Comment gagner sa vie sans être professionnel

Dans une rue de Taipei, pour fêter l’anniversaire d’un dieu local, une troupe de comédiens et de chanteurs ont diverti les communautés du quartier Xinyi pendant trois ou quatre jours. L’après midi, et le soir jusqu’à minuit, des histoires fleuve se succédaient, qui racontaient des anecdotes de la vie du dieu en question, dont le culte est célébré tous les jours dans un temple de fortune, de l’autre côté de la rue.

Ce qui m’a le plus étonné, c’était l’attention et la présence de tous ces gens, toutes générations confondues, qui préféraient suivre cette performance de théâtre syncrétique, empruntant au théâtre traditionnel et à la variété taiwanaise, plutôt que de regarder des feuilletons à la télévision ou de jouer à des jeux sur internet.

J’ai demandé à un quidam si la troupe était professionnelle, ou si c’était des gens du quartier qui faisaient du théâtre, en amateurs fervents. Il a ri : « Non, ils ne sont pas professionnels. Enfin, c’est leur job, oui, mais ils ne sont pas professionnels. »

J’ai voulu prendre en photo les jolies actrices qui se maquillaient, ou se démaquillaient, ou se reposaient, ou fumaient des clopes dans les coulisses, mais elles ne voulaient pas. Coquetterie ou réel rejet de la prise d’image, ce n’était pas à moi de juger, je les ai laissées tranquille.

L’ambiance festive de la rue me rappelait des souvenirs de théâtre amateur que je pratiquais dans un village du Dauphiné quand j’étais adolescent. Toujours, je dormais dans les décors, le soir, car il fallait un gardien. Parfois, une comédienne restait avec moi. Ce n’était généralement pas celle dont j’étais amoureux, mais les nuits étaient quand même transfigurées par le lieu, la facticité, la fragilité et l’excitation propres aux décors de théâtre.

Le lendemain de cette représentation, la rue retrouva sa tranquillité. Le dieu avait passé une bonne fête d’anniversaire, les comédiens pouvaient aller entretenir d’autres quartiers, d’autres fidèles.

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