Beauté des Anglaises et passion amoureuse

J’aime dire que je n’ai pas de type. Qu’aucune femme n’est plus mon type qu’une autre.

C’est un peu vrai, même si j’ai plus d’inclination pour les peaux mates, les peaux… Oui, les peaux mates. La fille peut êtres très blanche ou très jaune ou très noire, peu m’importe.

La peau des femmes britanniques est rarement très mate. Donc vivre dans ces régions du monde est pour moi d’un grand repos pour les nerfs. Je peux être un gentleman avec ces dames, leur tenir la porte ou leur adresser la parole sans être troublé outre mesure, ce qui est moins le cas en Italie, en Chine ou en France. Surtout le sud de la France.

Et pourtant c’est une femme anglaise qui a provoqué en moi une violente passion, il y a sept ou huit ans. Une femme dont la peau n’avait rien de mat. Elle n’était pas très belle, selon mes pauvres critères (le mat, on dira ce que l’on veut, c’est un critère de jugement esthétique un peu limité.) Elle était à l’opposé de ce qui m’attire habituellement, mais je fus obsédé par elle matin, midi et soir, pendant un an. Incapable de rien faire d’autre que de penser à elle, d’imaginer des stratagèmes pour la voir, être près d’elle, évoluer dans le champs irradié de ses territoires. Je crois être devenu un peu fou. Tout ce que je lisais, écrivais, écoutais, était relié à elle, d’une manière ou d’une autre.

J’ai compris, après coup, que c’était la passion. Une maladie particulière, qui vous aliène complètement et vous rend misérable comme ces anciens combattants, qu’on ne comprend plus et dont on tolère les petites manies parce qu’aussi bien elles sont inoffensives. Une maladie qui vous fait rouler à contre-sens, sur des routes dangereuses.

L’amour normal vous guérit parfois de cette glue poisseuse qu’on n’appelle plus la passion, car le mot passion a perdu de son sens. L’amour pour une fille à la peau mate, par exemple.

Et voilà qu’en écoutant Purcell dans mon ipod, l’image d’une jeune femme typiquement britannique hante mon esprit. Son visage vient se superposer à tout ce que je juge anglais, musique, langue, accent, tournure d’esprit, couleurs et assortiment de couleurs, chevelure, mode, manière d’être. Elle devient la déesse de l’Angleterre, sans être anglaise elle-même (mais les Anglais sont un peu partout et se sont reproduits aux quatre coins de l’Albion)

Ce ne sera pas la passion à nouveau, car avec l’âge et la sagesse, on apprend à repérer les signes annonciateurs du chaos sentimental. Il s’agit peut-être de ce que la langue anglaise nomme infatuation. Je n’ai jamais saisi ce que cela voulait dire, alors comme je ne comprends pas non plus le sentiment que cette fille provoque en moi, je me dis que ce signifiant et ce signifié ont une chance d’être faits l’un pour l’autre.

J’en profite pour lancer l’idée que la passion amoureuse est probablement à l’origine du sentiment religieux. Si j’avais été un homme primitif, j’aurais construit un totem en l’honneur de mon Anglaise. La passion vous fait croire à la puissance surhumaine de la personne que vous aimez. Vous l’imaginez capable de tout. Même sa tristesse, sa déprime, ses soucis merdiques sont prestigieux à vos yeux. Aussi sordide que sa vie puisse être, vous transfigurez toute médiocrité en gloire, en majesté, en beauté éclatante.

Cela vous fait devenir fou, ou artiste, ou criminel, ou saint.

Les juristes, en créant la notion de « crime passionnel », ont compris cette réalité que les philosophes subliment, que les psychologues méprisent, que les sociologues ignorent.

Cette fois, ce ne sera pas la passion, donc, mais c’est le retour de cet étrange phénomène : une attirance inexplicable pour une femme, relativement indifférente à moi, mais bienveillante et sympathique. Une femme sans étincelle, plutôt froide, mais dont l’image prend des proportions ridiculement grandes dans mes rêveries.

10 commentaires sur “Beauté des Anglaises et passion amoureuse

  1. Mon pauvre Guillaume, avec l’âge la passion ne disparaît pas du tout, elle prend juste des formes plus imprécises. Au début, tout est sous contrôle, on se dit : « je suis calme, je me sens bien, mes sentiments ne coulent pas comme une rivière en crue, j’aime de manière sereine, c’est drôle cette sagesse qui vient avec l’âge ». Et puis, et puis… c’est la cata qui revient.

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  2. Très drôle, Mart, et bien écrit. Mais je crois que c’est faux. Des gens d’âge moyen ou avancés sombrent dans la passion, comme Humbert Humbert, ou un ami philosophe de 60 ans, mais c’est parce qu’ils ne l’avaient jamais connue auparavant. Quand on l’a rencontrée une fois et qu’on l’a bien laissée s’installer en soi, si on s’en sort, on sait s’en préserver.
    De l’amour, non, on ne s’en préserve pas, mais c’est sans doute tant mieux.

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  3. …qu’est-ce qui fait que l’on prend quelque chose au sérieux ? ce n’est pas l’ardeur,l »affection ni l’amitié…c’est la conviction que ce quelque chose va durer… bof.

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  4. Je ne sais pas si ça a un rapport avec le sujet (enfin si, je sais, mais j’ai la flemme de l’expliciter), mais je me souviens d’une femme avec qui j’ai vécu une passion amoureuse et qui avait une relation proprement religieuse à mon sexe, qu’elle regardait, vénérait et caressait comme un totem. Pour être à la hauteur de cette adoration totémique sans doute, je ne pouvais plus entrer dans son quartier sans avoir aussitôt une érection. L’histoire amoureuse elle même n’a pas duré très longtemps, mais le phénomène érectile lui a survécu une bonne année.
    Aujourd’hui encore, quand je marche dans sa rue, un léger gonflement me rappelle ses yeux de païenne vorace.
    je te souhaite, Guillaume, de connaître la même chose.

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  5. Je voudrais pas me vanter en disant que j’ai vécu cela aussi, car ce serait faux, mais des phénomènes analogues avec d’autres types de créatures, et en leur absence, me sont arrivés. Cependant, le problème est ailleurs. Nous ne parlons pas de la même chose quand nous disons « passion ».
    C’est le problème avec ces mots-là. « Passion » s’est transformé en un sens plus positif, proche de « sentiment très fort », « désir intense ». On a perdu le sens de souffrance, de passivité, de maladie, de folie, qui est dans le mot. La passion amoureuse ne peut être sexuelle, justement, elle se repère justement en ce qu’elle ne l’est pas. Quand il y a du sexe, la relation devient plus saine et la passion disparaît. Reste ce que les gens appellent aujourd’hui la passion.
    Ce qui est ennuyeux, c’est qu’aucun mot est venu prendre la place du mot passion. Pour décrire ce que vivent Tristan et Iseult, la Princesse de Clèves, Phèdre, nous n’avons pas d’autre mot que « passion amoureuse », alors même que la plupart des gens l’utilisent comme un truc super à vivre.
    Mais ne bouge pas, je mettre ça en billet principal.

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  6. Je ne suis pas sûr de désigner autre chose que ce que tu désignes en parlant de passion.
    Ce n’était pas une histoire agréable, ni heureuse, et du sexe véritable, je crois qu’il n’y en a eu qu’une fois. Des approches infructueuses, en revanche, il y en a eu de nombreuses. Mais comme Iseult, elle plaçait une épée à double tranchant entre elle et moi quand, par miracle, elle me laissait m’m’allonger près de son corps.
    J’ai failli l’assassiner, aussi, mais c’est une autre histoire.

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  7. moi ces billet ca m’a donné envie , ca réveille en moi des pulsions pures et perverses à la fois (comme un bon petit petit crypto cathare que je suis hé oui)…c’est sur, a noel je vais m’acheter et écouter du Purcell, ca l’air bien mieux que le viagra ou un vulgaire aphrodisaque ce truc la.

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