Prostituée ou entraîneuse ?

Quand on veut voir un match de football, à Shanghai, il convient de sortir dans les cafés éclatants et d’attendre trois heures du matin. En ce temps de coupe du monde rugby, plus personne ne s’intéresse au football, donc je faillis rater le match de Lyon contre Barcelone. J’avoue sans honte que je ne m’intéresse à aucun autre sport, car un seul prend suffisamment de temps, et j’ai d’autres choses à faire qu’à regarder des matchs de volley, de handball, de basket, de polo. Et je n’ai aucune joie à regarder courir des gens qui font la course, ou des gens qui sautent, qui plongent, qui tournoient, qui luttent, qui soulèvent des choses.

Le football me suffit, comme sport. Il se trouve qu’en plus, il met à l’honneur le pied, ce que je trouve sympathique.

Les bars de sport m’annoncèrent que non, ils ne diffuseraient pas le match. Alors je me laissais tenter par un bar où des entraîneuses m’encourageaient à entrer pour accompagner leur soirée. Une théorie de jeunes femmes qui ne savaient pas comment s’y prendre avec moi, au début, jusqu’à ce que la plus expérimentée sût me faire desserrer les dents. Je payais un verre aux trois demoiselles qui me faisaient passer le temps. L’une d’elles lut mon avenir dans les lignes de ma main gauche.

Je demandais s’ils diffuseraient le match du Camp Nou, cela dépendait du nombre de clients. Des verres de tequila furent offerts par la patronne, et leur effet ne se fit pas attendre : on commanda d’autres verres. La fille plus expérimentée était plus âgée que les autres, elle approchait peut-être de la trentaine, ou l’avait dépassée. Quand elle me fit toucher son ventre, je pouvais imaginer qu’elle avait déjà fait un enfant. Elle avouait très vite qu’elle avait faim et sommeil.

 Des amis arrivèrent, peu avant trois heures. Ils doutaient que le match pût être diffusé, et pourtant leur présence seule assurait que le bar resterait ouvert. Entre temps, la jolie trentenaire avait fait de moi son partenaire de soirée. Nous entretenions une relation privilégiée, elle se blottissait contre moi, me donnait de la tendresse, et je lui payais des gin tonic. Quand je m’absentais, d’autres hommes l’approchaient pour obtenir leur part de caresse, car les filles de cet établissement étaient prudes, c’était des étudiantes en relations internationales qui n’avaient aucunement l’intention d’être prises pour des filles de mauvaise vie. Elle mettait de la distance avec ces Apollons et m’attendait fidèlement.

Quand le match eut lieu, j’évaluais enfin l’immense bénéfice qu’il y a à regarder son équipe dans les bras d’une inconnue. Les joueurs de Lyon étaient médiocres, ils se faisaient dépasser dans tous les secteurs du jeu, et, sans ma nouvelle amie, j’aurais été énervé, renfrogné, morfondu. C’est elle, et elle seule, qui m’a aidé à passer la nuit sans amertume. Comme je regardais l’écran de télévision, elle pouvait continuer sa conversation avec ses collègues, qui riaient de nous voir enlacés comme un petit couple. Visiblement, je n’étais pas un client fatigant, les baisers que nous nous prodiguions nous aidaient, elle à se tenir éveillée, moi à supporter l’inanité de l’Olympique lyonnais. A chaque but encaissé, je prenais refuge dans sa chevelure odorante, et elle se pressait contre moi pour me consoler.

 Prostituée ou entraîneuse ? La limite est peut-être fine pour beaucoup. Il n’y eut entre nous ni sexualité ni argent. Celui que je dépensais profitait au bar, et elle en obtenait sans doute un pourcentage. Au final, je ne me suis pas fait plumer davantage que lors d’une longue soirée en ville avec des amis. Si je n’avais pas eu à travailler le lendemain matin, je lui aurais peut-être proposé de venir dormir avec moi. Elle aurait peut-être refusé.Plus tard, je discutais avec une de ses collègues, étudiante dans une grande université de Shanghai. Ses projets d’avenir et ses priorités étaient les mêmes que celles de l’immense majorité des étudiantes : donner de l’argent à ses parents, leur acheter une maison. Puis il était l’heure d’aller prendre une douche pour être frais et dispos devant mes étudiants à moi.

En cours, je regardais mes étudiantes et pensais : « Y en a-t-il, parmi elles, qui se font de l’argent de poche de cette manière ? Si oui, peuvent-elles seulement écouter ce que je leur dis ? »

12 commentaires sur “Prostituée ou entraîneuse ?

  1. Pour l’instant ils font un peu double emploi, mais celui sur la Chine a vocation à ne parler que de la Chine, et celui-ci de tout le reste. Certains étudiants lisant l’autre, je préfère parler d’entraîneuses dans celui-ci, même si l’autre n’était pas forcément très moralement recommandable. Enfin, je vais un jour quitter la Chine et je voulais un blog qui n’y soit pas lié intrinsèquement.

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  2. Pas vraiment expatrié, car employé par les Chinois. Tourisme sexuel, pas vraiment non plus car la jolie trentenaire ne parle pas anglais et que son établissement n’est pas exclusivement tourné vers une clientèle étrangère, ni, donc, touristique.

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  3. C’est drôle cette conversation qui se déroule dans une temporalité parallèle, comme un papotage entre géant créateurs de cosmos devisant entre deux travaux titanesques.

    – Et toi, ta pute de la galaxie Xziantax ?
    – Pas mal, dit Vulcain 3 siècles plus tard. Mais je crois que c’était plutôt une entraîneuse.

    On attend la réponse de totem avec impatience !

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  4. Très drôle Mart. C’est en vérité le charme des conversations électrifiées du blog. Rien dans ce qui est dit n’est tout à fait oublié, toute parole peut être réactivée. Cela fout les jetons autant que cela excite.

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  5. D’un autre côté, si toi même tu écris cela, c’est pas toi, qui les découragera à faire le même métier que la fille qui t’a réconforté.
    Car finalement, c’est plutôt bien : tu passes une soirée agréable, tu touches un pourcentage selon le nombre de client que tu fais boire, et plus il boit, plus tu gagnes… Et t’es pas obliger de coucher.
    Que demandez de plus ?

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  6. Je n’ai pas très envie de décourager qui que ce soit à faire quoi que ce soit. Si, come tu le dis, « c’est putôt bien », et que ce boulot convient à certaines personnes, alors je n’y vois pas d’inconvénient. Maintenant, il faut avoir envie de se coucher tous les jours à l’aube, moi c’est cela qui me contrarierait le plus.

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  7. Je suis tombé sur ton blog par hasard. Moi même étant entraîneuse, comme tout métier il a ses avantage et ses inconvénient. Je ne dirait pas que c’est le métier idéal car il n’en existe pas mais le problème c’est qu’il est encore très mal vu.

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