Depuis que D. a monté un tipi dans un des jardins, le visiteur est encore plus confortable que lorsqu’il logeait dans le cottage. J’y ai dormi quelques nuits la semaine dernière, et je crois m’être ressourcé. Je suis un autre, depuis que les oiseaux me réveillaient le matin et que la pluie rythmait mes journées de travail.
La cuisine est accessible depuis le jardin sans passer par la partie où D. habite. Le matin je me fais un merveilleux café, grâce au moulin à café électrique qui me rappelle celui qu’on avait, dans ma famille, dans les années 78-80. Je vais tâcher de me trouver un tel moulin, si c’est encore commercialisé. D., le soir, préparait à manger avec les légumes du potager et les oeufs de Jennifer, de Gerry, de Blacky et des autres poules. Je tâchais de l’aider, mais je suis très décevant, comme aide. Mon utilité principale, dans la vie, est de tenir compagnie, et de manger la nourriture des autres, dormir dans les draps des autres, fouler la terre des autres.
A ce propos, D. me dit que lui non plus ne se sent nulle part chez lui. Qu’il est un Juif errant.
D. est un Juif américain, dont les grands-parents ont émigré de Pologne avant la guerre. Ils ne parlaient pas polonais, me dit-il, seulement yiddish. D. dit que les Juifs polonais voyaient la Pologne comme un pays catholique, auquel ils ne se sentaient pas liés ; il paraît surpris d’apprendre qu’en France, les Juifs sont très patriotes.
Je lui demande alors de me parler un peu de sa vision du monde, du conflit israélo-palestinien. Quelles sont les chances pour que le processus de paix aboutisse ? Aucune chance, dit-il. Il est contre l’Etat d’Israël, qu’il juge colonialiste, et me dit que ses grands-parents polonais eux-mêmes étaient contre. Pour eux, la terre promise c’était l’Amérique. D. est allé plusieurs fois en Israël et ça ne l’a pas convaincu. « Si on veut la paix au Proche-Orient, dit-il, tous les Juifs doivent en partir, et émigrer en Amérique. L’Europe ? Oui, pour certains d’entre eux, mais l’Amérique surtout. » J’ai l’impression qu’il considère toujours un peu l’Europe comme le lit douillet des camps de concentration.
Je lui conseille de ne jamais parler en ces termes s’il pose le pied en France. La liberté de parole des Américains pourrait heurter les bonnes consciences.
Un éditeur américain lui demande d’écrire un livre sur l’histoire de l’Espagne. Il se demande où il trouvera le temps de faire cela. Nous parlons histoire de l’Europe. Il m’apprend qu’à l’université Queen’s, le département d’histoire escamote complètement la France. On y enseigne l’histoire de l’Espagne, de l’Allemagne, de la Russie, et strictement rien sur la France. Comme, par ailleurs, l’histoire n’est pas obligatoire dans le système éducatif britannique, les habitants de cette province n’ont pas l’occasion d’entendre parler de la révolution française. Cela navre D. : « Comment veux-tu comprendre le monde moderne sans étudier la révolution française ? »
Il a donc l’intention d’organiser un voyage à Paris avec ses étudiants, pour compenser un peu l’ignorance qui est la leur sur mon pays. Je le dis, le salut viendra des Américains errants.
j’ai peut être raté un épisode, mais pour m’éviter de fastidieuses recherches, peux tu me dire où se trouve Tullyquilly sur la carte?
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Bonne idée Vanessa. je fais faire un billet sur la carte et le territoire. J’ai cru comprendre que c’était d’actualité avec le dernier livre de Michel Houellebecq.
Sinon, pour le dire en un mot, cela se situe dans un repli de la commune de Rathfriland, dans le comté Down.
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