Mort d’un enfant Nahdi

La semaine dernière, il faisait presque 50° tous les jours en Tunisie. Un enfant de trois ans est mort dans notre hameau des Nehed, d’une insolation qui n’a pu être soignée. On dit que le petit est mort sur la mobylette qui le conduisait au dispensaire de Bou Arada.

Nous étions tous affligés de cette nouvelle navrante. Que faire ? Le soir qui venait, mon beau-père Youssef allait faire une visite à la ferme de l’enfant décédé pour une veillée funèbre. En guise d’explications on me parla de lecture du coran et de salle où il ferait très chaud. Je ne savais pas de quoi il retournait mais en tout état de cause je proposais d’accompagner et de conduire Youssef.

Le clan de la famille Nahdi habite sur un territoire très étendu. En gros, il borde toute la rive occidentale du lac salé.

Nous arrivâmes à une ferme à l’extérieur de laquelle étaient assis des dizaines d’hommes venus ici par solidarité. Nous serrâmes des dizaines de mains et on nous servit, à Youssef et à moi, un excellent couscous que nous mangeâmes sans excès. Puis Youssef se leva et me fit signe de le suivre. Nous traversâmes la cour intérieure où se trouvaient les femmes. Youssef les salua et me présenta sans faire de geste comme « le mari de Hajer ». Sans plus. Tout le monde à Ftiss est censé savoir qui est Hajer. Je lançai sobrement un « Salam alaykoum » sans dévisager les femmes tandis qu’elles me regardèrent avec curiosité.

Nous nous installâmes dans un salon exigu et fûmes rejoints par une poignée d’hommes. C’était une sorte de conseil des sages qui se constituait ou se réunissait. J’y étais admis Dieu sait pourquoi.

Soudain du coran fut psalmodié en choeur à haute voix, très claire et très rythmée. Une longue sourate fut récitée par tous les hommes réunis dans le salon. Une récitation qui ne ressemblaient pas à la douce prière des mosquées mais plutôt à un martellement d’exorcisme. Il semblait qu’on purifiait la maisonnée et qu’on cherchait à faciliter l’accès de l’enfant mort au paradis.

Sans aucune aide de la lecture, les sages de l’assemblée psalmodiaient en chœur des invocations et des versets du coran pendant une heure. Je fermais les yeux et me situais dans un espace mental proche de la transe. En sueur et compressé dans la chaleur humaine, je profitais à plein de la dimension thérapeutique de cette performance.

Puis on fit appeler le jeune père du défunt et on le fit asseoir devant nous. Nous nous mîmes à croupetons autour de lui et les sages reprirent des psalmodies sur le jeune homme. Certains lui apposèrent les mains. La porte était ouverte, les femmes regardaient tranquillement. Il n’y avait aucune hystérie. Les Méditerranéens d’ordinaire si prompts à faire des drames se comportaient lors d’un vrai drame avec solennité et retenue.

Quand nous sortîmes de la ferme, la plupart des hommes étaient partis. C’est cette nuit que je compris combien mon beau-père était une personne considérable dans la région.

Le lendemain matin nous prîmes la route très tôt pour aller à Bizerte. Des hommes creusaient à tour de rôle un trou dans le cimetière de Ftiss pour y mettre la petite dépouille. Nous fîmes une pause dans notre déplacement pour aller leur dire bonjour. Youssef prononça quelques paroles apaisantes et la voiture reprit sa course vers les vacances de bord de mer.

Notre cœur saigne à l’évocation de ce petit Nahdi, première victime directe du réchauffement climatique chez les Nehed.

Laisser un commentaire