Sigismond, ce nippon qui s’ignore

Il paraît que samedi dernier à Shanghai était journée sans voiture, pour célébrer je ne sais quoi, ou pour lutter contre le réchauffement de la planète, ou contre la pollution. Moi, samedi, je n’ai rien senti. Comme Sigismond passait le week-end ici, j’ai pris le taxi plutôt que mon vélo, et rien, dans la ville, ne m’a paru relever d’une journée sans voiture.

Sigismond, de son côté, va bien. Il a apporté avec lui les Mémoires du Cardinal de Retz, qu’il a laissé chez moi. Nous n’avons malheureusement pas eu l’opportunité d’en faire une lecture. La voix sépulcrale de Sigismond sur la prose puissante de Retz, voilà qui eût été un grand moment, mais que nous n’avons pas vécu.

Dans les taxis, nous parlions beaucoup du Japon. Il a commencé à apprendre le japonais et il compte aller y vivre d’ici peu. En en discutant avec lui, je me suis aperçu qu’il avait plus de points communs avec les Japonais qu’avec les Chinois. Un point commun fondamental : la netteté. Sigismond est tellement obsédé par la propreté qu’il considère mon appartement comme une porcherie, et me voit comme un infâme garçon de ferme. Il me reproche silencieusement de marcher pieds nus chez moi, car il pense que cela salit mes draps blancs (pourtant changés chaque semaine.) Je ne sais même pas s’il s’est déshabillé avant de dormir sur le canapé du salon… Chez lui, il craignait que mes pieds ne salissent son intérieur, mais chez moi, c’est mon intérieur qui a toutes les chances de le souiller et de le rendre impur. Alors il met ses chaussures pour aller dans la salle de bains, comme s’il avait peur de crotter ses chaussettes, ou d’attraper des mycoses sur les pieds.

 Je ne questionne pas ces manies, on ne juge pas les goûts des autres en terme d’hygiène. Les Japonais sont connus pour être d’une propreté maladive. Les Chinois, quand ils abordèrent l’archipel, il y a mille ans, furent les premiers à témoigner par écrit de l’existence des Japonais : ils n’en croyaient pas leurs yeux, de ces barbares plus méticuleux qu’aucun autre peuple. Quand les Japonais virent arriver les Occidentaux, au seizième siècle, ils trouvèrent l’odeur de ces hommes effroyable. Ils les firent vivre à l’écart, dans les ports, et ne commerçaient avec eux que du bout des doigts, en se bouchant le nez.

Je crois que Sigismond se trouvera à son aise dans cette culture si singulière qui vit encore aujourd’hui au Japon. La distance entre les gens, la passion à fleur de peau, les non-dits écrasants, la politesse. L’excentricité toujours au bord de la plus extrême réserve. Le conformisme jamais loin de la plus grande originalité.

Je perds un ami en Chine, mais je gagne un pied-à-terre à Kyoto, l’histoire dira si l’échange était équitable. 

2 commentaires sur “Sigismond, ce nippon qui s’ignore

  1. Ah, mais je ne sais pas si Sigismond pourrait rivaliser avec ce sage-là. De mon côté, je ne me qualifie pas moi-même de sage. Le titre de ce blog est plutôt à prendre comme une formule programmatique en contrepoint de ce que je suis. Un peu comme La vie de Jésus, ou Histoire d’amour, ou La vie est un long fleuve tranquille.

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