Danse des lions pour l’année du mouton

Lyon, 22 février 2015, photos Rebecca Qu
Lyon, 22 février 2015, photos Rebecca Qu

Dimanche 22 février, le quartier de la Guillotière, à Lyon, était repeint aux couleurs flamboyantes de la fête chinoise.

Depuis que je suis tout petit, j’entends parler d’un « quartier chinois », près de la place du Pont. Cela fait des lustres que des Chinois et des Vietnamiens viennent s’installer ici, le long de la rue Pasteur. Ce jour de février 2015, je déambule dans les rue du quartier chinois baignées d’odeur de brochettes et de mets asiatiques. La foule arrive tranquillement, et l’on voit les descendants d’immigrants se faire la bise à la lyonnaise et se parler avec l’accent d’ici.

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Nous savons qu’à Lyon, une présence chinoise est identifiée depuis les années 1910 et les premiers échanges qui mèneront à l’Institut franco-chinois.

Cet institut se trouvait sur les hauteurs de la ville, dans le quartier de Saint-Just. Mais sans doute les nouveaux arrivants ont dû trouver un autre quartier pour s’établir, un quartier avec davantage d’immeubles et davantage de devantures, pour y ouvrir des magasins, des boutiques d’artisans et des cantines.

 

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Le quartier chinois jouxtant les universités Lyon 2 et Lyon 3, nous y avons passé beaucoup de temps dans les années 90. C’est rue Pasteur qu’habitaient Ben et Philippe, binôme que nous appelions « Les Ignobles ». Et c’est rue Pasteur que nous passions le plus clair de nos études, de nos soirées et de nos conclaves. Nous formions une espèce de bande de six ou sept personnes, un groupe informel au contour peu défini. Mais nous formions bien une société, car les autres nous identifiaient comme telle, au point qu’ils avaient fini par nous appeler collectivement « les Ignobles ».

 

 

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Je passais mon temps à préciser que non, je n’étais pas stricto sensu un Ignoble. Les Ignobles, si l’on voulait parler avec rigueur, c’était Ben et Philippe, et personne d’autre. Moi, j’étais un compagnon de route, si l’on y tenait, mais sur l’échelle de l’ignominie, je ne valais pas un kopeck. Je ne me torchais pas tellement la gueule, je n’oubliais jamais les événements des soirées de la veille, je ne pétais pas trop les plombs et mes idées ne débordaient pas du politiquement correct. Pas assez de gouffre ni assez d’abîmes pour prétendre au titre prestigieux d’Ignoble.

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Nous étions tous, à notre manière, des immigrés de l’intérieur. C’est donc un quartier d’immigrants, indéniablement. Comme je commence à m’ennuyer tout seul, j’appelle une amie doctorante qui habite une de ces rues et qui m’invite à prendre un café chez elle. Il n’y a qu’en France qu’on voit cela : une fille ne craint pas d’accueillir un homme chez elle, dans sa chambre d’étudiante.

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Plus tard, je retrouve dans la foule une amie chinoise, doctorante elle aussi, qui prendra de nombreuses photos de la danse des lions que nous avons réussi à voir de près, grâce à une longue patience et une véritable science des mouvements de foule. Elle m’a présenté des amis et nous avons retrouvé encore d’autres amis dans un café.

La vie d’étudiants toujours recommencée.

 

Terminer sa thèse

Voilà, j’ai terminé ma thèse. Elle est écrite et déposée à l’administration.

C’est une expérience étonnante. Faire relier un petit manuscrit de 300 et quelques pages, censé contenir trois ans et demi de travail assidu. Le sentiment est celui d’un soulagement assez important, et aussi celui de l’incrédulité : j’avais tellement l’impression d’être immergé dans ce gros chantier qu’il est difficile de croire en être venu à bout. Du coup, je me trouve comme à l’issue d’un tour de magie : quelque chose s’est passé, mais je ne sais pas comment c’est arrivé. Je me sens un peu perplexe.

Je ne pouvais pas aller me bourrer la gueule, ce qui était a priori ma tendance naturelle, car je devais enseigner quelques heures à la faculté des langues. Alors, après le boulot, j’ai partagé une bonne bouteille de Bordeaux, que ma directrice de recherche m’avait offerte pour mon anniversaire, avec mes colocataires. La Brésilienne était déjà en goguette, habillée d’une robe minimale, elle s’apprêtait à sortir danser la salsa : elle but quelques verres avec nous en nous racontant les affres de sa vie sentimentale. Rien de tel pour se changer les idées.

Ce matin, à part le mal de crâne dû au vin, le sentiment qui domine est celui d’une confusion généralisée et plutôt heureuse. Il faut se mettre à la place du sage précaire : toute sa vie, il a tâché de passer entre les gouttes, toute sa vie il a théorisé la roublardise pour réaliser des choses « vite fait », « au dernier moment », « par dessus la jambe ». Pour la première fois, le sage précaire a travaillé à fond, et a fait un truc de A à Z, dans les règles de l’art d’une institution reconnue. Je ne prétends pas que la thèse soit bonne en elle-même, mais au moins, le travail a été effectué sans faux-fuyant, sans roublardise.

Tout cela ne doit pas non plus faire oublier l’essentiel : la soutenance. Car terminer sa thèse ne signifie pas qu’on soit docteur. Il faut encore qu’un jury d’examinateurs la lise et l’évalue. Il faut encore venir devant ce jury pour la défendre.

Ce sera le 28 juin. Alors seulement, on pourra dire si oui ou non le sage précaire est un personnage docte.

Schubert à 3h00 du matin

Réveillé en pleine nuit par les voix flûtées de (ou ramenées à la maison par) mes colocataires, je feuillette ce blog, que j’ai un peu abandonné ces derniers temps, et j’écoute Voyage d’hiver de Schubert. J’écoute en sourdine pour ne pas déranger mes colocataires et leurs éventuelles captures de la soirée.

J’avais toujours voulu écouter cette série de chansons romantiques, le fameux cycle du Winterreise, écrit par Guillaume Muller au début du XIXe siècle, et mis en musique par Franz Schubert juste avant de mourir, en 1828.

Bon, eh bien, à 3h 33 du matin, je dois dire que je n’ai rien à dire sur Winterreise.

D’avoir entendu mes pas dans l’escalier et d’avoir senti ma lourde présence, mes colocataires ont abrégé leurs conversations houleuses (« It’s me or nothing« , clamait une voix tout à l’heure), et fait taire leurs amants. Ou peut-être est-ce la musique de Schubert qui a calmé tout le monde et envoyé sous les draps ceux et celles qui, au fond, n’attendaient peut-être que cela.

Ma colocataire brésilienne

Elle vient de sortir de chez moi, elle m’a versé un mois de loyer et l’argent pour les factures de gaz et d’électricité. Elle est venue sans apporter le moindre bagage et est repartie faire la fête avec ses amies espagnols. Une jolie Brésilienne métis, au visage rond mais au corps élancé, habillé de noir, bottes et fourrure. 

Elle a besoin d’une chambre uniquement pour  ses weekends, car elle travaille sur un bateau toute la semaine. Un bateau de luxe, dans lequel elle s’occupe du Spa. Des clients prennent ce bateau uniquement pour se faire masser par ma nouvelle colocataire.

Elle nous a annoncé tout de go qu’elle était en instance de divorce, mais son mari continue de la conduire, de la servir. C’est lui qui l’aidera à déménager ses affaires dans ma maison.

Jamais je n’aurai autant rencontré de Brésiliens que lors de mon séjour à Belfast. Est-ce le signe de l’émergence du Brésil sur la scène internationale ?

Outre ces questions d’argent, elle est venue pour me demander quelles étaient « les règles de la maison ». Les règles ? Je n’ai pas su que lui répondre. Ici, il n’y pas d’autres règles que celle de respecter le sommeil et la vie privée des autres. Même pour le ménage, regardons les choses en face : tout le monde fait ce qu’il veut et au bout du compte, grosso modo, c’est moi qui me tape un peu tout. J’espère qu’elle n’a pas été trop déçue.

Elle dit qu’elle aime beaucoup danser, en particulier la salsa, le jeudi soir à La Boca. C’est drôle, nous y étions nous-mêmes avant noël! On a dû s’y croiser. Elle chante aussi, des chansons brésiliennes accompagnée d’un compatriote guitariste. Je lui dis que les Français sont des grands admirateurs de Chico Buarque, surtout grâce à O que será que será  mais aussi – pour ceux de ma génération – pour la superbe chanson qui accompagnait une publicité sensuelle qui m’a beaucoup fait rêver : Essa moça tá diferente. Gamin, je me disais que c’était impensable que des filles soient si belles, et invraisemblable que des chansons soient si érotiques. Depuis, j’ai bien essayé d’apprendre la samba ou la bossa nova à la guitare, mais en pure perte.

Je lui dis que mon amie brésilienne, Alinne, m’a fait découvrir il y a quelques années une chanteuse qui, paraît-il, n’est pas si populaire que cela : Marisa Monte. Ma colocataire en chante volontiers. Elle est surprise que je la connaisse et m’avoue qu’une de ses chansons est en réalité sa préférée, la meilleure de celles qu’elle interprète avec son guitariste. Laisse-moi deviner! C’est une chanson très triste, qui parle d’une source d’eau que l’on peut boire à l’aube pour effacer ses douleurs. Oui, c’est plus ou moins ça, dit-elle dans un sourire africain. Je cherche le titre, ça parle de « désillusion » : Dança da solidão.

C’est aussi ma chanson américaine préférée, mais je ne suis pas une référence en la matière, alors je me tais.

Elle part rejoindre ses joyeux amis, mais avant, une cliente lui offre cent livres sterling pour un massage, et elle vient la chercher en voiture jusque dans mon quartier malfamé.

Ma colocataire française

Je suis gâté pour ma dernière année de colocation à Belfast. Après avoir eu la chance d’accueillir un charmant Vietnamien très studieux et un jeune Allemand aux idées bien arrêtées, voilà que les fées de mon logis, mes lares domestiques, nous envoient une jeune Française, thésarde comme moi.

Avant qu’elle ne se décide à venir chez nous, nous en avons discuté avec les autres colocataires. L’Allemand préférait que nous restions à trois, et le Vietnamien ne voulait pas trop d’une femme. « Mais nous ne sommes que des hommes! disait-il. Imaginez que nous sortions en bermuda… » « Oh my God! » se moquait l’Allemand.  

De mon côté, je savais que l’on pouvait vivre à quatre dans cette maison, mais qu’il fallait faire quelque effort, réduire un peu l’espace que l’on occupe dans les territoires communs.

La jeune Française est donc venue, après s’être assurée qu’il n’y avait rien de mieux en ville, pour le même prix. Car ne nous voilons pas la face, c’est l’excellent rapport qualité-prix, et donc le loyer modéré, qui constitue le meilleur atout de ma maison.

La pauvre était malade lors de son déménagement. Cela eut pour effet d’adoucir brutalement  la gent masculine de la maison. Nous l’aidâmes à déménager, nous fîmes preuve d’un plus grand scrupule quant à la propreté et à l’occupation des sols. Le Vietnamien poussa la galanterie jusqu’à changer de chambre pour laisser à la French Lady la chambre la plus confortable, qu’il occupait depuis un mois. Il lui offrit des petits trucs, pour la gorge, pour le ventre, pour se couvrir. Je ne sais pas elle, mais moi, je trouvais les attentions du Vietnamien très touchantes.

En retour, notre nouvelle colocataire a laissé libre cours à la dimension bienfaisante de sa personnalité : elle soigne à son tour, elle fait des tisanes, partage des soupes, diffuse quelque chose de réconfortant dans cette maisonnée. Même la propriétaire a été littéralement conquise, qui lui a trouvé une grande classe et une véritable grâce. « Et son sourire est radieux », disait la propriétaire, en empochant le loyer du mois de novembre.

L’autre jour, levé un peu tard et de mauvaise humeur, j’intégrais la salle de bains sans grand espoir de voir ma journée tourner dans le bon sens. Depuis la cuisine, en dessous, les rires de la Française, qui plaisantait avec le Vietnamien, montaient et habitaient les murs. C’était délicieux. Je ne sais pas si ma journée est devenue beaucoup plus productive par après, mais au moins, le temps perdu l’a été sans idée noire.

Elle dit préférer habiter avec des hommes, « parce qu’il y a moins de problèmes », ce que la sagesse précaire approuve dans ses préceptes. Si les femmes avaient moins peur des hommes, et réciproquement, elles suivraient massivement son exemple. Car la mixité, dans les colocations, apaise considérablement les atmosphères, adoucit les moeurs et arrondit les angles. 

Il se passe finalement quelque chose que je n’aurais pas imaginé possible dans cet environnement : au lieu de nous comprimer, la présence de cette nouvelle amie (qui était une amie avant d’être une colocataire) a fluidifié l’espace. C’est difficile à expliquer, mais depuis qu’elle est parmi nous, je me sens mieux dans la maison, j’ai l’impression d’avoir plus de place. Elle a, en quelque sorte, par sa seule présence, révélé à la maison sa propre potentialité de confort. Vrai, il nous semble même qu’il fait un peu plus chaud.

Mon colocataire vietnamien

J’ai enfin trouvé un autre colocataire pour remplir ma maison. Après l’étudiant allemand, un étudiant vietnamien.

Il est arrivé hier soir à bicyclette, et à tout de suite voulu la chambre. Il m’a dit plusieurs fois qu’il avait de la chance de trouver une telle chambre à ce prix. Il logeait chez un ami, mais ne voulait pas l’importuner plus avant.

« I just have a big valise, I mean a big luggage; i’ll call a cab to bring it over here. » A-t-il bien dit « valise » ? Oui, il me dit que c’est un mot vietnamien, possiblement dérivé du français. Il apprend que je suis français : « Ah oui, c’est vrai qu’autrefois, l’armée française à envahi le Vietnam, donc oui, on a gardé quelques mots… »

Il repart chercher sa « valise » chez son ami, et il revient avec son ami. Tous deux sont de Hanoi. Extrêmement discrets, souriants et sympathiques, ils décident de passer une dernière soirée ensemble. Ils laissent les affaires de mon colocataire dans sa chambre, et repartent, non sans avoir réglé le loyer et la caution avec des billets tout neufs.

Kafka et mon colocataire allemand

Alors que nous parlions littérature en faisant la cuisine, il s’exclama : « Je n’ai jamais lu Kafka, et en Allemagne personne ne lit Kafka. C’est toujours avec des étrangers que j’entends parler de cet écrivain. Dis-moi un peu ce qu’il a fait. Quel livre de lui me recommandes-tu ? »

Je lui évoque brièvement les différents axes de l’oeuvre de Kafka : 1- Les nouvelles et contes ; 2- Les romans ; 3- Le journal ; 4- La correspondance. Je lui conseille de lire La métamorphose, et lui demande de me dire ce qu’il en pense.

Mon impression, influencée par les essais de Kundera et la pensée de Deleuze et Guattari, est que la langue de Kafka est un allemand un peu bizarre. J’ai le sentiment que c’est une langue peu littéraire, volontairement maladroite. Kundera raconte comment les répétitions dans  Le Procès ont été évitées par le traducteur français (Alexandre Vialatte), et comment cette traduction en un français élégant était en fait, pour lui, Kundera, une trahison. Je crois qu’il a écrit cela dans Les Testaments trahis.

Mon colocataire en prend bonne note et, un jour que l’internet ne fonctionnait pas à la maison, ce qui arrive un peu trop souvent, il lut la Métamorphose.

Dans le salon, tandis que je regardais un match de rugby, il vint s’asseoir et m’entretenir de Kafka. Il a trouvé la nouvelle très étrange. Oui, pour le moins, on peut dire que l’histoire de Gregor qui, de bon matin, se transforme en insecte, c’est un peu étrange.

Ce qui étonne le plus mon colocataire, c’est pourquoi la famille de Gregor possède tant de domestiques s’il sont aussi pauvres qu’ils le disent. D’un autre côté, pourquoi la soeur, qui pourtant comprend très bien que son frère est devenu un insecte, et qui en plus l’aide à se jucher sur une chaise pour voir par la fenêtre, prétend à la fin que cet insecte n’est pas son frère ?

Enfin, il me rappelle la fin de la nouvelle. La famille est réunie, l’insecte est mort, soit à cause de la pomme que le père lui a lancé dans le dos, soit (dit mon colocataire), parce que la vie des insectes n’est jamais très longue, et tous semblent heureux et optimistes. Les membres de la famille se disent que finalement, la situation présente n’est pas si mauvaise, et l’avenir pas si sombre.

Mon colocataire me dit qu’il n’a jamais lu quelque chose d’aussi bizarre, et il n’est pas sûr de savoir s’il a aimé ou pas. Moi aussi, quand je l’ai lu, il y a vingt ou vingt-cinq ans,  j’étais décontenancé, et je n’aurais pas su dire si j’avais aimé ou pas. J’avais été surpris que ce fût si facile à lire. Les grands noms de la littérature mondiale, on se fait toujours des idées à leur sujets, alors qu’ils sont, la plupart du temps, extrêmement accessibles. Tellement accessibles qu’on se demande pourquoi les gens s’emmerdent à lire Harry Potter plutôt que Kafka.

Quand il me demande ce que je recommande de Kafka après La Métamorphose, je dis à mon colocataire de lire deux autres nouvelles animalières, avant de passer, le cas échéant, aux romans. Mon choix : Le Terrier, et Joséphine ou le peuple des souris.

Plus tard, sur son nouveau vélo, il me dit qu’il a dormi toute la journée, qu’il ne sait pas ce qu’il a. Il dit que sa journée est foutue, qu’entre deux siestes, la seule chose qu’il a finalement faite, fut de lire la nouvelle de Kafka.

« Alors ta journée n’est pas foutue du tout, mon bon ami. Tu te rends compte, aujourd’hui, tu as découvert Franz Kafka, c’est une journée à marquer d’une pierre blanche. Ah, comme j’aimerais découvrir Kafka encore une fois. »

Mon colocataire allemand

Il a atterri à l’aéroport de Dublin, en provenance de Munich, avec sa bicyclette dans la soute à bagages. A peine arrivé, il a pédalé le long de la côte, direction Belfast. Il est arrivé dans l’Athènes du nord le lendemain, et n’a dormi qu’une nuit à l’auberge.

Il a visité ma maison, qui lui a tout de suite plu, grâce au loyer extrêmement bas, et a su forcer la décision grâce à un sens de la détermination tout à fait convaincant.

Son vélo était son bijou. Il le possédait depuis huit ans et avait dépensé des centaines d’euros à l’équiper, car il comptait faire le tour de l’Irlande en pédalant. Manque de chance, on le lui a volé au bout de trois jours dans la capitale de l’Ulster.

Il était très en colère, il disait que c’était une forme de crime. Il appela la police et fit de multiples efforts. Il disait : « Je ne comprends pas ; les gens ne sont pas si pauvres que ça ici! Je veux dire, ils ne meurent pas de faim! »

Il en a été inconsolable. Avec ses lunettes et son air d’étudiant en physique (qu’il est), il ressemblait à Harry Potter en deux-roues.

Le lendemain du forfait, je l’ai vu de bon matin, avant 8 heures, dans la cuisine. Une capuche sur la tête, il buvait une tasse de thé, il dit sombrement : « Je n’accepte pas qu’on m’ait volé mon vélo. » C’était un petit déjeuner un peu dramatique.

Extrêmement symptahique et réfléchi, comme les Allemands savent l’être, il a fini par laisser sa bonne nature prendre le dessus et digérer le fait horrible qu’il habite maintenant dans un monde où l’on dérobe des chose aussi sacrées que les vélos. Il l’accepte, mais ne le comprend pas tout à fait.

En riant, il suggère de pousuivre l’université Queen’s en justice, pour publicité mensongère. « Si j’ai décidé de faire mon année Erasmus en Irlande du nord, c’est parce que la brochure annonçait une vie dynamique et culturelle. On lisait que Belfast était une ville ouverte d’esprit, énergique et sûre. Résultat, l’insécurité règne, les gens sont étroits d’esprit et la ville est désolante. »

Et de rire, comme un Harry Potter vengeur et sarcastique.

Ma propriétaire part pour l’Italie

Je m’entends vraiment bien avec ma propriétaire, ça fait plaisir. Elle est venue hier pour récolter son loyer de sepembre, et elle a trouvé que je lui donnait trop d’argent. « Non, m’at-elle dit, vous n’avez qu’un colocataire, vous n’avez pas à payer la totalité du loyer. »

Elle avait déjà réduit le loyer général, en condamnant formellement la chambre la plus difficile à louer, celle du rez-de-chaussée. Elle m’avait dit de ne trouver preneurs que pour les deux chambres du premier étage, et elle a déduit du loyer le montant de cette petite chambre où habitait autrefois mon Pakistanais.

Je crois qu’elle est touchée du fait que j’ai payé de ma personne pour prendre soin de cette maison. J’ai fait de la peinture, j’ai nettoyé, j’ai bricolé un peu. Au final je lui ai fait économisé de l’argent, car les peintres professionnels prennent bon bon pour un travail plus rapide et de qualité équivalente. Moi, je vais lentement, mais le résultat est satisfaisant.

Mais ce n’est pas qu’une question d’argent. Ma proprio était touchée du travail que nous avons fait ensemble dans la maison, elle, son mari et moi. J’ai l’âge d’être leur fils, et ces scènes de travaux domestiques, où je peignais les murs, pendant que son mari réparait le lit d’une chambre, et qu’elle faisait du nettoyage, avait une dimension familiale indéniable.

Il n’est pas impossible qu’à un certain niveau de conscience, ce couple sans enfants ait projeté légèrement sur ma charmante personne un semblant de sentiment parental.

Alors ils partent pour la Toscane, vendredi. Ah l’Italie, ma seconde patrie. Ma propriétaire ne sait pas trop ce qu’elle va y faire, elle n’y est jamais allée. Je me suis permis de lui déconseiller d’aller à Rome, trop profond et trop riche, mais de rester en Toscane et en Ombrie. Et je lui ai parlé avec lyrisme, car la mention de l’Italie provoque toujours chez moi une sensation de bonheur nostalgique.

Elle a été convaincue. Elle est partie ragaillardie à l’idée de zyeuter les individus si bien habillés dans les squares. Elle ira chez le coiffeur avant de partir pour l’aéroport.

Nu dans la maison

Je prends dangereusement l’habitude de vivre seul dans cette maison. Quand je rentre d’une longue balade dans les montagnes de Cave Hill, je me deshabille dans la cuisine, enfourne tous mes vêtements dans le lave-linge, et monte l’escalier, dans la tenue d’Adam, jusqu’à la salle de bains pour prendre ma douche sans autre forme de procès.

Tout ce qu’il faut espérer, c’est que ces habitudes ne perdurent pas, tête en l’air comme je suis, quand une ou deux personnes auront décidé d’emménager.