Prendre la défense des Britanniques

Je me suis permis d’écrire une chronique d’abonnés dans lemonde.fr sur la géopolitique chinoise.

La géopolitique, je trouve qu’il n’y a rien de plus réjouissant et de plus excitant, après l’économie. En politique internationale, mes idées sont claires et distinctes, et je sens les rapports de force avec acuité. Après, je me trompe autant que l’homme prochain, mais je me trompe dans une clarté et une distinction sans nom.

Ce que je dis sur la Chine, par exemple, dans la chronique, et sur la prééminence de la question de Taiwan sur la question tibétaine, j’attends les contre arguments. Je maintiens que le Tibet est, pour Pékin, une sorte d’épouvantail qui permet à la fois de cacher d’autres problèmes, et de mesurer son poids diplomatique. La manifestation à Lyon de quelques centaines de manifestants pour les droits de l’homme en Chine et au Tibet va dans ce sens. Vacuité des protestations, coups de pétards qui détournent l’attention des vraies questions.

En sortant de la vision du film d’Olver Stone, W, j’ai eu une autre intuition géopolitique de grande ampleur : la nécessité de défendre nos amis britanniques.

Les Britanniques ne se rendent pas encore compte de la rancoeur qu’ils vont attirer de la part de leurs voisins. Déjà les Allemands, les nordiques et les Français considèrent que la crise économiques actuelle est largement la faute des Anglo-américains.

Ce qu’on nous explique, dans tous les pays européens sauf sur les îles britanniques, c’est que la crise actuelle est la conséquence de la révolution néo-conservatrice lancée par Mme Thatcher et M. Reagan. Cela va faire 30 ans que les Anglo-saxons nous disent que nous sommes ringards, nous les Français et les Allemands, de conserver des industries, de ne pas laisser crever les pauvres, d’avoir un service public et des fonctionnaires (ils appellent tout cela « la bureaucratie »), de promouvoir l’enseignement des langues autres que l’anglo-américain. Ils voient comme une réaction d’arrogants losers de vouloir protéger notre cinéma et de lutter pour faire des biens culturels ce qu’on a appelé « l’exception culturelle ».

Les Britanniques et les Américains, forts de leur puissance sur le monde, ont ridiculisé cette posture en détournant la notion d’exception culturelle (utile à tous les Etats non anglophones) par celle d’ « exception française ». C’était génial, du point de vue marketing : tout discours en faveur d’un cinéma aidé par les pouvoirs publics devenait de l’agitation égoïste typiquement française. 

Tout effort pour faire vivre d’autres langues que celle de David Beckham était vu comme de l’obscurantisme : « Pourquoi cette obsession avec les langues ? » Cette rumeur moqueuse monte du monde anglo-saxon. Combien de fois ai-je entendu cette interrogation, dans le monde entier (je frime un peu, je ne suis pas allé dans le monde entier), par des Anglais, des Irlandais, des Américains, des Australiens, des Néo-Zélandais ? Je me souviens d’une jeune fille de Barcelone qui est restée bouche bée devant la bêtise généreuse de ce charmant voyageur qui lui posait cette question.

Malheureusement, en temps de crise, on cherche un bouc émissaire. Ce furent les Juifs, pour les fascistes des années trente, ce fut la bourgeoisie pour d’autres. Aujourd’hui, les Chinois vont dire que c’est de notre faute, à nous les Occidentaux. Mais les Occidentaux, les Allemands par exemple, que vont-ils penser ?

D’habitude, les Allemands ont du ressentiment vis-à-vis des Français, car ils sont étroitement liés par l’Union européenne, et qu’ils ont des cultures budgétaires opposées. Mais la crise, les Allemands, ils n’y sont pour rien, les pauvres vieux. Et ils savent que ce n’est pas de la faute non plus de ces emmerdeurs de Français. Les responsables, les peuples européens les chercheront sur les îles britanniques.

 Dans une émission d’information, sur la BBC, une journaliste anglaise demanda à un diplomate allemand : « Pourquoi dites-vous que la crise est un problème anglo-saxon ? » Elle n’eut pas la patience d’écouter la réponse. Pour elle, ce vieil Allemand n’était qu’un donneur de leçon européen.

Mais il ne faut pas oublier que les Allemands et les Français ont besoin d’avoir de bonnes relations. S’il faut trouver un ennemi commun, en temps de crise, pour pouvoir faire l’unité sur son dos, il est tout trouvé. 

D’où l’importance de les protéger dès maintenant, nos amis brito-irlandais car un racisme anti-anglais risque de grandir en Europe. Inutile de protéger les Américains, eux ils sont loin, et ils sont déjà détestés par tout le monde.

Ajoutez à cela les guerres en Irak. Quelle meilleure image, pour les peuples qui cherchent un fautif, que cette alliance anglo-américaine (non voulue par les braves Angais, mais qui s’en souviendra ?), cette assurance dans son bon droit, cette arrogance infinie qui semble dire : tout ce qui n’est pas anglo-saxon n’a pas vocation à survivre à long terme. Langues, cultures, économies, système politiques, manières de table, nous nous occupons de redéfinir tout cela pour vous.

Voyez la joie terrible de la géopolitique ? On imagine le pire, et les hommes se chargent de faire encore pire.

Alors moi, dès maintenant, je deviens un défenseur des Britanniques. Je rejette toute expression de racisme anti-anglais et je me tiens prêt à brandir les grands écrivains de langue anglaise pour faire de l’Irlande et du Royaume uni, dans les prochaines polémiques avec mes frères européens, une terre de culture propice à l’admiration.

8 commentaires sur “Prendre la défense des Britanniques

  1. maitre, nous ne pouvons suivre votre enseignement complétement, votre lien (édition abonné etc) ne marche pas bien, même pas du tout, nous ne pouvons lire votre superbe chronique. Nous avons pleins de questions o grand sage :
    1) tout d’abord, quelle est la logique de ce blog, quel est votre cheminement de pensée (on a du mal a vous suivre vraiment) ? ce qui vous passe par la tête c’est cela n’est ce pas ? Un jour c’est l’art, un autre les britanniques, le lendemain lde derbnierf film de Tarantino (auquel vous ressemblez etrangement si c’est bien vous sur la photo), un autre le dernier disque d’un groupe a la mode etc…on ne comprend pas votre logique, même si c’est trés interessant, il faut nous expliquer a nous pauvres disciples que nous sommes. Vous semblez vraisemblablement trés interessé par le voyage et la littérature de voyage auquel vous consacrz une thése ca on a compris mais par exemple on ne comprend pas le lien qu’il y’a ici avec ce beau sujet de recherche.

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  2. Ah oui, mince. Il est bien probable que les « chroniques d’abonnés » ne soient accessibles qu’aux abonnés, ce qui justifierait leur nom. Rien que pour ça, je rends grâce aux mecs du monde. Ils ont mis en conformité une chose avec un mot. L’ordre est sauf.

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  3. et bien moi, je ne suis pas étonné de cet engouement pour l’esprit britannique chez notre cher sage précaire, c’est même ce qui me plait le plus chez lui. Comme d’habitude je vais raconter quand je suis en forme comme c’est le cas aujourd’hui ma pauvre vie d’étudiant avec ses anecdotes de rencontres humaines et artistiques tour a tour foireuses , tour a tour passionnantes ;j’aime ce blog pour çà, on peut s’épancher comme on veut sans craindre la censure, ce qui est le vrai signe d’un esprit indépendant et libre chez son administrateur;
    c’était l’époque où je prenais des rateaux au jardin du luxembourg a Paris. A l’époque (oh juste il y a dix ans a peu prés) je me prenais pour Bebel dans « pierrot le fou » et je recherchai éperdument mon Anna Karina. Je vivais littéralement dans ce film ou souvenez vous Bebel passe son temps a lire du Elie Faure, « histoire de l’art », un vrai moment d’anthologie quan dil cite sce passage sur le peinte velazquez, si je pouvais je vus fairai l’imitation je bluffe tous mes potes avec çà …je fumai des gitanes sans filtre, j’avais un cahier de « pensées poétiques »comme ce cher jean paul et je me la jouai un peu tendre racaille (je ne me suis pas explosé la tronche encore avec du bleu sur la figure vus me direz, bah pourquoi faire …). Mais comme je me prenai des vents tout le temps au jardin du luxembourg et que Karina demeurait introuvable, j’ai approfondi mes lectures d’Elie Faure jusqu’a ce que je tombe sur ce superbe livre de cet ecrivain inconnu et incompris de nos jours , je n’ai pas le titre, c ame reviendra mais ces sont des études sur les « caractéres de chaque nation » qui sent bon son début vingtiéme siécle, de chaque pays et pour les anglais, l’esprit anglo saxon il parle de « meuble », c’est ça : « le meuble anglais. »(pour la chine, le titre était « humain , trop humain »). Ca l’air nationaliste mais c’est un super livre et je pense que ses visions sont tout a fait valables encore aujourd’hui, oui, ce billet m’a donné envie de le relire d’ailleurs car j’ai tout de suite pensée à çà .En plus, le style d’Elie Faure est inimitable, de longues phrases denses et profondes à la Proust mais avec un truc différent, qui fait la marque de cet écrivain de talent, un vrai bonheur. Lisez le ! Toc toc badaboum …

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  4. « Ce qu’on nous explique, dans tous les pays européens sauf sur les îles britanniques, c’est que la crise actuelle est la conséquence de la révolution néo-conservatrice lancée par Mme Thatcher et M. Reagan. »
    C’est toujours la faute des autres, c’est plus confortable pour l’esprit de réagir ainsi et ça évite de se regarder dans une glace.
    Je crois que tu as mis ta chronique chinoise sur ton autre blog si je n’ai pas rêvé.
    Dans la lignée de la remarque d’Asp, j’aime bien l’idée d’un blog sans une logique apparente précise même si les circonvolutions du Sage précaire ont leur leurs logiques propres qui nous sont insondables. Certains billets m’intéressent , d’autres moins. Ces derniers sont en fin de compte les plus intéressants pour moi car ils me permettent de connaître des pans de l’univers qui me sont peu connus et de ne pas rester enfermer sempiternellement dans les mêmes sphères.

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  5. « C’est toujours la faute des autres ». Pas toujours. Y ades choses qui sont notre faute. L’union européenne par exemple, et la monnaie unique : les francais sont responsables de ca, en grande partie, avec les allemands, les italiens, et quelques autres pays. Mais ceux qui deteste l’europe peuvent dire : c’est notre faute, personne ne nous a forcé à créer cette bureaucratie aveugle, cet ensemble politique sans nation et sans pouvoir élu démocratiquement.
    La crise, par contre, je suis d’accord avec le sage précaire, c’est le mode de vie des americains. Les anglais sont moins fautifs mais ils ont profité de cette économie financière incoherente. La City de London, c’est un paradis fiscal et c’est immoral. Maintenant nous sommes tous dans cette merde par leur faute.
    Pas de racisme, d’accord. Pourquoi du racisme ? Mais on a le droit de dire qu’ils ont leur part de responsabilité dans ce qui arrive.

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  6. « La crise, par contre, je suis d’accord avec le sage précaire, c’est le mode de vie des americains. » Ah mais je n’ai pas dit que j’étais d’accord avec ça, moi. Ne confondez pas les paroles que je rapporte et celles que j’énonce moi-même.

    « La City de London, c’est un paradis fiscal et c’est immoral » : je ne crois pas qu’il faille mélanger moral et économie. S’il est vrai que la City de Londres est un paradis fiscal, alors des gens qui ne produisent rien et gagnent bcp d’argent paient moins d’impôts que les autres. C’est choquant et immoral oui, mais si c’est efficace ? Si, à la fin, leur action dynamise l’économie britannique au point que cela donne du travail à tout le monde, et à des étrangers ?
    Je ne suis pas assez compétent pour savoir si c’est efficace dans ce sens, ou non.
    Il est vrai qu’en France, un sentiment anti-traders montent assez perceptiblement dans le monde médiatico-politique.

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