Purcell et les vraies filles

Un petit débat sur Equateur noir concernant la musique de fille m’est revenu à l’esprit tandis que j’écoutais Dido and Aeneas.

Je crois qu’une vraie fille ne peut que pleurer d’émotion à l’écoute de mots simples comme :

Remember me

de l’aria finale. La meilleure version est celle de William Christie et des « Arts Florissants », parce qu’elle est volontairement juvénile. Je n’ai jamais retrouvé le charme de ces voix.

Dido (Didon) accepte finalement qu’Aeneas (Enée) s’en aille de Carthage, dont elle est la reine amoureuse. Pour elle, c’est un déchirement car elle avait beaucoup lutté contre son amour. Elle dit au prince de Troyes d’aller se faire foutre chez les Grecs et elle se donne la mort.

Elle se retrouve seul avec sa confidente Belinda. Elle dit : « Ta main, Belinda, pendant que je m’étends à terre. » C’est un chagrin d’amour de reine, certes, mais c’est surtout un chagrin d’amour d’adolescent. Enée est un garçon qui rentre chez lui, comme des millions de jeunes gens à la fin des vacances. Combien de coeurs brisés, après des amours de vacances ?

Cet opéra a été écrit pour une école de jeunes filles, en 1689. Il fallait leur donner des sentiments repérables. Je t’aime, tu m’aimes, nos parents (le peuple) veulent bien que nous nous mariions, mais le devoir envoie l’homme au loin. Et les filles de la Boarding School de Chelsea de pleurer toutes les larmes de leur corps, en tressautant et en serrant leur mouchoir de soie bleue.

Didon dit à sa suivante, Belinda, « Souviens-toi de moi ». Mais tout le monde, dans l’assistance, comprend que ces paroles sont en fait dirigées vers ce salaud d’Enée, qui part en voyage pour fuir le mariage et tous les emmerdements qui y sont connectés. Adieu Etat, femme et famille, adieu le fisc et les soucis, je pars sur un trois-mâts fin comme un oiseau.

Quelle femme ne garde pas dans son coeur les reliefs d’une peine d’amour, réelle ou imaginaire, et ne voudrait pas qu’au moins quelque part, un amoureux se souvienne d’elle.

Ce que moi je trouve très beau, c’est la suite :

Forget my fate

Le sens premier, c’est naturellement : « Souviens-toi de moi, Belinda, mais ah! Oublie que j’ai été malheureuse. » Le sens caché est donc destiné à Enée, qui est déjà sur son fier vaisseau : « Pense à moi, beau militaire, mais ah! Oublie que je suis morte pour toi ».

C’est de la musique baroque, et les notes s’étirent, les sentiments s’allongent comme les formes et les corps. 

Comme Dido répète plusieurs fois cette lamentation, c’est le mot même de « fate », de fatalité, qui reprend tout son sens.

Oublie la direction finale et fatale qu’a prise ma vie. Oublie mon destin et toutes les fées qui m’ont amenée jusqu’ici, oublie ma vie mais souviens-toi de moi.

Remember me, but ah, forget my fate

C’est une bonne leçon à donner à des adolescentes. Ne vous tuez pas pour un garçon, il n’en vaut pas la peine, mais faites qu’on se souvienne de vous autrement que par des actions fatales.

14 commentaires sur “Purcell et les vraies filles

  1. Faire tomber les filles ? En effet, rien de tel que de leur parler de la mort.
    C’est ce qui te fait pleurer, toi, « une fille ». Mais comment peut-on pleurer sur cela ? Il faut être incroyablement influencé par la culpabilité pour être ému devant qq’un qui dit : « Que mes péchés ne troublent pas ton coeur. » Oui, au fond, c’est peut-être très féminin, cette culpabilité. Cela rejoint le vieux proverbe, qu’on retrouve dans plusieurs traditions, qui veut que si on ne sait pas pourquoi l’on bat sa femme, elle, elle le sait. On leur a tellement dit qu’elles étaient en elles-mêmes un péché, une faute… Oui, je peux mprendre que ce passage soit plus poignant que le superficiel « Remember me ».

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  2. Oui il y a le fait que c’est très poignant du fait des paroles mais aussi et surtout de la musicalité du passage. Concernant le texte, je ne dis pas qu’elle fait forcément un mea culpa, d’ailleurs les « wrongs » pourrraient faire allusion à des faux-pas de manière générale, et qui n’en fait pas, ou à l’idée qu’elle se donne la mort et que ça va quand même faire de la peine/causer des soucis à sa servante et surtout à ce salaud d’ex. Enfin, cette mort n’est elle pas une façon de le faire culpabiliser à son tour?

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  3. Très juste. Comme toujours, on se tue pour faire culpabiliser les autres, ce qui est très dommage car les autres s’en foutent. Moi, c’est pour ça que je ne me tue pas: je serais très fâché que l’on croie que j’ai cherché à faire culpabiliser qui que ce soit. Surtout que celles qui sont promptes à culpabiliser en général savent très bien se dédouaner du mal singulier qu’elles ont causé en réalité.

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  4. « Comme toujours, on se tue pour faire culpabiliser les autres »
    Incontestablement, c’est agréable de prononcer des phrases lapidaires comme celle-là, ça donne un goût de certitude et de clairvoyance. Le problème, c’est que presque toujours des phrases fausses.

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  5. En l’occurrence, c’étaient mes petites soeurs, de vraies harpies, qui essayaient de faire culpabiliser Guillaume en le traitant de « fausse fille » au prétexte qu’il ne connaît pas les chansons d’Eliott Smith. Traiter un garçon de fausse fille, ça, c’est vraiment bizarre, comme idée. Moi, j’ai mis longtemps avant de (croire) comprendre.

    Dans la citation, je ne crois pas qu’il faille prendre « se tuer » au mot. Les gens ne se tuent pas, ils se font juste chier à mort pour faire culpabiliser leurs proches. « Regarde comme je suis malheureuse à cause de toi », ce n’est crédible que si tu es vraiment malheureuse, mon cher Mart.

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  6. Ainsi apres Beth Gibbons voila que tu decouvres Dido ? Toutes ces chanteuses pop te tourneront la tete… Ou bien elles finiront par te faire chanter Men behind the wire, par exemple a deux heures du matin quand tu rentres tard a Sandy Row…

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