Les éditions du Sage Précaire

Je vais me lancer dans une entreprise aussi confuse qu’enthousiaste, l’édition.

Mes premiers rêves d’édition remontent à mes études. Je cherchais un livre de Dickens, Les papiers de Mr Pickwick, introuvable en librairie. Il me fallait écumer les bouquinistes, attendre une opportunité, demander autour de moi.

Puis j’ai travaillé sur un auteur, André Dhôtel, dont plusieurs livres étaient épuisés, aussi.

Je me disais : « Si je gagnais au loto, je monterais ma propre boîte d’édition et je ferais de merveilleuses versions de La chronique fabuleuse et des Rues dans l’aurore. »

Avant cela, il y a eu l’époque où je lisais A rebours de Huysmans, dont le chapitre sur la bibliothèque m’a profondément impressionné. Des Esseintes, le personnage, a fait imprimer des livres dont il était proche, pour s’en rapprocher encore davantage, choisissant le papier, l’encre, les matières, les formes des caractères, soupesant tous les éléments de ces objets particuliers, jusqu’au poids, jusqu’à l’odeur. Qui ne se souvient de ce volume de poésie (je crois qu’il s’agit de Mallarmé mais il faudrait vérifier), dont le papier est si fragile qu’il risque d’être réduit en poussière, et qui oblige Des Esseintes à le laisser clos, comme un trésor inaccessible ?

Alors ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Il est évident que cela va dans le sens de ma petite histoire : faire naître des livres, voilà qui est susceptible de donner du sens à mes actions.

Mais quels livres ?

Je suis tombé, il y a deux ans, sur l’écriture d’une étudiante chinoise, et c’est elle que je voudrais publier en premier. Depuis qu’elle écrit en français, elle développe un style plein de tendresse, d’humour et de sensualité. Un style concis, avec un sens aigu de la narration, de la mise en scène et du portrait. Protégée par la barrière de la langue, elle dit des choses que d’autres jeunes femmes n’oseraient pas dire. Sans bruit, elle construit des billets sur un blog qui séduisent des dizaines d’hommes et de femmes français. Certains sont tombés amoureux d’elle rien qu’en la lisant, et c’est ce qui me plaît : chez elle la littérature n’est pas une chose intellectuelle, mais une pratique sensuelle qui a des effets, une efficacité, une puissance sur les corps.

Nous allons donc faire un travail d’édition sur quelques uns de ses textes et nous allons fabriquer un objet modeste, durable, doux et bizarre.

Pour moi, ce sera la concrétisation de l’amitié que j’ai pour elle, mais aussi de ma vie en Chine, de mes rapports avec la Chine.  

31 commentaires sur “Les éditions du Sage Précaire

  1. Ecrire des thèses obscures sur des sujets qui intéressent une soupoudrée d’individus éparpillés, éditer des textes écrits par des Chinoises inconnues qui le resteront sans doute (mais peut-être pas), rédiger des blogs gratuits voués à une disparition complète, enseigner la culture française à quelques Shangaïens aussi passionnés que peu rémunérateurs…

    Parmi les vertus du sage précaire, sans doute faut-il ajouter un certain goût pour les quêtes improbables, les défis inattendus, les coups de dé incertains et autres rêves inaccessibles.

    Je crois qu’il faut y voir une certaine indifférence pour le risque et l’échec. Préalable indispensable à une grande réussite.

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  2. Bref, avoir compris le sens véritable de la vie…

    Faire les chose qu’on aime et dans lesquelles on croit avant que le manège ne s’arrête (définitivement !), et en regardant derrière soi soupirer d’aise…

    Contrairement à tellement d’entre nous !!!!

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  3. Je m’apprête à devenir précaire : disons le, je ne sais ni où ni de quoi je vivrai dans les mois à venir…enfin, si je n’assure pas mieux mes arrières que je ne m’en sens capable pour l’instant !

    C’est sans doute pour cela que la poésie me vient avec la pauvreté…

    Je vais réintituler mon blog « Ninog la sage précaire ET poétesse »…

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  4. Le type qui ve réussir à inventer une maniere d’éditer des blogs tout en respectant les caracteristiques propres au blog, ce type-là va se faire des cacahuetes en or, c’est moi qui vous le dit. Il va accoucher d’un nouveau re littéraire. On avait déja le roman épistolaire et le journal intime, mais le blog présente à la fois des affinités avec ces deux genres et ce que le roman a de plus fort, la dimension polyphonique, comme dans Ulysse ou L’homme sans qualités. Un blog pourrait devenir cette chose littéraire dans laquelle les personnages auraient une hétérogénéité réelle, s’il réussit à faire de la cacophonie des commentaires quelque chose de littéraire. Mais il lui faudra aussi bien souvent faire tout ce que les commentateurs de blog ne font pas toujours: creuser les idées, les faire s’écouter et se répondre les uns aux autres, etc. Il lui faudrait peut-être même raconter leur vie, mettre de la fiction sur ces inconnus pour leur donner plus de corps. du coup, ce n’est plus à Mr Pickwick que je pense, mais plutôt à Tristam Shandy, pour l’art qu’a Sterne d’y entrelacer des dialogues, des digressions, des variations sur un thème.
    Maintenant, si le blog dont tu parles est celui auquel je pense, alors la difficulté est moins marquée, les commentaires sont rares, seuls quelques emmerdeurs s’obstinent. Mais, même dans ce cas, il y aurait des exemples de textes qui peuvent perdre de la signification si le commentaire n’est pas intégré par l’éditeur, parce qu’ils le reprennent ou y répondent, sans parler de la valeur du commentaire.

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  5. Moi je trouve l’idée excellente et tout a fait originale. Même si je vois mal comment tu vas faire pour devenir l’éditeur de quelqu’un a l’heure ou tout le monde s’autoéditent via blog mais bon , c’est l’intention qui compte. Parfois je me demande ou tu vas chercher toute cette energie , cette passion littéraire , c’est vraiment trés impressionant j ‘avoue et j’en suis jaloux , si tu gagnes au loto et ouvre une vraie maison d’édition avec du papier et tout ou si tu arrives a transformer l’industrie littéraire via blog, je te suis mon bon Guillaume.
    Moi j’aime bien Tristam Shandy , mais le mettre a la meme echelle que le blog là, je dis non. Le parasitage des commentaires est bien réél et c’est meme de la que vient le vrai gachis de cette séduisante invention. Donc le blog est je crois fondamentalement condamnné au « pourrait -être », a ce « pourrait devenir littéraire » dont parle Ben . D ‘ailleurs c’est un livre « virtuel », il le sait et en en est fier , il permet tous les débordements d’un « humanisme télégenique » (puisque l’on se met en scéne via télé transmission, que l’on y écrit comme on cause dans un salon llittéraire chez Pivot ou Durand, que c’est du « langage écrit », du « parler » néo mondain , du « bla bla » littéraire ou qui se voudrait comme tel et qui n’aurait pas déplu a un Queneau d’ailleurs ou qui l’aurait interessé en tout cas) ou on trouve de tout et de n’importe quoi , le meilleur (ce blog et quelques uns) comme le pire (je ne citerai pas de noms , mais ils sont légions puisque n’importe qui ayant un minimum de bagages culturels peut le réutiliser, -le « vomir » plutôt- histoire de mettre en scéne ses petites pathologies quotidiennes petites bourgeoises dont tout le monde se fout, je suis énervé là mais c’est l’effet Besancenot qui gagne la France en ce moment, ça va passer…peut-être..). C’est sur il y a du pain sur la planche pour faire du blog un nouveau genre littéraire , mais c’est jouable, largement jouable et tout dépend de l’intention de chacun (des auteurs, comme des commentateurs). Ah au fait ,je prends 15% sur les ventes futures de ce blog et pour chaque nouveau commentaires de ma part.Je plaisante , mais je pense que quelque part on devrait arriver vers un truc de ce genre, c’est un boulot commentateur, c’est vrai quoi…

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  6. Je reste un peu sceptique, mais c’est peut-être par manque d’imagination. Ce qui faudrait à à un blog pour survivre à l’épreuve du papier, c’est de l’unité, de la continuité. Un blog, c’est du zapping, ça change de sujet sans cesse, ça ne va nul part, il ‘y a très peu de synergie entre les différents billets, rien qui vienne compenser l’absence d’intrigue.
    Cela ne me semble donc pas pouvoir fonctionner en tant que fiction.
    En revanche, en tant qu’essais ou plutôt de carnet, peut-être. Ce pourrait même être une forme très intéressante, car polyphonique via les commentaires, à condition d’un certain suivi et d’une certaines harmonie dans les thèmes (je rejoins Ben). Un des charmes du blog, à mon sens, c’est l’hétérogénéité des points de vue, des types d’intelligence et de culture, d’âge et d’horizon culturel. C’est aussi (à mes yeux) l’effet de masque, car on parle à des gens qu’on ne voit pas et dont on ne sait rien, ce qui est la grande invention d’Internet. Il y a un côié théâtral, jeu de rôle, qu’il faudrait mettre en scène, ce qui n’est pas une mince affaire.

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  7. Ce que vous dites me donnent des idées. Que dis-je! m’a fait rêver. Je me réveille à l’instant, à 6h12, avec dans la tête le livre lui-même. Il s’intitule Nankin en douce et on y voit des images de lacs, de chanteuses et de musiciennes. Les personnages y sont Sigismond, Neige, Route Etroite, le Mexicain. Des lieux, aussi, fonctionnent comme des leitmotiv territoriaux. Des commentaires ouvrent la lecture vers un espace indéterminé.
    Des cacahettes en or, je ne sais pas, mais en effet, cela pourrait intéresser quelques personnes. Surtout que les universitaires anglo-saxons commencent à bénéficier de bourses pour étudier les phénomènes de cyberlittérature.
    Ah, si j’avais le temps, je le ferais.

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  8. La « cyberlitterature », voilà le gros mot qui est lâché. Compenser le manque d’intrigue, je ne crois pas que ce soit le problème. Si on reprend l’exemple de Ulysse, ou de L’homme sans qualités, ou de n’importe lequel de ces gros pavés du 20e siecle, on voit bien que l’intrigue disparaît et est remplacée par la diffraction du réel dans une multitude de points de vue. L’évolution du roman occidental mène au blog qui en est le suprême accomplissement: polyphonie déchaînée, disparition de l’Auteur, brouillage généralisé du sens.
    Ce qui manquerait plus, à mon avis, ce serait plus l’épaisseur humaine ou le grain du réel. Nous discutons trop de nos opinions sans qu’on en voie les replis émotionnels, ou alors ça affleure juste par inadvertance. Nous négligeons le paysage mental ou physique dans lequel tout ça prend forme et les liens entre nos idées et ce réel. Par exemple, l’insomniaque écrit des trucs bizarres qu’il désavouerait s’il les lisait, venant d’un autre, en plein jour.
    Dans Nankin en douce, il y avait Neige, un personnage qui si j’ai bien compris s’est transformé en auteur. Cette métamorphose pourrait être finalement l’emblème du blog: un roman dont les personnages prennent vie, sortent du roman et deviennent auteurs d’un roman dans le roman, la fiction qui se transforme en réel et produit à son tour de la fiction, que put-il jamais y avoir de plus romanesque?

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  9. « l’évolution du roman occidental méne au blog » , je ne sais pas si c’est vrai en tout les cas c’est un bon sujet de réflexion. Cela me raméne d’ailleurs à une interrogation que je me faisais l’autre jour , je ne sais pas pourquoi mais l’auteur de blog me fait penser à un personnage de Beckett , en tout les cas aurait pu en être un , en est peut-être un… »Nous discutons trop de nos opinions sans qu’on en voie les replis émotionnels, ou alors ça affleure juste par inadvertance. Nous négligeons le paysage mental ou physique dans lequel tout ça prend forme et les liens entre nos idées et ce réel. Par exemple, l’insomniaque écrit des trucs bizarres qu’il désavouerait s’il les lisait, venant d’un autre, en plein jour. » n’est ce pas le cas de ces soliloques absurdes , de ces monologues hilarants car complétement déconnecté du réel , deshumanisé que l’on peut lire ici ou là dans des billets de blog.Je ne sais pas si le siécle qui s’amorce va être deleuzien ou quoi en tout cas avec les blogs il est pleinement beckettien a mon sens, c’est un peu pédant de parler comme çà mais ça me semble pas si faux Ben , tu parles du « grain du réel » et ça me fait penser à Barthes , je me demande ce qu’il aurait pensé du blog et d’internet : Nouvelle Mythologie ou génial outil pour mettre à jour les différents éléments sémiologiques mondiaux constitutifs d’un nouveau systéme de la mode ? (ah la vache putain de question)

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  10. Personnellement, je n’ai jamais réussi à lire Ulysse, ni même l’Homme sans qualité, vaincu par l’ennui. Ce sont des romans qu’on aime commenter et analyser, mais que l’immense majorité des gens trouvent chiants à lire.
    Cette évolution du roman occidental (qui ne date déjà plus d’hier…) me semble une impasse à abandonner, au même titre que la peinture abstraite. L’intrigue disparaît, le réel disparaît, l’auteur disparaît, il ne reste plus qu’un projet narcissique où le sujet est l’objet, l’objet le sujet, l’auteur le personnage et le personnage l’auteur. Ca peut encore produire quelques oeuvres excitantes, mais je crains qu’on en ait déjà fait le tour.
    Dans les blogs, je vois deux fils. Le premier, c’est celui de l’auteur du blog, qui désire exprimer une vision et achève son expression en un, deux ou trois ans (après quoi, il n’a plus rien à ajouter et s’arrête). Le second, c’est celui des commentateurs, qui produisent des rencontres avortées : après une phase d’étincelles où les points de vue se confrontent, la curiosité se tarit et l’on s’arrête, le réel ne prenant pas le relais. Dans les deux cas, il y a un élan vers le monde, stimulé dans un premier temps par la facilité (facile d’écrire, facile de se lire, facile de se parler), freiné dans un second par la virtualité (le dialogue s’épuise par manque de corps).
    Un roman blog serait sans doute frappé par cette double frustration : le réel ne prend jamais le relais, ni du côté de l’auteur, ni du côté des commentateurs. Et l’on reste donc au stade de l’amorce.
    L’intrigue, à mon sens, est précisemment ce relais du réel : des personnages mûs par un élan vers l’extérieur intéragissent, produisant de l’aventure. Rien de tel sur Internet.
    Ce serait donc une forme contonnée au bavardage et à la promesse, et donc une forme frustrante. Intéressante peut-être, mais frustrante.

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  11. La question n’est pas de savoir s’il pourrait y avoir de la bonne littérature tirée du blog en tant que blog, car dans la littérature, par définition, tout est possible. Il suffirait de quelques individus au talent hors pair. Le fait que tout blog soit lassant à la longue est sans doute vrai, même si, au fond, on n’en sait rien. Mais les commentateurs ne sont pas précieux pour leurs opinions, à proprement parler. A travers leurs opinions, c’est autre chose qu’ils apportent, ils influent sur le cours du récit, si on peut appeler cela un récit, ils dessinent de nouvelles lignes de réflexion, ils amplifient des trucs, des idées, des personnages, ils deviennent eux-mêmes personnages, puis auteurs, il y a évidemment là de quoi inspirer des oeuvres entières.
    Sur certains blogs, des commentateurs se draguent, se donnent rendez-vous et se rencontrent dans des bars. Il n’y a pas assez de commentatrices sur mon blog pour cela, malheureusement.
    Le passage sur support papier pourrait prendre plusieurs formes. Reprise pure et simple d’un blog déjà existant. Réécriture d’un blog, réinvention, recadrage et édition. Ecriture d’un blog imaginaire dont les commentaires formeraient une polyphonie qui aboutiraient à quelque chose, avec des incursions dans la réalités, des incursions dans d’autres blogs qui se répondent et se font écho. S’il faut des intrigues, il n’y aurait pas de problèmes pour en créer : tout ce matériaux est parfait pour des crimes, des histoires d’amour, des success stories, des chroniques sociales.
    Mais on pourrait se demander si le livre ne serait pas, par là, diminué, désacralisé. Je ne crois pas. Le livre, le papier, les belles impressions, serait un témoignage plus beau que la chose dont il témoigne. Le livre a toujours eu cette fonction d’archivage, de relation, de recueil, de mémoire, et il a souvent sublimé ce qu’il était censé servir.

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  12. Je crois qu’il y a une commentatrice pour ton article sur Facebook. Aprés ce que tu viens de dire, il serait malpoli que tu ne l’invites pas à boire un coup dans un bar.
    Ce qui paraît, à mon avis, sauter aux yeux, c’est que si ce n’est pas déja fait, mais je ne crois pas que ce soit le cas, il va forcément y avoir dans les années qui viennent, quelqes types pour donner d’un seul coup à un blog la forme littéraire parfaite qui y convenait de toute éternité, comme Tolstoï inventa d’un seul coup le forme éternelle du roman russe avec Guerre et Paix… Dieu Lui-même l’avait déja prévu lorsqu’Il créa l’univers.
    Je crois que Chine, Nankin en douce et Pays de Neige pourraient former la matière rutilante d’un long rêve collectif autour de et dans la Capitale du Sud, entrelaçant des « mini-reportages sur la vie des gens », des textes plus introspectifs, des descriptions et des excursions dans la culture chinoise. Il faudrait y trouver des thèmes récurrents pour ficeler ensemble des parties pas trop foutraques, avec une forte résonnance rémanente, comme l’impression dominante d’un rêve persiste après qu’on s’est réveillé, alors même que son contenu nous échappe.

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  13. Hein, hein, on parle de m’inviter à boire un coup?
    Pas compris pourquoi mais toujours d’accord !
    Bon, Antilles / chine, ça fait une trotte, mais je suis une grande voyageuse qui, ça tombe bien, ne sait pas trop quoi faire de ses prochains mois !

    Ca boit quoi, les sages précaires ?

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  14. ah oui d’accord ça y est j’ai trouvé pourquoi !

    Euh, alors on va oublier cette histoire, j’ai lu les mots drague et rendez vous, je passe mon tour, je n’ai rien contre toi, hein, guillaume, qu’on se comprenne bien, ce n’est pas personnel, mais c’est plutôt en rapport avec ce que j’ai pu écrire sur la schizophrénie de ceux qui se cachent derrière leur écran….

    Je deviens méfiante et c’est bien dommage…

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  15. Si les protagonistes d’un forum ou d’un blog se rencontrent dans des bars, alors le récit-blog n’est plus un récit-blog et se transforme en récit traditionnel.
    S’ils ne se rencontrent jamais nul part, alors on reste dans la virtualité et le principe de réalité reste absent : comme dans Facebook, rien ne nous dit jamais si ce qui se passe est réel ou inventé. Or il faut croire à la réalité d’un récit pour s’y intéresser sur la durée. Même si c’est un récit onirique, absurde ou impossible.
    L »‘intrigue » (je ne trouve pas de meilleur mot, mais c’est à prendre au sens le plus large possible = un déroulé d’événements réels reliés entre eux par un principe de nécessité), c’est justement le principe de réalité : quelqu’un dit « je suis courageux », c’est du Facebook ; il plonge dans la rivière pour sauver le bébé qui se noie, c’est de l’intrigue.
    Sans intrigue, il ne reste par définition qu’une cohérence via des thèmes abstraits. C’est donc de l’essais, de la chronique, du journalisme, du cahier de voyage, de la collection de fragments. Eventuellement du journal intime. Ca peut suffire, mais ça n’est pas un récit.
    Même si « il n’y a pas de règles en littérature » (à mon avis il y en a plein, même si elles ont toutes des exceptions), ce n’est pas là une question de talent, mais bien une question de nature.

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  16. Si deux personnes qui s’aimaient secrètement sans oser se le dire couchent ensemble, se pacsent et font un enfant, leur relation n’est plus ce qu’elle était: leur long délire n’est plus un long délire et se transforme en réalité prosaïque.
    S’ils n’osent jamais rien se dire l’un à l’autre, s’ils restent absolument séparés alors que chacune des secondes de leur pensée les occupe l’un de l’autre, ils vivent dans une espèce de rêve éveillé ou de cauchemar à côté duquel la soi-disant réel avec ses exigences et sa prétention leur paraîtra insipide et irréel.
    Leurs parents, leurs amis, se moqueront d’eux et se demanderont pourquoi il ne se passe rien entre eux, pourquoi il n’y a pas d' »intrigue ». Pourtant, pour quiconque pourrait entrer dans leur pensée, il serait évident que leur aventure est autrement puissante que celle du type qui raconte qu’il s’est jeté à l’eau pour sauver un bébé qui flottait dans une riviére. Parce que dans la réalité, il y a des gens qui ressentent des sentiments, de l’ennui, de la souffrance, du désir… Mais il n’y a pas de bébés qui flottent à la surface d’une rivière pour nous donner l’occasion de démontrer notre courage, pas d’aventure retentissante, aucune de ces intrigues que nous nous inventons pour fuir le réel. C’est pourquoi le roman moderne et peut-être le blog témoignent d’une conscience parfois lucide.
    Notre seule aventure, c’est de naître, de vivre, d’éprouver le goût et le dégoût de la vie, et de mourir. Dans ses derniers textes, Neige semble de plus en plus orientée vers ces deux dernieres étapes de l’intrigue. Il y a cet ingénieur chimiste qui se suicide et laisse une espece de testament virtuel trouvé sur son blog: chacun son chemin, j’ai le mien, tu as le tien , peut-être est-ce le même. Il y a cette psychologue qui se suicide aussi et est commentée par l’ironie, le lyrisme, le reproche, la curiosité… Plus glaçant que tout, il y a cet article où une copine à elle rencontre l’amour et c’est tellement désespérant qu’on a envie d’aller sur Facebook pour en finir une bonne fois pour toutes. Qu’on se mette enfin à s’inventer des aventures à la con et qu’on en finsse avec cette lucidité désespèrante.

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  17. Si deux être s’aiment sans vouloir se rejoindre afin de transformer leur amour idylique en quelque chose de prosaïque, alors c’est de la branlette. Autrement dit, une fuite de la réalité. Je dirais même : de la lâcheté. Ou pire encore : de la complaisance narcissique. Dans le meilleur des cas, un handicap touchant mais pathétique. Quelque chose entre l’autisme et la régression infantile. Dans tous les cas, une voie de garage, un mensonge fait à soi-même et aux autres.
    Le rêve et le réel, c’est comme les pôles + et – en électricité, il faut les deux pour qu’il y ait un courant électrique.
    Quand je parle d’intrigue, je ne parle pas d’aventure à la James Bond, simplement de l’inscription dans le réel, qui est la partie complémentaire au rêve, et sans laquelle le rêve n’est rien. C’est le feed back du réel au rêve.

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  18. Ce qui se situe entre l’autisme et la régression infantile, si je vous suis bien, c’est le moteur de toute une littérature, de Tristan et Iseut au Rêve dans le pavillon rouge. Mais si je veux continuer à défendre la possibilité d’un « roman-blog », sans vouloir être trop grossier, je remarquerai que si on veut vous suivre sur ce point, la difference entre une branlette et une pratique sexuelle respectable, c’est, a priori, l’aspect collectif de la chose. Si quelqu’un se fait tripoter par quelqu’un d’autre, ce n’est plus une « fuite de la réalité », j’imagine. C’est bien réel. Or, que pourrait-il y avoir de plus collectif qu’un blog? Je vous proposerai donc la formule suivante: Le blog, c’est la partouze de la littérature. Alors moi, bien sûr, je n’ai jamais participé à une partouze, hein, quelle horreur. Mais si l’intrigue, c’est le feed-back du réel au rêve, alors remarquons ensemble que l’interactivité du blog en fait une chose parfaitement « intriguée ».
    Maintenant, faut-il vraiment voir dans la branlette une fuite de la réalité? Si on vous suivait sur ce point, ce serait toute la catégorie des rêves qui ne se confrontent pas à la réalité, toute la poésie lyrique et épique, qu’il faudrait rejeter comme marque d’immaturité et de narcissisme.

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  19. Je veux, mais je ne peux pas —> de l’intrigue
    Je peux, mais je fais semblant que je ne peux pas (car en fait je ne veux pas, bien que je ne veux pas m’avouer que je ne veux pas) –> de la branlette.

    Tristant VEUT Iseult. Il la veut même plus que tout.
    C’est très différent de l’homme qui fait semblant de vouloir qq chose ou qq un, mais qui en réalité ne le veut pas, car ce qu’il veut, en fait, c’est se faire un roman.

    D’un côté, Tristant et Iseult ; de l’autre, l’homme qui joue à Tristant et Iseuit.
    D’un côté, une volonté qui aspire à atteindre le réel ; de l’autre, une volonté qui s’évertue à l’éviter.

    D’un côté, une aspiration au réel ; de l’autre, au rêve pour le rêve.

    Quand on veut le rêve pour le rêve, alors commence la branlette. Quand en revanche on rêve du réel parce qu’on le désire, mais qu’il nous échappe, commence Tristant et Iseult.

    (PS : J’exprime tout ça de manière docte, mais c’est juste ma manière de réfléchir en écrivant : ma pensée reste précaire et ouverte à la contradiction, cher Ben)

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  20. Je voudrais simplement par ce message remercier et feliciter Mart pour ses explications de texte..
    Rêver parce que notre objet de désir nous est inaccessible, ça n’a effectivement rien a voir avoir avec le désir de la rêverie pour la rêverie, activité à laquelle je m’ adonne avec plaisir par ailleurs !
    Il n’est pas facile d’écrire après Mart mais je me permets une petite anecdote pour répondre à Ben qui souhaite « Quon se mette enfin à s’inventer des aventures à la con et qu’on en finsse avec cette lucidité désespèrante » :
    Quelque part dans les années 60, bien avant Internet et tout le tintouin, le Chili avait décidé de développer ses territoires presque vierges de Patagonie. Suivit un appel aux téméraires en offrant des terres à ceux qui accepteront de partir là-bas se construire une vie de cow-boys. Il y a qques années, j’ ai vu un reportage télé sur les descendants d’ un couple de belges qui avait alors décidé de tout plaquer pour tenter cette aventure. Témoignage d’ un passé souvent drôle, encore plus souvent difficile, ou l’ on ne parle même pas de lucidité (se réfugier dans l’ imaginaire, fuir la réalité eut été suicidaire) mais au combien romanesque !
    Alors bien sur, on peut chercher à romancer nos élans de débutant, nos hésitations, nos petites lâchetés, nos petits succès du quotidien ; on peut même trouver un certain charme à l’ incommunicabilité. Mais n’ est-ce pas une consolante pour ne pas avoir oser donner un souffle épique à nos vies ?
    PS : Evidemment, il n’ est pas obligatoire de partir en Patagonie pour réaliser ses rêves.. !-)

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  21. J’ ajoute un sincère vœu de réussite à Guillaume dans l’accomplissement de son rêve d’éditeur, projet qui pourrait trouver son public avec l’intérêt que tout le monde porte à la Chine dans les librairies en ce moment. L’idée de carnet d’une jeune étudiante chinoise, avec les croquis d’un autre étudiant dessinateur par exemple, ce serait dans la tendance et en même temps différent de ce qui se fait déjà ?… (je rêvasse.. !)

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  22. Merci Damien. Sachant qu’en effet l’épique peut se loger partout: en Chine, en Patagonie, dans un match de foot ou dans le métro. Peu importe la taille de la scène, finalement.
    J’ajouterai (mais ça n’a plus rien à voir avec les blogs) que l’enfance a cette qualité de naïveté qui rend tout épique, alors qu’une Paris Hilton, pourtant si jeune, semble tellement blasée qu’elle semble capable de s’ennuyer même lors d’un décolage en fusée. Moi je crois que tout est là, dans la fraîcheur.

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  23. Je crois que nous nous égarons un peu. la question était : le blog peut-il se hisser au niveau de la litterature? Réponses: 1-il y a une dimension polyphonique, avec les commentaires, qui ouvrent une possibilité littéraire nouvelle et interessante, mais 2-l’absence d’intrigue le condamne à rester au niveau de la branlette intellectuelle. Sans intrigue, il perd tout contact avec le réel et se limite au rêve immature.
    Je réponds sur le 2: 3-l’absence d’intrigue est une constante de la litterature du 20e siecle. La notion d’intrigue est elle-même immature: dans la vraie vie, il ne se passe jamais rien d’autre que la vie elle-même. Pas d’aventure exotique, pas d’intrigue tarabiscotée. De Punta Arenas à Malemort sur Correze ou à Shanghaï, seul le décor et le contenu des rêves changent. L’absence d’intrigue est donc un argument pour. 4-La friction des points de vue, les réactions sentimentales ou intellectuelles, sont la réalité elle-même. De ce point de vue, le « roman-blog » est donc bien un roman « réaliste ». Nul besoin d’inventer de la fiction pour trouver un contact avec le réel. Toute la réalité a toujours été là, immanente, entre nos mains. Le lecteur qui a besoin de « croire » dans une intrigue pour retrouver une réalité transendante, un « arrière-monde », est un croyant qui a besoin de sa petite religion pour se rassurer. ( Qui plus est, sa petite religion est complètement hérétique. Hors de l’Eglise, point de salut. Frère Mart, n’aurez-vous pas pitié de votre âme? )
    Un peu de sérieux. Un autre argument contre est: 5-les bloggers et les commentateurs ne se rencontrent jamais ( en tant que bloggers, s’entend.) Le blog est une « boîte à rêve » comme dit Delphine, tout y reste pure virtualité, procrastination: j’aurais pu… aller à Shanghaï, retrouver G, rencontrer N, voir la Chine, mais je ne suis pas sûr de vraiment vouloir, je n’ose pas, je manque de volonté, rêver c’est plus facile et ça n’engage à rien. Je réponds: 6-Qui sait ce que sera demain? Il n’y a pas de frontiere entre le rêve et la réalité, il y a un continuum: le désir. L’énergie du désir rêvassant s’accumule et finit par déclencher une action réelle, mais laquelle? Personne ne peut le prévoir. Au contraire, le culte de la volonté nous conduit à l’action précipitée, on fait des trucs sans en avoir vraiment envie, quel interêt? Tout ça pour avoir l’impression illusoire de maîtriser notre existence.
    Concluons: argument 7, pour: le blog est un moteur du désir, il le perpétue et sa plus grande perfection est son inachévement: on peut toujours reprendre un truc, rajouter une excroissance, relancer la machine à désirer. Tolstoï a terminé Guerre et Paix par des points de suspension. Guerre et paix, premier « roman-blog ».

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  24. Ah, c’est pour ça que tu ne venais pas en Chine, vieille canaille ? Moi, je croyais tout bonnement que tu n’en avais pas l’envie, ce que je trouvais admirable, en fait. Je ne pensais pas que tu manquais de volonté, car pour venir en Chine il n’y en a pas besoin de beaucoup, mais je te voyais héroïque, lecteur de tant de livres chinois et repoussant tranquillement la visite trop probablement décevante d’un pays qui ne peut pas rivaliser avec ce que l’on dit de lui. Venir faire du tourisme culturel, sans faire les efforts réels dont tu fais preuve, c’est cela qui manque de volonté, et qui ne garantit pas la sortie du virtuel.
    De mon côté, je me pose des questions pour le blog de Neige que je veux publier : quand je fais apparaître des commentaires, quelle que soit leur qualité, je ressens une gêne de lecteur. Il y a une certaine résistance, dans le passage au papier.

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  25. Je crois qu’un récit s’inscrit toujours dans un espace-temps, même s’il est parfois difficile à définir. C’est le lieu de l’intrigue, pour reprendre ce mot utilisé plus haut (intrigue modeste ou spectaculaire, peu importe).
    Pour le lecteur de blog, cet espace-temps est le clavier et l’écran d’ordinateur. Ca le renvoit à un ici et un maintenant. Je lis du Guillaume ou du Ben, j’écris à Guillaume ou à Ben, et Damien ou Ben me répondent. On est dans le cadre d’une conversation concrète, à l’espace-temps finalement classique (ici/maintenant) même si la réunion physique de nos corps est remplacée par la réunion physique de nos écrits.
    Mais si tu publies ce texte sur du papier, tu bouleverses complètement cet espace-temps. Je ne peux pas répondre à Neige. Elle ne peut pas m’entendre. Nous ne sommes plus du tout dans l’espace-temps de la conversation, l’ici/maintenant est remplacé par un passé/ailleurs qui me renvoie à un espace-temps classique de récit.
    Pas de pb si tu ne publies que Neige, puisqu’alors son récit à elle est inscrit dans l’espace-temps des événements dont elle parle, de son récit.
    Mais les commentaires viennent superposer un lieu et un moment hétérogène et le texte se retrouve avec deux centres de gravité simultanés, celui de Neige et celui des commentateurs. Or je crois que le lecteur est gêné par ce qui ressemble finalement à un non-choix : l’espace-temps du récit est-il celui de neige ou celui des internautes ? Quelle hiérarchie entre eux ? Comment s’articulent-ils l’un à l’autre ? C’est cette articulation qu’il faudrait mettre en scène pour que la polyphonie fonctionne.

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  26. Pour ce qui concerne le blog de Neige, il semble que la rareté des commentaires en ferait quelque chose d’incongru, si tu les reprenais tel quel. Si c’est indispensable de les reprendre, je pense qu’il faut les integrer dans les articles de Neige pour restaurer l’homogénéité du texte, en transformant les commentateurs en personnages fictifs nés de l’imagination de l’auteure ou même en voix interieure ( peut-on rêver d’un sort plus enviable? ) Ou alors il faut intègrer le blog lui-même dans un ensemble polyphonique plus vaste, celui de Nankin en douce, dans lequel Pays de neige devient le blog tenu par un des personnages/commentateurs de Nankin en douce et où les differentes voix peuvent s’équilibrer. Ce qui serait marrant, ce serait que l’auteur de Nankin en douce devienne lui-même, dans cet ensemble, un des personnages de Pays de Neige, pour exemple celui de l’Homme qui avait recueilli un petit papillon sur sa poitrine pour le protéger du froid.
    Pour ce qui concerne les raisons de ma non-venue en Chine, quand je parlais de moi, j’essayais juste de voir si une hypothese que je ne partage pas pouvait marcher dans un exemple réel. En l’occurrence, ça marche, mais ça ne prouve rien: ton interprètation initiale du même exemple l’explique aussi bien et, de plus, elle me paraît beaucoup plus avantageuse pour moi; je m’empresse donc d’affirmer que si je ne suis jamais venu en Chine, c’est bien parce que j’aurais trop peur d’être déçu, comme tu l’avais bien deviné.

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  27. Il y a bien un espace-temps spécifique au blog, et c’est lui qui, d’après Neige, fait obstacle à la publication en livre. Elle pense que les gens qui a lisent aiment ce qu’elle écrit parce que ça apparaît de temps en temps, c’est présent, c’est chaud, c’est vivant. Le problème des commentaires pour ce qui concerne son blog, c’est la rupture de ton, de couleur…
    Ou alors, inventer une forme de livre où le lecteur peut lire le journal in extenso sans même voir les commentaires, et avoir accès aux commentaires s’il le désire seulement, comme lorsque nous cliquons. Mais un tel livre va coûter cher à la production. Malgré tout, je vais en parler à mes amis designer/graphistes. Ces gens ont un talent fou, il vous invente des choses incroyables avec une économie de moyens hallucinante.
    Pour ce qui est des résonnances entre Nankin en douce, La neige et le papillon et Pays de neige, il est vrai que les personnages de l’un deviennent les auteurs de l’autre, ce qui pourrait donner à une publication, si les échos fonctionnent, conjointe, ou jointe, ou « empaquetée ». Un ensemble polyphonique, en revanche, serait au-dessus de mes forces, car n’oublions pas que les vraies musiques polyphoniques étaient composées par un seul homme à chaque fois.
    Quant à l’éventualité d’un voyage en Asie, je me charge de le rendre inoubliable et de dépasser les expectations, avec obligation de résultat et livraison de certificat.

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  28. La question est : est-ce que cet échange qualifié de « nom de nom » a permis au sage précaire d’affiner son projet au point que celui-ci devienne viable sans apport financier extérieur extraordinaire, tel que gain au loto ou proposition par mail de devenir le détenteur (pour un apport modique )de l’immense fortune abandonnée par un mari russe à sa veuve ou oubliée dans un coffre depuis si longtemps que tous les héritiers sont décédés?

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