« Hunger » : des corps, de la merde, de l’art et des Irlandais

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Ceci est une fresque que l’on peut voir dans les quartiers catholiques de Belfast.

Le passant, le voyageur candide, pourrait croire qu’il s’agit de figures christiques, ou des moines, ou des saints, ou des personnages de la Bible. Cheveux longs, barbes, vêtus de capes, pieds nus, dignité de la pose, ils ont tout l’attirail pour figurer dans la Légende dorée.

En réalité, ils représentent les grévistes de la faim qui, enfermés dans les prisons britanniques à la fin des années 70, réclamaient un statut politique spécial. Ils ont d’abord refusé de porter les uniformes de prisonniers, puis ils ont fait une grève de la toilette, puis ils ont décidé de couvrir de leurs excrément les murs de leur cellule. C’est pourquoi on les voit non rasés, enveloppés dans des couvertures, et dans un décors de de couleur terre sienne. Leur situation ne s’améliorant pas, ils se lancèrent dans une grève de la faim qui menèrent dix grévistes à la mort.

A l’occasion de la sortie de Hunger, le film de S. Mc Queen, Courrier international propose une chronologie des événements. Les « troubles », comme on disait là-haut.

Cela s’est passé en 1981, l’année même où, en France, la gauche arrivait au pouvoir, où la peine de mort fut abolie, où Jack Lang se lançait dans des années de célébrations culturelles sans fin. On oublie, en France, que juste à côté, en Irlande et au Royaume uni, les violences étaient encore terribles entre républicains (indépendantistes et catholiques) et unionistes (pro-britanniques et protestants). Que cette violence n’a vraiment cessé qu’il y a peu.

Ce qui frappe dans cet événement des prisonniers de la prison « H Block », c’est l’interaction entre l’art et la politique. Bobby Sands écrivait des poèmes en prison, qui étaient publiés par des journaux irlandais. Les protestations étaient esthétiques et agissaient sur les sens, l’odeur, la vision, et sur l’imagination du public. L’activisme de ces gens ressemble à des performances de Joseph Beuys, à des actions horribles des « actionnistes viennois ».

Et les fresques dans les rues rappellent cette coexistence puissante entre art et revendication politique. N’oublions pas les liens serrés qu’il y a toujours eu entre l’art européen et la martyrologie chrétienne. Les corps souffrants, les passions, les gisants, ont toujours inspiré les chrétiens d’Europe de l’ouest. De ce point de vue, il est clair que, malgré les critiques qui peuvent leur être faites, les catholiques ont au moins remporté une bataille, celle de l’image, comme on dit aujourd’hui.

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Ce n’est donc pas un hasard si c’est un artiste qui a réalisé Hunger.

Steeve Mac Queen, lauréat du prix Turner, a choisi de traiter le sujet de Bobby Sands pour son premier long métrage, et c’est un film essentiellement artistique. Politiquement, on ne saurait dire si le film est anti-britannique ou non. On voit bien qu’aucune décision n’était facile à prendre à l’époque. Mais l’essentiel du film n’est pas là.

On voit des corps, la blancheur des corps, des corps nus qui cherchent à se protéger des brutalités d’autres corps, noirs ceux-là, le noir de l’uniforme étatique. On voit le corps des hommes de l’Etat et le corps blanc des hommes sans Etat. On voit deux façons de faire de la politique : celle de l’Etat (ici l’Etat britannique, mais ce pourrait être l’Etat français) et celle des hommes à qui il ne reste plus rien que leur corps nu, sans arme et sans pouvoir.

Transfiguration des corps sans arme, sans pudeur et sans force.

On voit combien les forces de la police sont impuissantes face à ces enragés irlandais. Combien les matons ont peur de se faire assassiner par les paramilitaires indépendantistes, qui continuaient d’agir dehors. Combien les coups ne portent plus vraiment, lorsque les corps n’appartiennent plus au même régime, au même mode de perception.

Je parle d’un film, n’est-ce pas, non pas de la réalité des événements.

Un film très esthétisant, donc, avec des contrastes tranchants, la blancheur des peaux dans l’obscurité des cellules. La merde sur les murs y est filmée comme de la matière colorée, car on a beau retourner le problème dans tous les sens : le caca c’est sale, mais étalé sur un mur blanc, c’est joli. Cela fait partie du scandale que constituent ces événements.

Et je ne parle de la longue séquence du dialogue entre Bobby Sands et l’homme d’église. D’abord leur accent et leur débit m’empêchaient de bien comprendre, et puis la scène est trop longue et mon billet doit s’arrêter. Qu’on me laisse seulement dire que cette scène restera dans les annales du cinéma comme un des plus longs plans-séquences dialogués qui soit. Voilà une autre performance physique des acteurs, dont on ne parle jamais, car, évidemment, ce qu’a enduré l’acteur principal pour incarner un homme qui meurt de faim dépasse l’entendement et prend toute l’attention des médias.

Un film sur les corps suppliciés, sur la religion dans un monde matériel. La religion des corps, que personne ne peut encadrer, ni contraindre.

23 commentaires sur “« Hunger » : des corps, de la merde, de l’art et des Irlandais

  1. au fond nous serions tous un peu irlandais si je comprends bien, prisonniers de nos prisons virtuels, aspergeant souillant, nos murs (blogs, sites et autres) de cacas (commentaires, posts, tags etc…) et nous laissant crever « entre les murs » (un autre beau film mais français). Rien de nouveau donc si nou sommes passés de « babas »a « bobos », une grande avancée, un grand progrés, merci.

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  2. On peut voir les excréments de ces Irlandais de manière métaphorique, en effet. Mais je préfère rester sur le fait cru et brutal. C’est plus violent et plus poétique à la fois. Surtout si on y ajoute la grève de la faim qui va tarir lesdits excréments, pour faire du corps lui-même un immense et révoltant déchet. Cela ouvre à toute une dialectique proprement catholique (je dis ça je dis rien) entre propreté et souillure, pureté et pourriture (ou pourrissure), ainsi qu’une ligne ingestion/digestion/déjection qui renouvelle assez intensément à la fois la pratique politique et la pratique artistique.

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  3. De rien. Mais qu’est ce que vous voulez dire avec votre dialectique « proprement » catholique ici et tout ce qui s’ensuit (injection, digestion, souillure etc). Est- ce de l’ironie ? Une plaisanterie ? Pourriez vous nous expliquer , etre plus clair la prochaine fois…si ce n’est pas trop vous demander, je suis peut etre « proprement » con…

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  4. Peut-être que, contrairement au puritanisme protestant, centré sur la conscience et l’esprit, le catholicisme a un rapport nécessaire au corps, à la matière ( « Prenez et mangez, ceci est mon corps… »). Dans un régime « glorieux », le corps est « transfiguré », il prend part à la nature de Dieu. Dans un registre « douloureux », c’est le sang et l’eau qui s’écoulent du flanc du Christ, lorsque tout le corps s’est vidé de son sang, qui prennent le dessus. Dans la fièvre d’Irlandais affamés, c’est la merde qui devient le sang avec lequel on écrit d’ordinaire les mystères douloureux. De la merde glorieuse, en quelque sorte.
    Rien de comparable avec ce genre de commentaires merdeux qui polluent les blogs. Pour eux, pas de transfiguration possible.

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  5. Merci Ben pour cette brillante contribution. Voyez, pacob, que l’on peut faire des choses intéressantes avec un blog, et qu’il ne tient qu’à nous, blog-writers et commentateurs, de hausser un peu le niveau au-dessus des simples imprécations ennuyeuses. Ben n’est pas l’auteur de ce blog mais il comprend que toute question, sur un blog, peut être reprise par qui le veut. Et que personne ne doit se sentir sommé de répondre à toute question.
    Oui le protestantisme est en effet, théoriquement, centré sur la conscience. C’est étonnant comme les catholiques militants aient eu ces idées de protestation si profondément catholiques, sans qu’ils fussent eux-mêmes pratiquants ou théologiens. C’est du fond de leur coeur, si je puis dire, de leurs tripes, qu’ils ont puisé ces gestes et ces attitudes incompréhensibles pour les protestants au pouvoir. Ils ont eu l’instinct de faire ce qui ne pouvaient qu’embarrasser, destabiliser et diviser la population protestante. Il y a du génie chez ces gens-là, on ne peut pas le nier.

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  6. oui, je comprends mieux maintenant et je n’ai jamais dit que le blog nétait pas ennuyeux. Cela rejoint quand même ce que je disais sur les « babas » la derniére fois. Pour moi, les « babas » sont un peu l’incarnation de ce qu’il y’a eu de plus « catholique » dans les années soixante dix, meme si trés caricatural : l’amour du prochain, cheveux longs (mais pas idées courtes),amour, paix, quoi d’étonnants a ce que l’on retrouve cet esprit chez des « rebelles babas » irlandais, quoi d’étonnats a retrouver cet esprit de protestation porfondément catholique…mais sans vouloir compliuqer les choses (et un peu pur épicer le débat),pour le commun des mortels, disons pour des tahées ou autres qui comme moi ne sont ni baptisés, ni préchi précha, ni ne vont a la messe le dimanche et que noel emmerde profondément protestant et catholique c’est un peu bonnet blanc et blanc bonnet…c’est « chrétien ». Aprés on peut jouer avec les mots, les idées subtiles qui distinguent ses deux religions…préferr l’une ou l’autre de ces religions pour des questions purement esthétiques…la vrai question est de savoir ou trouver du sacré, du rite, du « ce qui relie »(religare), « fait communauté » sans retomber dans le piége du religieux dont on connait les excés maintenant (et que l’on constate encore aujourd’hui, hélas).

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  7. Moi non plus je ne suis pas baptisé, et je suis aussi athée qu’on peut l’être. Or je perçois des différences profondes entre les religions chrétiennes, sans en préférer aucune. Le préchi précha, à mes yeux, c’est surtout tout ce truc sur « ce qui relie ». La bande de Bobby Sand, j’espérais le montrer dans ce billet, montre que la religion a des voies autrement plus tortueuses et plus géniales (whatever that means) d’amener les hommes à exprimer leur humanité.

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  8. nous serions donc condamnés a vos yeux a une errance individualiste sans fin où le tout ce qui serait apte a relier les hommes, à révéler leur humanité par un fondement communutaire digne de ce nom (que seul peut apporter le politique a mes yeux) autre que religieux ou sectaire (ou affilié a des actes de rébéllions types lutte armée, bande de Bobby Sand etc…)ne serait que « préchi précha » de curé ou de pasteur ? vous etes soit un anarchiste convaincu, soit un habile rhétoricien crypto catho qui en s’appuyant sur le modéle de ces rebelles irlandais vante les mérites de la religion catholique à la sauce post-moderne -ce qui est trés fort, bravo !- ; soit…profondément déprimé ! (ou peut etre les trois ce qui est encore plus fort !).ou alors nihiliste…bof Vous qui parlier d’imprécations ennuyeuses tout a l’heure, il faut faire attention avec çà, c’est élégant de se situer dans aucun camp, c’est térs habile (ni religieux, ni vraiment politique) mais en fin de compte ca ne méne a rien . Ca me rappelle ces trucs sur les gens que je cotoie : certains se disent athée et se comportent dans la vie de tous les jours comme de véritables curés (ont une vie assez chaste, ont le sens de la compassion, donnent sans compter pour aider leur prochain selon le message bibblique dont ls n’ont eu aucune éducation a proprement parler -pas de cathéchisme- si, peut ete dans les chansons de Bob Marley, et d’autres, vont a la messe tous les dimanches, font des chorales a noel etc mais restent insensibles voire bouchés quand on leur parle du probléme des sans papiers par exemple ou de la misére en france ou d’autres cas extremement frappant. Aujourd’hui y’a t-il des solutions plus « soft » que de s’enfermer dans une prison et de l’asperger de merde histoire « d’amener les hommes a exprimer leur humanité » ? j’espere que non…

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  9. Je n’ai pas vu le film, juste une interview de son auteur où il apparaissait comme une vraie tête à claques, coquet et narcissique. Ca m’a un peu coupé l’envie de le voir, est-ce que je rate quelque chose ?

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  10. un commentaire, voire un billet sur la tentation de l’anonymat me semblerait à propos en ces temùps de clones et de farfadets de noël.

    je pourraiss peut être le faire, mais euh là j’ai oublié de fermer le gaz; faut qu’j’y aille
    et puis un joyeux noël pluvieux, alors, si j’ai bein compris

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  11. oui c’est moi ! leprechuan en irlandais ! mais ca l’auteur de ce blog le sait déja hi hi hi. qui je suis : et bien je suis petit, vert, je vis sous un arc en ciel gardien de chaudrons remplis d’ors et parfois je donne un coup de pouce au pére noel.J’ai un rire stupide (hi hi hi !)J’aide aussi les pauvres thésards français qui ont pris refuge en irlande et je leur porte chance (hi hi hi seulement quand ils travaillent bien sur hi hi hi !) et puis et puis pleins d’autres trucs. Je sais me transformer par exemple : les soirs de la saint patrick quand des sages précaires viennent dillapider leurs bourses de théses dans des pubs malfamés ert obscurs pour oublier leurs vie de rat(on laveur hihihihi) de vert je deviens rose hi hi hi oui comme les éléphants marrant non ? comme je m’emmerde parfois sous mon arc en ciel je viens hanter les blogs et donner quelques coup de pouces par ci par la, car je porte VRAIMENT chance oui vous verrez hé hé hé ! en cette veille de noel je dis : merry christmas a tous les sages précaires qui hantent ce blog et bien sur a Guillaume sans qui ils ne seraient rien. Voyez en plus je suis gentil hi hi hi.Oui vanessa, je suis sympathique et facétieux et célibataire de surcroit et si tu réve d’une aventure avec un lutin malin inscrit ton adresse mail sur l’un de ces posts toi aussi tu auras peut etre de la chance hi hi hi car ce n’est pas toujours trés glamour chez le pére noél ah non alors ! oui n’oublie pas de fermer le gaz un accident est si vite arrivé !

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  12. et bin voilà, ça m’apprendra à traîner les blogs mal famés et à me mêler de ce qui ne me regarde guère finalement;
    on finit toujours par rencontrer le lutin vert; ma maman me l’avait bien dit

    pour ce qui est de la gaudriole et bien que je n’aie rien contre, je me permettrai d’hésiter encore un peu avant de lâcher mon mail en pâture à des farfadets de noël au rire stupide, pas très glamour (à moins que ce ne soit le pere noel qui ne soit pas tres glamour? ça n’était pas très clair)

    d’ailleurs, lutin malin, qui te dis que je n’ai pas un nez crochu, des dents pourries et de vilaines valises sous les yeux ,hein?
    il faut croire ou bien que tu as su percevoir la beauté intérieure, la sagesse et la précarité qui sont les miennes à travers les quelques lignes précédente, ou bien que tu n’es pas très regardant sur tes conquêtes (ou encore que tu aimes les nez crochus, les dents pourries et les vilaines valises sous les yeux ,c’est ça, hein? petit cachotier va)

    c’est fou comme le manque d’envie de travailler ça fait dire n’importe quoi, non?

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  13. O Vanessa que m’importe vos vilaines valises
    que m’importe ton nez crochu tes dents pourris
    que m’importe puisque moi lutin vert je ris…
    ton physique ? oh non ! vraiment ? alors je balise

    un peu, mais au pole nord tout comme en irlande
    il fait si froid,seul comme un chien perdu je glande
    un peu, hi ! alors que m’importe le flacon
    et puis pourvu qu’on ait l’ivresse et c’est tout con !

    o vanessaaaaaaaaaaa !

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  14. finalement, moi aussi je vais prendre un pseudo

    mille merci pour ce poeme, mais je vais attendre encore un peu pour l’ivresse; les bacchanales ne commenceront que ce soir (noel , bacchanales? bon)

    je me demande encore comment on peut partir d’un article aussi raide (hunger), et en arriver là;
    mes escuses au sage précaire; à tous les sages précaires;
    mes amitiés à lutin malin
    un noyeux joel à tous

    et à lundi

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  15. de rien pour le poéme…mais vous nous quitter déjà madame Vanessa ohhh quel dommage madmae fée crochue on commençait a s’amuser ; remarquez moi j’ai pleins de choses a faire ce soir : pendant que papa noel va faire ses douze heures de travaux annuels je vais butiner (quel exemple pour les enfants , une faineasse pareil je vous jure, un sage précaire aussi quelque part…) de ci de la pour voir si je ne trouve pas lutine a mon pied , on ne sait jamais…oui noyeux joel et a lundi mon adoré, bisous !

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  16. Reprenons. Sommes-nous donc « condamnés à une errance individualiste sans fin où le tout ce qui serait apte a relier les hommes, autre que religieux ou sectaire ne serait que “préchi précha” ? En somme, il faudrait retrouver le rôle du politique qui relie sans être « religere »
    A Libreville, il y a beaucoup de Libanais. J’en ai rencontré un qui m’a dit faire partie du Hesbollah. Moi, le Hesbollah, je croyais qu’il s’agissait d’une secte terroriste chï’ite, de la mouvance islamiste qui vise à remplacer la politique par la Charia. Pas du tout, m’a-t-il expliqué, c’est un parti politique libanais issu de la résistance, qui fait aussi de l’humanitaire. Le côté sectaire n’est qu’une conséquence de l’obligation où ont été ces gens, appartenant certes à la majorité chî’ite de la population du Sud-Liban -mais peut-on leur reprocher ce qui les relie ?- de se cacher à l’époque de la guerre avec Israel. Ah bon. Et la violence, les bombes, tout ça ? De la politique par d’autres moyens. Ce qui est marrant, dans la vie, c’est la confusion.
    C’est un jeune homme très sympathique, qui fréquente des jeunes Françaises de la bonne société, qui paraît très ouvert, franc et d’une grande valeur morale. Il n’est pas sûr qu’on puisse traiter de façon satisfaisante son cas pour y voir un simple « ennemi », le simple négatif de nos valeurs démocratiques.

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