Le sage précaire en majesté

Je termine mon année universitaire et mon voyage en Chine de manière éprouvante pour les nerfs. Je termine en fanfare, en serpentin, je termine en apothéose.

Les cérémonies de clôture succèdent aux dîners d’adieux, les discours et les embrassades s’accélèrent, se subdivisent et prolifèrent. J’ai l’impression de vivre une étreinte qui ne se desserre pas.

Dans les effusions dont je suis l’épicentre, il ne faut pas se le cacher, se jouent aussi des parties politiques. Des applaudissements éclatants ou des fleurs exclusives peuvent marquer une position pour ou contre des décisions prises et des décisions à prendre. Des messages subtiles sont envoyés. La surenchère d’hommages dont je fais l’objet est en réalité le théâtre de conflits sourds, ou de luttes d’influence. Chacun voit en moi, à sa guise, un allié objectif pour ses propres intérêts. L’une, en exagérant son affection pour moi, dit aux autres : « Vous voyez que je ne suis pas une cruche! Je m’entends super bien avec le professeur étranger », un autre, d’une voix de stentor, claironne sa bienveillance : « Nous sommes de bons amis, c’est bien la preuve que je n’ai pas aussi mauvais caractère que vous le prétendez. »

S’afficher à mes côtés peut aussi signifier qu’on favorise tel type d’enseignement ou qu’on rejette telle attitude culturelle. Je n’étais l’ennemi de personne, donc je suis l’idéal réceptacle des besoins d’expression qu’abritent les équipes et les classes. Un groupe, pour se sentir exister comme groupe, a souvent besoin d’un leader charismatique qui fasse l’union entre les membres en étant leur dénominateur commun. A défaut de leader, et à défaut de charisme, ils se choisissent un personnage, une poupée, quelque chose à adorer. Une adoration passagère, un transfert diront certains, qui m’a pris pour objet et qui s’essoufflera vite.

Quand on est le seul professeur d’un programme, ou le seul étranger d’une faculté, et qu’on est sur le départ, on devient cette poupée dont les gens aiment chanter les louanges. On devient un personnage d’autant plus chargé symboliquement qu’on est parfaitement inoffensif. Le sage précaire se trouve alors lesté de tout un bagage de bonté, les joues creusées par l’émotion, la tête lourde de couronnes tressées par d’adorables jeunes gens qui veulent vibrer.

2 commentaires sur “Le sage précaire en majesté

  1. J’avais un ange en verre, comme dans La maison de poupée d’Ibsen,et en le remettant sur sa tablette après lui avoir enlever la poussiére, je l’ai échappé et ses ailes se sont cassé.

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