Quand je suis rentré à Belfast, hier soir, ma maison était dans un état épouvantable. Je n’avais jamais vu cela. Certes, j’accepte depuis longtemps d’en faire plus que les autres dans cette maison. Je suis coutumier des ménages de rentrée, car comme je le faisais déjà remarquer au mois d’août, il y a une forme d’appropriation des lieux quand on en prend soin : « Faire le ménage, nettoyer, c’est en quelque sorte prendre possession de quelque chose ». (On ne devrait jamais se citer, comme je le fais ici.) D’ailleurs, le mot « propre » ne signifie-t-il pas à la fois « ce qui appartient à » et « ce qui est sans saleté » ?
Mes colocataires lettons et pachtoune, eux, n’ont pas dû chercher à s’approprier la maison, quel que soit le sens que l’on donne à ce mot, pendant les fêtes de noël, c’est ce que l’on peut se dire, pour rester diplomatique.
Dans la cuisine, j’ai préféré ne pas allumer la lumière. La poubelle s’était transformée en décharge municipale. L’odeur avait déjà commencé de se répandre jusqu’à la porte d’entrée. Dans la cour, la poubelle collective était absente et personne n’avait eu l’idée, je suppose, d’aller la récupérer au bout du chemin, là où les éboueurs la laissent deux fois par mois.
Dans la salle de bains, il m’a fallu allumer la lumière, et le spectacle fut ébouriffant : la baignoire était noire de crasse. Là, j’ai étouffé un cri, et me suis dit qu’il était arrivé un malheur. On ne vit pas dans une porcherie impunément, volontairement, sans qu’une catastrophe intime ait forcé les choses et les êtres à la désolation.
J’ai préféré ne rien dire, me brosser les dents au plus vite et foncer dans ma chambre, sous les toits, qui avait toujours sa qualité de havre de paix. Toujours en désordre, ma chambre au moins ne sent pas mauvais, elle est accueillante, avec ses livres empilés qui forment une architecture charmeuse.
De plus, deux paquets « amazon » m’attendaient. Deux bouquins que j’avais achetés avant de partir, et qui se donnaient des airs de cadeaux de noël. Je devine qu’il s’agit de London Orbital de Iain Sinclair, et de Psychogeography de Will Self. Mais comme je ne suis pas sûr à cent pourcent, je les laisse empaquetés pour les ouvrir lorsque la maison sera redevenu habitable.
Je me suis mis au lit et ai mis mon réveil à six heures du matin. Mon plan était de fuir la maison aujourd’hui avant que mes colocataires ne se réveillent, me laver à la salle de sport, et donner une chance à ces jeunes hommes de faire un peu le ménage pendant que je serais au boulot. Peut-être mon retour les prend-ils de court ? Peut-être avaient-ils l’intention de m’accueillir dans une belle maison bien propre ? C’est moi qui suis trop brusque, en fait. Je ne leur laisse pas assez de temps pour montrer leur bonne volonté et leur sens des responsabilités.
Ah, mes Lettons, mes Pachtounes.
Bonjour sage précaire,
… ce que tu vis présentement concernant tes co-locataires me touche par la bande car je suis la présidente de notre c.a., gestionnaire d’une coopérative d’habitation depuis plus de dix ans et la participation des membres est un véritable calvaire;le communautaire n’est pas dans nos gênes de nord-américain friqué et personne n’est responsable du bon déroulement des opérations ; mais tous ont une crotte sur le coeur concernant l’état des lieux communs participatif et générateur de services. Je me souvenais de l’encart de ce Ben et de son propos de Pascal; si jamais il avait terminer sa réflexion sur la participation en vue d’un bien-être collectif son propos m’intéresse au plus au piont…. : “Etre membre est n’avoir de vie, d’être et de mouvement que par l’esprit du corps et pour le corps. Le membre séparé, ne voyant plus le corps auquel il appartient, n’a(n’est) plus qu’un être périssant et mourant. Cependant il croit être un tout et, ne se voyant point de corps dont il dépende, il croit ne dépendre que de soi et veut se faire corps lui-même. Mais n’ayant point en soi de principe de vie, il ne fait que s’égarer et s’étonne dans l’incertitude de son être …” (pensées, 352)
Une chose est certaine ,il n’y a pas la moitié des membres réunis en a.g.e qui en comprendra le comment du pourquoi mais moi je suis bien contente que Pascal existe et que je puisse le citer pour l’occasion; on ne sait jamais dans quelle oreille le message tonbera.
Alors , respire par le nez et…que du bon pour toi sage précaire pour l’année qui vient.by.Mildred.
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Ça me rappelle un studio que j’occupais à Paris, et que j’avais prêté à quelques camarades pour des vacances. Comme ils étaient un peu nombreux pour l’endroit, ils avaient viré les grandes étagères sur le palier. Quant aux livres, ils les avaient tout simplement entassés dans diverses bassines en plastique et paniers à linge.
Et un nombre indéterminé de petits récipients étaient devenu des cendriers.
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C’est vrai que c’était une belle pensée de Pascal. Impossible de me souvenir à propos de quoi je l’avais citée.
Mais Guillaume ne dit pas si, lorsqu’il rentra le soir, ses colocataires avaient vidé les poubelles et nettoyé la baignoire.
Moi, ce qui m’a toujours frappé, c’est cette espèce de paresse découragée qui préside à l’accumulation de la crasse et des ordures. En Afrique, ça paraît paroxystique : les caniveaux, les abords des maisons, et souvent leur intérieur même sont pleins d’ordures sans que personne semble songer à mettre fin à ce débordement. Et pourtant, il me semble qu’aucun peuple n’a autant le souci de l’hygiène et de la propreté corporelle, les Africains se lavent sans cesse, ils sont beaucoup plus propres que les Européens.
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Mais…ne serait -ce pas plus avantageux pour vous de loger UNE pAchtoune et/ou UNE Lettone ? Une petite touche de féminité rendrait la vie plus agréable a ce bouge irlandais a mon avis et éviterait bien de mauvaises surprises aprés des retours de vacances…
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Oui, Mildred, c’est une bien belle pensée de Pascal, mais je ne suis pas sûr qu’elle puisse s’appliquer à ma maison. Mes colocataires et moi-même ne formons pas vraiment un corps, à peine une communauté, et encore, ça me paraît un bien grand mot pour ce qui nous relie. Nous sommes liés par les lieux communs, lieux utilisés alternativement, et par la négativité de nos rapports : moins on se voit, moins on s’entend, plus on se respecte. Notre but est d’être le plus discret possible pour laisser à l’autre l’illusion qu’il n’a pas de colocataire.
Florentina, j’ai bien essayé d’avoir des femmes dans cette maison, mais ce n’est plus d’actualité. En général, quand elle voit le quartier, et quand elles savent que les autres coloc sont des mâles, elles fuient. Alors pour éviter les pertes de temps, quand il y a une chambre libre, je précise d’emblée dans les annonces que c’est une maison plutôt masculine (étonnammant, certaines femmes sont alors satisfaites de cette honnêteté et veulent alors visiter la maison…).
Bref, une touche de féminité, oui, je suis pour, mais c’est la féminité elle-même qui rechigne à venir.
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Quel dommage que des « femelles » ne puissent venir apporter leurs féminités en effet dans cette si touchante maison (nom féminin je précise…) de mâles …propres lol
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Le précaire mâle propre vous salue, chère Florentina.
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