L’épuisement du cycliste à Shanghaï

Ce fut plus fort que moi, pour la première fois j’ai abandonné. La ville m’avait bien eu, j’étais à bout de force et je ne voyais plus d’issue.

Je faisais du vélo depuis longtemps déjà, en pleine nuit, mais je ne m’en rendais pas compte. Le vélo, pour moi, c’est assez proche de la grâce, mon corps n’a plus de poids, il survole le bitume, il avale les kilomètres en pensant à autre chose. Quand je sors d’un bar et que j’annonce : « J’ai encore une heure de vélo pour rentrer chez moi », mes compagnons de bouteilles font les yeux ronds. Une heure de vélo, dit comme cela, ça paraît chiant comme la mort, mais une fois sur la bécane, on pense à mille choses et l’heure passe aussi vite qu’un épisode de Dallas.

L’autre soir, je sortis de chez mes amis avec une appréhension. Je n’étais pas certain de la route pour revenir chez moi. Je n’avais pas de carte de Shanghai. C’est le problème, disons-le. J’ai péché, j’ai payé pour l’orgueil de croire que je connaissais bien Shanghai, maintenant. C’est une illusion, je suis beaucoup plus ignorant que je l’imagine.

Je pris la route, vers une heure du matin, relativement optimiste, car quand je prends la route, je me sens toujours dans mon élément. J’ai une confiance exagérée dans les réflexes de mon corps, les millions de perceptions mémorisées par mon corps grâce auxquelles je retrouve mon chemin sans l’avoir même cherché.

C’était sans compter Shanghai. Elle a des ressources, cette vieille catin. A deux heures du matin, j’étais toujours dans une espèce de banlieue qui ne ressemblait à rien de connu. Je bifurquais, je me dirigeais selon la lumière, selon l’impression que me donnaient les axes routiers, selon les points cardinaux, car il me fallait aller nord ouest.

A deux heures et demie, les routes devinrent mauvaises, et je sentais que je m’éloignais, inexplicablement, et du centre ville, et de toute banlieue. Soudain, un nom de rue m’apparut. Oui je connais cette rue, je l’ai déjà empruntée un jour. En réalité je connaissais son nom, mais je n’avais jamais vu ce Mac Do, ni ce croisement.

Un grand découragement me prit. Ma fatigue n’était pas étrangère à cela. Je rangeai mon vélo, l’attachai à une rambarde, achetai de l’eau et du chocolat dans une superette et pris un taxi. Le plus humiliant est que le taxi ne mit pas beaucoup de temps pour arriver chez moi, peut-être vingt minutes. J’étais donc tout près, j’avais réussi à me soustraire à la banlieue innommable, mais j’ai baissé les bras à trois heures du matin.

Deux jours plus tard, je n’ai toujours pas eu le goût, le temps ou le courage d’aller rechercher mon vélo.   

8 commentaires sur “L’épuisement du cycliste à Shanghaï

  1. Vite, vite, va le rechercher, ton vélo, ou fini le vélo, apu de vélo, ton vélo est ton meilleur ami, ton vélo est ton bien le plus précieux, fait pas l’idiot !!!

    Et si tu veux savoir quelles relations j’entretiens avec mon propre vélo, ça tombe bien que je te lise un peu par hasard en étant passée par le blog de joan, puisque j’ai posté il n’y a pas 5 mn une chronique sur mon mien zamoi, de vélo…

    Ninog

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  2. ‘J’ai une confiance exagérée dans les réflexes de mon corps, les millions de perceptions mémorisées par mon corps grâce auxquelles je retrouve mon chemin sans l’avoir même cherché’.

    Alors là, moi je dis chapeau !

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  3. Oh moi tu sais, Spinoza ? Non je pensais en effet à une certaine montagne battue des pluies et à une confiance qui m’apparut bien exagérée, c’est vrai !

    Souvenirs d’enterrement…

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