallimard et y fonde la revue L’Infini qui n’a pas de prétention politique. Il fait du marketting culturel. Il surfe sur sa réputation d’écrivain, qui est entièrement due à son entregent dans le milieu littéraire. Participe souvent à l’émission de télé Apostrophe. Devient célèbre à défaut d’être un bon écrivain.

Années 1990, il règne sur le milieu littéraire. Écrit de pleines pages dans le supplément littéraire du Monde. Parle beaucoup du siècle des Lumières car il n’a rien à dire sur le monde contemporain. Il prétend, comme BHL, se cacher derrière son personnage médiatique pour mieux élaborer une œuvre dont on ne saura jamais rien.

Années 2000, années de retraite active, où il peut raconter sa vie en un beau petit livre séduisant. Terminé. Il aurait dû tirer sa révérence après cela, comme Philip Roth l’a fait.

Années 2010 et 2023. Rien.

Ce n’est pas un hasard si le titre de mon billet de 2008 était « Sollers avant la mort ». On avait déjà cette sensation que le vieux monsieur avait bien travaillé et que c’était terminé dorénavant, qu’il devait penser à se reposer. La sagesse consiste souvent à savoir s’arrêter, c’est une décision très difficile à prendre, surtout quand on est un homme de réseaux. Les derniers écrits de Sollers n’avaient plus aucun intérêt, c’était de l’édition en pilote automatique. Il ne savait même plus quel mouvement suivre pour feindre d’en être l’organisateur.

Qu’on me permette de citer mes propres mots comme éloge funèbre :

Pas de doute qu’il sait s’y prendre, et qu’on le regrettera quand il disparaîtra. Il nous laissera avec des gens beaucoup moins légers, beaucoup plus corrects. En effet, ce n’est pas avec des Michel Onfray qu’on va rigoler en parlant de Nietzsche et d’érotisme.

La Précarité du sage, 1er janvier 2008

Au bord de l’eau

Dans cet article publié à Shanghai, je parle de mon émerveillement devant la vie des Nankinois au bord de l’eau. En particulier de ce qui se passe autour du Lac des Nuages Pourpres, dans la montagne de Nankin.
Paru en chinois dans l’hebdomadaire Oriental Outlook.
Regardez le nom chinois que j’ai l’honneur de porter. Un vrai poème à lui tout seul.

Lire à ce sujet, PLOUF

La Précarité du sage, 02 juillet 2008

Ce nom m’a été donné en 2004 quand je suis arrivé à Nankin pour y enseigner le français. J’avais demandé à une collègue chinoise de m’aider dans cette tâche. Elle avait décomposé mon prénom en trois sons : Guillaume – Gi Yao Mou. Puis elle a cherché les meilleurs idéogrammes se rapportant à ces sonorités, et enfin elle leur a donné un ordre qui lui paraissait plus joli.

记慕尧,Ji Mou Yao : L’homme qui admire l’empereur Yao.

Deux auteurs de voyage, un amateur et un professionnel

Quand le professionnel vous fait détester le monde, écouter l’amateur qui vous le fait aimer.

Le sage précaire.

Voici deux livres dont j’ai déjà parlé séparément, semblables à bien des égards et au destin opposé. Dans les deux cas, un homme arrivé à l’âge mûr décide de raconter un long voyage, à pied ou à vélo, effectué dans une région du monde moins industrialisée que la France.

L’un est un amateur, médecin à la retraite passionné de lecture et d’écriture. L’autre est un professionnel de l’écriture qui a passé sa vie dans le journalisme et les médias. L’un a publié chez L’Harmattan, avec ce que cela charrie de préjugés, l’autre avait déjà un contrat d’éditeur avec les éditions Phébus avant même de partir et de commencer à écrire.

Sur le même thème, lire Peut-on être randonneur et écrivain ? Longue Marche de Bernard Ollivier
La Précarité du sage, 2007.

Naturellement, vous n’avez jamais vu le livre de Denis Fontaine, dans aucune librairie ni aucune bibliothèque, vous n’en avez jamais entendu parler et n’avez pas vu son nom sur les programmes des festivals de livres de voyage. En revanche, celui de Bernard Ollivier a fait l’objet de nombreux comptes rendus dans la presse, à la télévision, sa présence a été longuement soutenue par un système médiatique bien rôdé. Une citation tirée du Monde des Livres apparaît même sur la couverture de son édition de poche, preuve supplémentaire que l’un des deux auteurs a « la carte », qu’il est adoubé par les instances de légitimation. Ces instances (édition, presse, librairie, prix, événementiel) forment un système qui professionnalise quelques auteurs et quelques produits.

Pour ce qui est de la qualité littéraire, le meilleur des deux récits est celui de l’amateur, et non celui qui a bénéficié de toute cette légitimation. L’auteur le plus intéressant du point de vue littéraire est l’auteur obscur publié chez l’éditeur déprécié. Je vous laisse le loisir d’aller voir par vous-même. La Précarité du sage se pose comme pôle de légitimation littéraire à lui tout seul. Lisez sans a priori les deux livres et décidez lequel des deux mérite le plus la publicité et la presse. Les deux sont écrits avec franchise et simplicité, mais celui de Denis Fontaine est mieux construit, plus tenu. Paradoxalement, c’est chez l’amateur qu’il y a le plus de « métier », plus de maîtrise des codes d’écriture. Mais ce n’est que mon avis et je suis ouvert à tout avis contradictoire. Simplement, cher lecteur, si tu veux me contredire, il te faudra faire l’effort d’aller explorer ce terrain vague qu’est l’édition non balisée, l’écriture non légitimée par le système médiatique.

Ce qui est indiscutable en revanche, c’est l’aspect idéologique et intellectuel, bien plus intéressant chez l’amateur que chez le professionnel. Alors que l’expert journaliste méprise les Chinois et dédaigne d’apprendre même des rudiments de mandarin, le médecin lettré montre un véritable intérêt pour les Algériens et accepte avec patience les rodomontades de certains membres des forces de l’ordre qui veulent en remontrer aux voyageurs occidentaux.

Le professionnel, et on retrouve cela chez les « nouveaux explorateurs » du genre Tesson, Poussin et Franceschi, n’hésite pas à lancer des jugements de valeur dignes de touristes qui sortent pour la première fois de leur bled. Exemple, il entre en Chine avec un préjugé négatif : « Les Chinois ne sont pas connus pour leur hospitalité ». Ce n’est déjà pas glorieux d’écrire des clichés éculés comme celui-ci, mais on devrait s’attendre d’un voyageur qu’il aille au-delà de ses préjugés. Bien au contraire, Bernard Ollivier ne fera que les accentuer :

En passant la frontière je suis tombé dans un autre monde. Tomber est bien le mot. Comme dans un puits.

Bernard Ollivier, Longue Marche, III, Le vent des steppes, p. 129.

C’est chez l’amateur, à l’inverse, que vous jouirez d’une approche proprement voyageuse, sans jugement personnel, qui essaie de comprendre la vie des gens.

Dernière chose : le professionnel aime montrer qu’il est lui-même objet de curiosité. Il se brosse les dents, les jeunes gens s’agglutinent en face de lui pour le regarder : « Pour eux le spectacle est si extraordinaire », ibid., p. 130. On ne saura rien sur les gens qui habitent là. L’écrivain voyageur professionnel semble satisfait de nous en rapporter ce presque rien qui fait de lui, le voyageur professionnel, le centre du spectacle.

Sur le même thème, lire Traverser à vélo l’Algérie des années 1980

La Précarité du sage, 2022.

Vous ne lirez rien de tel chez Denis Fontaine, qui n’a pas peur de parler de lui pour être plus apte à rencontrer les autres. Nulle part dans son récit le voyageur est plus intéressant que les personnes rencontrées dans le voyage, et au final il a su donner l’impression d’être un homme modeste, courageux et ouvert au monde.

Conclusion : il est urgent d’inverser les jugements de valeur sur le professionnalisme et accorder davantage de confiance aux amateurs. Les instances de légitimation ne sachant plus où donner de la tête, la qualité ne se trouvera pas forcément où on la cherche.

Pi Ying Xi : Le théâtre d’ombres de Philippe Forest

Philippe Forest en 2022

C’est le plus beau livre qu’on puisse lire depuis le début de l’année 2022. Une excellente promenade dans le monde chinois contemporain à travers le regard d’un Français qui ne comprend rien à la Chine. Pi Ying Xi se lit avec une facilité déconcertante et participe de ce genre littéraire d’aujourd’hui qui mêle autobiographie, récit de voyage, essai et rêverie.

Le dernier texte de Philippe Forest me procure une profonde émotion car l’écrivain remue des souvenirs de la vie qu’il menait dans les années 2000, que ces souvenirs concernent la Chine et que je vivais moi-même en Chine dans ces années-là.

Mieux encore, Forest parle abondamment de Nankin et de Shanghai, villes où j’habitais et travaillais.

Encore plus fort, c’est justement à Nankin que j’ai rencontré Philippe Forest à l’occasion d’une rencontre littéraire à l’Alliance française. La directrice de l’Alliance m’avait demandé d’accompagner le groupe d’écrivains français dans leur visite de la Montagne Pourpre et Or. J’avais profité de ces promenades pour sympathiser avec Forest et lui exprimer mon enthousiasme pour son premier roman, L’Enfant éternel, qui m’avait fait pleurer et qui m’avait enchanté. J’ai déjà raconté en 2005, sur un autre blog, cette rencontre avec Forest, avec Bi Feiyu et d’autres auteurs. J’ai aussi fait le reportage, rapide et exhaustif, de l‘événement littéraire qui eut lieu à l’Alliance française. Nul besoin d’y revenir, vous avez cette histoire en tête.

C’est la différence entre le sage précaire et un grand écrivain. L’écrivain médite longuement sur ce qui lui arrive et commet un texte magnifique quinze ans plus tard publié dans la collection « blanche » de Gallimard. Le sage précaire ne médite pas et dit tout ce qu’il sait d’un coup, pour vider sa mémoire et libérer de l’espace sur son disque dur, qui ne le reste jamais très longtemps.

En relisant mon texte de 2005, je m’aperçois que je n’ai vraiment pas beaucoup changé, mais je ne suis pas là pour parler de moi.

Chinois de Liverpool

C’est bien simple, depuis que je suis en Angleterre, je mange chinois. Ce n’est pas que je fuie la nouriture anglaise, bien au contraire, je cours après les frites et les filets de morue, mais je n’ai pas le choix, ce que je vois de plus appétissant, et même de seuls restaurants dans mes prix, ce sont les buffets chinois.
Je mentirais si je disais que cela ne me réjouit pas intimement et ne me ramène pas à de délicieux souvenir dans mon pays d’adoption.
A Liverpool, comme à Manchester, un quartier chinois expose une belle arche colorée et propose au promeneur toutes sortes de restaurants ouverts toute la journée. Pour six livres (à peu près 100 yuan RMB), on peut manger à volonté.
La coquetterie anglaise va jusqu’à traduire les noms de rue en chinois. Je dis que c’est de la coquetterie car, let’s face it, les Chinois savent lire l’anglais, ils n’ont nullement besoin de traduction. Ce signalement est fait en direction des Occidentaux, pour leur montrer que Liverpool a évolué depuis l’infâme et lucrative époque du commerce triangulaire, de la traite des esclaves et du colonialisme.
Par ailleurs, les Chinois, et le mandarin, c’est classe, cela fait ouvert sur le monde, presque lettré. Il n’y a pas de quartier africain, (qui ferait classe aussi, notez bien.) 

Dix ans de blog pour le sage précaire

Nankin en douce, mon tout premier blog, vient de fêter ses dix ans.

C’est vrai, c’était en juin 2005 que j’ai ouvert mon blog, alors que j’habitais dans la jolie ville chinoise de Nankin. Le premier billet s’intitulait La Lune et racontait comment, quelques mois plus tôt, j’étais allé sur la montagne Pourpre et Or pour regarder la lune, en compagnie d’amis chinois et étranger. Cela finissait ainsi :

Au sommet, nous escaladâmes des rochers et nous contemplâmes. Luluc et Mimic chantèrent La fameuse chanson : Yue Liang dai biao wo de xin. Elle signifie à peu près cela : “Tu veux savoir combien je t’aime et la profondeur de mon amour ? Regarde la lune, elle figure mon cœur.” Chez nous, cela voudrait dire que mon cœur est plein de tristesse, de froideur ou de douceur maladive. Ici, je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire.

Dix ans que j’écris sur des blogs, ce n’est pas rien. Cela fait des milliers de pages et milliers de commentaires.

Dix ans de blogs.

Je voudrais dire aux jeunes gens qui aimeraient écrire de ne pas hésiter à en ouvrir un. Le blog est une bonne école d’écriture. On apprend à intéresser un lectorat varié, et à affronter parfois son hostilité. Mais surtout, on apprend à supporter l’indifférence. C’est l’épreuve la pire. Beaucoup sont inhibés par peur de l’échec ou de la honte, mais le sort le plus probable qui attend toutes nos productions est bien plus déstabilisant : l’absence de réaction, l’indifférence, le vide. Il faut savoir dompter ce vide, et quand on y parvient, on est prêt à tout.

Je recommande à tous la création d’un blog car, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, cela n’empêche pas de publier par ailleurs. Il n’y a donc aucune exclusivité dans le monde de l’édition.

Dix ans de blogs et dix ans de fabuleuses rencontres, de débats rigolos, d’histoires édifiantes.

Ibn Battuta en son temps

Groupe de pèlerins

Replaçons Ibn Battuta dans son contexte historique et esthétique, c’est-à-dire dans son rapport à la poétique du genre littéraire qui est le sien.

Un des dangers, en effet, serait de parler de lui de manière abstraite et générale, comme d’un globe-trotter céleste, libre de toute attache, un vagabond magnifique, et de l’abandonner dans une singularité insignifiante. Pour qu’il puisse nous parler aujourd’hui, et pour qu’il retrouve sa puissance créatrice, il est nécessaire de comprendre les enjeux littéraires, moraux et politiques, de sa double activité de voyageur et d’écrivain.

Né en 1304, mort en 1377, Ibn Battuta part en pèlerinage la première fois en 1325 et dicte sa Rihla en 1355. Vingt-cinq ans de voyage et de narration, dans une vie contemporaine de celles de Marco Polo et de Jean de Mandeville (auteurs des deux récits de voyage les plus influents du moyen-âge chrétien).

L’époque où vit Ibn Battuta est très troublée et pouvait inciter un naturel aventurier à partir en voyage. Le monde musulman connaît un déclin relatif dans ses confins, avec des dynasties qui chutent en Inde et des guerres de plus en plus difficiles dans la péninsule ibérique. Après le pèlerinage à la Mecque, le désir de voyage d’Ibn Battuta penche vers l’Asie, où règne un empire mongol considérable de taille et de puissance. Les grands voyageurs occidentaux, qu’ils partent d’Europe ou d’Afrique, vont au moins une fois en Chine, c’est-à-dire dans l’empire du grand Mongol. Toutes les autres destinations sont essentielles pour des raisons internes aux communautés : la Mecque pour les musulmans, la terre-sainte pour les croisés.

Tanger, la ville de natale d’Ibn Battuta, est l’écrin prédestiné pour un grand voyageur. Porte de l’Espagne, au croisement des ambitions diplomatiques, internationale depuis la création des nations,  Tanger fut le tremplin des conquérants comme Tarik Ibn Ziad et, donc, des explorateurs comme Ibn Battuta. Tanger est une invitation à partir voir les curiosités des confins de l’empire.

Le titre complet de sa Rihla sera d’ailleurs : Présent à ceux qui aiment à réfléchir sur les curiosités des villes et les merveilles des voyages.

Fondamentalement, Ibn Battuta est mu par un désir d’aller voir du pays dans la mesure même où l’ailleurs peut constituer un déploiement harmonieux de l’ici.

Danse des lions pour l’année du mouton

Lyon, 22 février 2015, photos Rebecca Qu
Lyon, 22 février 2015, photos Rebecca Qu

Dimanche 22 février, le quartier de la Guillotière, à Lyon, était repeint aux couleurs flamboyantes de la fête chinoise.

Depuis que je suis tout petit, j’entends parler d’un « quartier chinois », près de la place du Pont. Cela fait des lustres que des Chinois et des Vietnamiens viennent s’installer ici, le long de la rue Pasteur. Ce jour de février 2015, je déambule dans les rue du quartier chinois baignées d’odeur de brochettes et de mets asiatiques. La foule arrive tranquillement, et l’on voit les descendants d’immigrants se faire la bise à la lyonnaise et se parler avec l’accent d’ici.

mmexport1424713608052

Nous savons qu’à Lyon, une présence chinoise est identifiée depuis les années 1910 et les premiers échanges qui mèneront à l’Institut franco-chinois.

Cet institut se trouvait sur les hauteurs de la ville, dans le quartier de Saint-Just. Mais sans doute les nouveaux arrivants ont dû trouver un autre quartier pour s’établir, un quartier avec davantage d’immeubles et davantage de devantures, pour y ouvrir des magasins, des boutiques d’artisans et des cantines.

 

mmexport1424713638333

 

Le quartier chinois jouxtant les universités Lyon 2 et Lyon 3, nous y avons passé beaucoup de temps dans les années 90. C’est rue Pasteur qu’habitaient Ben et Philippe, binôme que nous appelions « Les Ignobles ». Et c’est rue Pasteur que nous passions le plus clair de nos études, de nos soirées et de nos conclaves. Nous formions une espèce de bande de six ou sept personnes, un groupe informel au contour peu défini. Mais nous formions bien une société, car les autres nous identifiaient comme telle, au point qu’ils avaient fini par nous appeler collectivement « les Ignobles ».

 

 

mmexport1424713666220

Je passais mon temps à préciser que non, je n’étais pas stricto sensu un Ignoble. Les Ignobles, si l’on voulait parler avec rigueur, c’était Ben et Philippe, et personne d’autre. Moi, j’étais un compagnon de route, si l’on y tenait, mais sur l’échelle de l’ignominie, je ne valais pas un kopeck. Je ne me torchais pas tellement la gueule, je n’oubliais jamais les événements des soirées de la veille, je ne pétais pas trop les plombs et mes idées ne débordaient pas du politiquement correct. Pas assez de gouffre ni assez d’abîmes pour prétendre au titre prestigieux d’Ignoble.

mmexport1424713706344

 

Nous étions tous, à notre manière, des immigrés de l’intérieur. C’est donc un quartier d’immigrants, indéniablement. Comme je commence à m’ennuyer tout seul, j’appelle une amie doctorante qui habite une de ces rues et qui m’invite à prendre un café chez elle. Il n’y a qu’en France qu’on voit cela : une fille ne craint pas d’accueillir un homme chez elle, dans sa chambre d’étudiante.

mmexport1424713617917

 

Plus tard, je retrouve dans la foule une amie chinoise, doctorante elle aussi, qui prendra de nombreuses photos de la danse des lions que nous avons réussi à voir de près, grâce à une longue patience et une véritable science des mouvements de foule. Elle m’a présenté des amis et nous avons retrouvé encore d’autres amis dans un café.

La vie d’étudiants toujours recommencée.

 

Bonne année de la chèvre

En slalomant entre les pavillons et les petits immeubles de logements sociaux de la ville nouvelle, je cours invariablement devant le logement d’une famille de Vietnamiens ou de Chinois.

Ce matin, de retour de l’étang, j’ai vu un petit temple installé dans leur jardinet. Des bâtons d’encens, une figurine, deux ou trois trucs colorés.

C’est le nouvel an chinois !

Une très belle année de la chèvre pour tous les lecteurs de La Précarité du sage.

Deux cerisiers et un notaire

1417013070317

Je me suis rendu jusqu’au fond de la haute vallée, où le propriétaire des parcelles m’attendait en voiture. Nous avions des bouteilles pour fêter notre affaire. Arrivés chez lui, dans un hameau qui domine la vallée de la Borgne, nous avons descendu, consciencieusement, méthodiquement, tous les nectars. Liquides à bulles, liquides de velours, liquides clairs liquides profonds. Nous leur avons fait un sort.

J’ai dormi dans la cabane, sur le terrain de mon frère, et le lendemain, après une toilette sommaire dans l’eau de la source, je suis allé chez monsieur le notaire.

Il n’y a pas plus éloigné d’un sage précaire qu’un notaire. Un notaire sert à éviter au maximum tout impondérable, toute précarité, dans un accord. Nous avons signé après lecture de l’acte notarié, et sommes allés célébrer l’événement au Café des Cévennes.

Après quoi j’ai loué une voiture et suis allé acheter mon premier arbre fruitier. j’ai voulu un cerisier, je ne sais pas vraiment pourquoi. Parce que j’aime les cerises, me dira-t-on. C’est vrai mais pas davantage que les figues, les prunes ou les pêches. Avant tout, le cerisier, ce sont des fleurs qui rappellent l’été, et qui me rappellent deux lieux qui m’ont enchanté : Dublin, en Irlande, et certains coins d’Asie.

C’est bizarre malgré tout, et je m’en avise au moment même où je vous en parle. Pourquoi diable n’ai-je pas choisi un prunier ? Le prunier aurait eu beaucoup plus de sens : cela m’aurait ramené à la Chine, en particulier à la montagne Pourpre et Or de Nankin, et au fameux motif calligraphique de la branche de prunus. Le fruit du prunier est magnifique et tout aussi érotique que celui du cerisier. Enfin, pour l’amoureux d’Asie, le cerisier rappelle plutôt le Japon, et ce n’est pas avec le Japon que j’ai initié une histoire d’amour… J’aurais dû choisir un prunier, et j’ai choisi un cerisier, c’est ainsi.

J’ai même choisi deux cerisiers. Peut-être parce qu’il y avait deux pépiniéristes dans le village et que je ne voulais pas faire de jaloux. Le premier donnera des fruits à partir de fin mai, le second à partir de juillet. Il y aura donc des cerises tout l’été, si Dieu le veut.

1417013073638