Cathédrales de Manchester : miracle et marketing

 Eglise Saint Anne de Manchester Photo Neil Roland

Avant de me rendre à la cathédrale, j’étais tombé par hasard sur une autre église de prestige : Saint Anne, au cœur de Manchester. Comme il n’y avait rien à voir dans les rues, j’entrai. Un gros homme me demanda si je venais pour le service, je dis oui.

Un seul prêtre sur scène, entouré en tout et pour tout d’une dizaine de fidèles. Le prêtre fut très étonné et heureux de me voir. J’étais seul dans la salle des bancs pour le public. (Je ne connais déjà pas le vocabulaire pour les églises françaises, alors pour les Anglicans… On m’autorisera à utiliser celui des « arts de la performance ».) L’officiant (je devrais dire l’acteur ou l’artiste, mais je ne voudrais pas être sacrilège non plus) me regardait, ce que je comprenais très bien, sans prétention : il croyait voir là une possible recrue.

A la fin du service, il vint vers moi et me serra la main avec gentillesse : « Good to see you », dit-il. Ne sachant pas s’il s’agissait là d’une parole rituelle, je n’osais pas répondre : « Good to see you too ! » Un dimanche matin, dans une ville chrétienne, dans la paroisse la plus centrale de la ville, un tel désert participatif a quelque chose d’inquiétant, il ne faut pas se voiler la face.

C’est depuis cette perspective qu’il faut analyser les tentatives de modernisation de la cathédrale de Manchester. Mettons-nous à leur place, ils se sont certainement dit : « Tentons le tout pour le tout, ordonnons des prêtres femmes, parlons des homosexuels, élisons des Noirs à notre tête, il y a bien des journaux et des chaînes de télé qui parleront de nous. »

Ils ne se limitent pas à ces audaces sociétales et politiques, ils remettent au goût du jour la musique sacrée, l’orgue et les chœurs. Ce matin-là, c’était la chorale de Nottingham qui était invitée à se produire, et je dois dire que leur entrée sur scène fut prodigieuse. Les voix d’hommes retentirent, depuis le fond d’une allée, puis, au fur et à mesure que la procession avançait, les voix de femmes se firent entendre et l’ensemble s’envola et prit tout l’espace de la cathédrale : je fus conquis.

Je comprends mieux maintenant pourquoi, au moment de donner un signe de paix à son voisin, le public de la cathédrale bougeait et se déplaçait beaucoup. Les gens quittaient leur banc et se promenaient pour serrer des mains, ce qui est un gênant pour l’étranger de passage. Moi je n’osais pas bouger, je ne savais pas ce qui se tramait. Certains traversaient la nef, surtout les plus vieilles, pour qui marcher était une torture, cela leur permettait de remettre un peu de souffrance et de tragique dans cette ambiance trop bon enfant. Cette pratique avait pour but de dynamiser la pratique religieuse, et m’apparaissait très proche de ce qui se pratique dans les classes de langues étrangères : on apprend aux gens comment dire « bonjour, je m’appelle machin chouette, je suis français, et toi, comment tu t’appelles ? », et on les envoie se déplacer et serrer la main des autres apprenants, comme s’ils étaient les convives d’un même festin.

Nul doute que ces deux inventions, dans la pédagogie comme dans la religion, viennent des mêmes cervelles.

Or il se passa qu’une des femmes officiantes, vint vers moi et me serra la main en me regardant au fond des yeux. Peace be with you, dit-elle, avec un beau sourire calme, aux dents bien blanches et à la bonne odeur de propre. Un regard très serein et puissant, plus convainquant à mes yeux que tous les sermons sur le respect des différences.

Je regardais ma prêtresse repartir vers le chœur, de sa démarche tranquille, et soudain s’éleva le chant de la chorale. Superbe chant, et expérience enivrante que cette femme venue à moi sans autre désir que je reparte en paix. Je crus une demi seconde à je ne sais quel miracle.   

Cathédrale de Manchester Photo Stephen Bryant

3 commentaires sur “Cathédrales de Manchester : miracle et marketing

  1. La cathédrale anglicane me fait penser à un gigantesque monolithe malencontreusement tombé du ciel, une sorte de pavé aux dimensions imposantes de laideur. Mais il existe une autre cathédrale à Manchester : la cathédrale catholique, monument hideux lui aussi, fruit de l’imagination du concepteur de Heathrow… une sorte de Minas Morgul sortie de terre au pire moment du génie architectural moderne. Manchester n’est décidément pas gâtée en matière de cathédrale. Cependant, s’il faut chercher un semblant de vitalité à Manchester ou plus largement en Angleterre, ce n’est pas du côté anglican qu’il faut regarder. Les catholiques anglais comptent aujourd’hui le plus grand nombre de croyants et de pratiquants sur l’île. Minorité religieuse, son essor ne fait que se confirmer depuis l’entre-deux guerres. Un coup d’œil à une autre cathédrale, un dimanche matin, suffit pour le confirmer : Westminster Cathedral, à Londres. Nous sommes bien loin des affluences, des pratiques et des conventions du catholicisme français.

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  2. Oui, c’est intéressant. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, être catholique en Angleterre a quelque chose de positif, à la fois intellectuel et proche du peuple. Je me demande si ce n’est pas un peu bobo.
    Mais cette cathédrale où j’ai été, et où la femme prêtre m’a regardé dans les yeux, était-ce catholique ou anglican ? Anglican sans doute, car aucune femme ne peut officier à ce point chez les papistes, je pense.

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