Réappropriation de ma maison

Quand je suis rentré de l’université, hier soir, vers 21h00, rien n’avait changé dans ma maison. Mes colocataires n’avaient pas bougé le petit doigt.

Le Pakistanais fut le premier à sortir de sa chambre et à me souhaiter la bienvenue, me souhaiter la bonne année et me donner sa version des faits. Il avait passé du temps chez son cousin et n’était responsable en rien de l’état de saleté de la maison. Il prétendait avoir lavé le sol de la cuisine plusieurs fois, chose qu’il prétend chaque fois que je rentre d’un déplacement. Il rejette donc clairement la faute sur les jeunes Lettons, et réclame toujours plus fébrilement un document d’organisation et de partage des tâches. Je répugne un peu à cela, mais lui est un fervent militant de l’instauration d’un « tour de ménage », qui fixerait à chacun son calendrier des choses à faire dans le mois.

De mon côté, cela m’ennuie un peu, je préfère une forme d’autorité plus flottante, où chacun est motivé selon ses goûts. Mais je commence à faiblir et mon Pakistanais m’a convaincu. Quand l’un des Lettons est descendu pour fumer une clope dans la cour (il ne fume pas trop dans la maison, c’est déjà ça), je lui ai demandé s’il verrait un inconvénient à ce que l’on instaurât une organisation pareille. Il a dit qu’il n’y verrait aucun inconvénient. C’était le bon moment pour le lui demander, car il voyait bien que c’est moi qui m’étais occupé de ses poubelles, que j’étais en train de laver la cuisine, et que je m’inquiétais de l’état de la baignoire, et même un peu de l’état de sa santé à lui, au Letton, qui affirmait avoir pris des douches tous les jours pendant les vacances. Plus généralement, c’était le bon moment de réclamer l’argent des loyers, car le Letton fut tout heureux d’entendre dire qu’il n’avait qu’à donner de l’argent et de ne plus s’occuper de rien.

Je traîne toujours un peu des pieds pour ce qui est du document à créer sur le partage des tâches ménagères. « Je le fais si tu veux, dit le Pakistanais, et tu n’auras qu’à le signer. » Oui, cela me convient en effet. J’avais déjà dit que cet homme était un peu mon second, mon lieutenant, et cela se confirme. Je lui serai très reconnaissant de passer du temps à faire ce tableau, que je superviserai et ratifierai le cas échéant. Un des avantages à ce que ce soit lui qui s’en occupe, est qu’il aura tendance à superviser un peu les travaux aussi, à en faire un peu plus lui-même, et peut-être à se sentir autoriser à demander aux autres de se bouger les fesses. 

Toujours est-il que j’ai passé quelques heures hier soir, et quelques heures ce matin, à rendre ma maison un peu plus propre, c’est-à-dire un peu plus elle-même, et un peu plus mienne. Je ne me plains pas de cette corvée, car elle est en fait un rituel de retrouvaille avec la maison, de réappropriation symbolique. Je la brique un peu pour qu’elle me soit bonne et protectrice.

Ce soir, je serai en mesure d’ouvrir les paquets envoyés par amazon.

4 commentaires sur “Réappropriation de ma maison

  1. Superviser via un adjoint, c’est ce qu’on appelle la double articulation du commandement, c’est très classe.

    Une fois j’avais pour élèves des Nord-Coréens qui ne comprenaient pas la nuance entre « officier » et « sous-officier ». Je leur ai sorti la métaphore du berger et de son chien.

    Ça reste une métaphore, le travail d’un directeur adjoint est plus complexe que celui d’un chien de berger.

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  2. c’est fou comme vous arrivez à rendre ce sujet intéressant…j’adore vos histoires entre vous et vos colocataires…encore ! (mais vous êtes sûr qu’ils ne les lisent pas ?)

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