Je demande à des amis : « A quoi pense un Européen, ou un Américain, au nom de Tiananmen ? » Silence. C’est un peu comme si on demandait à de jeunes Parisiens ce que les Chinois pensent quand on leur parle de Montmartre. C’est un lieu touristique, mais si la question est posée c’est qu’il doit y avoir un piège. C’est certainement politique. Ils se risquent : « La politique de Mao ? » « Le parti communiste ? » « Le symbole du régime ? »
Pour les jeunes Chinois, la place Tiananmen reste le lieu des grands rassemblements populaires, en particulier celui de la déclaration de Mao lors de l’inauguration de la République populaire, en 1949.
C’est après coup que les « événements » de 1989 leur viennent à l’esprit. Ils n’ont jamais ni vu ni entendu parler de ces images de chars, d’un étudiant arrêtant les chars. Ils avaient trois ans en 1989. Ils n’imaginent pas un instant que les touristes étrangers ne prononcent le nom qu’avec prudence, car ils ne savent en fait même pas ce qui s’est passé à l’époque. La façon dont le régime est parvenu à bloquer l’information, ou du moins la connaissance de l’histoire récente, tout en laissant une économie internationalisée s’établir dans le pays, me fascine. Autrefois, la Chine oscillait entre des périodes d’ouvertures qui présentaient le risque de libéraliser la population, et des périodes de fermetures qui appauvrissaient l’économie domestique.
Je me demande si elle n’est pas en train de réussir une libéralisation économique sans contrepartie civile, politique ou juridique. Un contrôle des esprits que je ressens tous les jours chez mes amis et collègues, mais dans la bonne conscience et la collaboration de toutes les puissances de la planète. Ceux qui prédisent la chute du régime n’oublient pas d’ajouter que cela se fera par un conflit cataclysmique. Moi, je ne prédis rien du tout, n’est-ce pas. Ce que je m’autorise à songer, en revanche, c’est à l’endroit où me réfugier en cas de cataclysme. Vaudra-t-il mieux être sage précaire, mobile et sans bien, quand les bombes tomberont sur la place Tiananmen ?
Quelles bombes?
Tienanmen, c’est peut-être un peu vieux pour troubler la bonne conscience de tes collègues, mais on peut aussi envisager d’autres possibilités. Moi, je n’en sais strictement rien, mais il y a peut-être aussi quelque chose qui est lié à la révolution culturelle, quelque chose comme un reflexe lié à la grande terreur des années 70. Je suppose que pour quelqu’un qui a connu ou entendu parler de cette époque, petit à petit la situation politique s’amèliore, touchons du bois, pourvu que ça dure…Il y a une sorte d’hebetude des grands traumatisés, et on le serait à moins. En tout cas, pour moi, l’evenement marquant, ce n’est pas les quelques images que j’ai vu de Tiananmen, mais l’aperçu que donne par exemple S21 sur les possibilités des régimes de l’époque.
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Tian an men 89, c’est un oubli facile à cadrer. Un lieu, une date, une image. Oui, les Chinois de 20 ans ne savent pas, on ne leur a pas dit. Et ils se photographien les uns les autres devant les chars réformés qui décorent les jardins publics. Mais si on demande à un Français de moins de 30 ans ce qui s’est passé en Algérie il y a 50 ans, il aura du mal à rassembler la guerre d’indépendance, l’OAS, l’émigration des pieds-noirs, le massacre des harkis. Ceux qui y ont appris quelque chose sont vieux maintenant. Ceux qui ont compris Tian an men 89 (que les gens qui sont au pouvoir sont capables de tout pour y rester) sont aux postes de responsabilité; ça explique peut-être pourquoi il se passe si peu de choses en ce moment.
A part ça, je ne suis pas d’accord avec « réussir une libéralisation économique sans contrepartie civile, politique ou juridique … » Pour fonctionner, l’économie moderne a besoin du droit. On commence par la propriété privée et les contrats, on se retrouve avec les droits des personnes; les fonctionnaires s’habituent à respecter les lois, et les juges à les appliquer. J’ai l’impression que la Chine en est à Napoléon III, période d’enrichissement, de conformisme, et de construction. A part la guerre de 1870 et la Commune qui n’ont pas ébranlé le monde, ça s’est bien fini. Il n’y aura pas de cataclysme, et le pays sera assez riche pour servir une pension au sage précaire sur ses vieux jours, comm à tous les citoyens. C’est ce que je souhaite et je parie là-dessus.
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J’espère que vous avez raison, Ebolavir. Je partageais cet optimisme il y a quelques années, mais il s’éloigne. Sait-on jamais, l’optimisme peut revenir, c’est très volatile, ces sentiments-là.
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« A part la guerre de 1870 et la Commune qui n’ont pas ébranlé le monde, ça s’est bien fini. Il n’y aura pas de cataclysme… »
Directement héritées de la période en question…seulement encore deux guerres mondiales…
Cela dépend de la vision personnelle du cataclysme, en somme!
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EBOLAVIR,
je voudrais bien que vous ayez raison… Tout ce que je puis voir actuellement, de ma modeste petite place, en Asie du Sud Est, tendrait a vous donner tort.
Prosperite economique sans contrepartie civile – on voit ca depuis longtemps a Singapour, ou la devise semble etre : »Tais-toi et consomme » ; dans une moindre mesure en Malaisie toute proche, ou on semble crever d’envie d’arriver au meme resultat – avec moins de succes, vu la difference de taille des deux pays, et le caractere brouillon de l’ethnie malaise qui est aux commandes.
Mais les journaux de 150 pages sont NULS tellement la censure est vache ; en revanche, les pages « nouveaux restaurants » ne manquent pas. Et les cinemas multiplexes ne projettent QUE les grosses machines hollywoodiennes propres a decerveler tout un peuple qui n’en demande pas plus, puisqu’on ne lui propose pas autre chose.
Et les gens sont « heureux », enfin certains… Maintenus dans un etat vaguement infantile. L’islam (« soumission », n’est-ce pas ?) n’arrange pas les choses.
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