L’écrivain de Lyon

André Chamson écrit sur les Cévennes, Pagnol sur la Provence, Dhôtel sur les Ardennes. J’aime bien ces écrivains qui ancrent leur style et leur imaginaire sur un territoire avec lequel ils recherchent une communion intense.

James Joyce et Dublin. William Faulkner et Lafayette County (dans le Mississipi).

C’est un type d’écrivains à part, car la plupart des autres n’ont pas élu un territoire en particulier. Victor Hugo par exemple, parle davantage de Paris que de son lieu d’origine, Balzac parle admirablement de la Touraine mais a écrit sur tous les territoire possibles.

Même Proust, je serais tenté de ne pas voir en lui l’auteur d’un territoire en particulier, car il a profondément fictionnalisé Illiers, Cabourg et Paris. Alors que lorqu’on lit Chamson, on est dans les Cévennes, on ressent physiquement ces sensations tranchées du soleil et de l’air chaud, de l’eau froide des gouffres.

Si j’étais un écrivain, je tâcherais moi aussi d’élire un territoire et de le chanter. Je serais le chantre de Lyon.

Lyon mérite d’être reconnu sur la carte de la littérature mondiale, je ne comprends pas que ce ne soit pas déjà fait. Tous les écrivains lyonnais, et ils sont nombreux, ont préféré partir et parler d’autre chose. Qui se souvient que Saint-Exupéry était lyonnais ? Tout le monde l’imagine dans un désert avec son avion, ou au-dessus des Andes, quel ennui.

Lyon est la nouvelle terre élue de mon coeur. Sa géographie est magique. Verticalement et horizontalement, cette ville inspire un grand effroi : la colline de Fourvière était déjà un lieu de culte pour les Gaulois avant l’arrivée des Romains (Lug-Dunum, « le mont du Dieu Lough »). Horizontalement, au niveau des cours d’eau, Lyon est à un croisement cardinal : la confluence des deux rivières lui amène le nord par la Saône, la Suisse et les Alpes par le Rhône, et la vallée qui en descend souffle sur tout un couloir qui trace jusqu’à la mer méditerranée.

Je pourrais raconter tout un tas d’histoires drôles et mélancoliques dans ce décor mythologique. Des histoires d’amour puériles, des bandes de copains à la dérive, des métiers variés.

Je raconterais des histoires de ramoneurs. Qui mieux qu’un ramoneur connaît une ville ? Il la perçoit depuis les toits et depuis les sous-sols! J’ai des souvenirs magnifiques de ces journées passées avec mon père, où nous allions de chaudière en chaudière. Adolescent, étudiant, je découvrais ma ville natale par ses conduits de cheminées. Parfois j’avais le droit d’aller sur le toit d’une maison, d’une usine ou d’un immeuble, quand c’était nécessaire, et que mon père s’était assuré que je ne courais aucun danger.

Je me souviendrai toute ma vie de ce collège (ou était-ce un couvent ?), qui surplombait la Saône, à Saint-Just. Pendant que mon père cherchait la clé de la chaufferie, moi je me roulais une cigarette et je fumais sur le talus en regardant la vue splendide de fleuve, et de la ville de Lyon qui étincelait au soleil d’un matin d’hiver. Le travail de ramoneur est un des métiers les plus poétiques que l’on puisse imaginer.

Vers l’âge de 17 ou 18 ans, j’étais sur un toit d’usine, et voyais mon père marcher sur la crête du toit. Il avait dû me dire de rester là et de surveiller quelque chose. J’étais tout à ma contemplation esthétique : les lignes du toit, les nuages blancs, la silouhette en ombre chinoise, et soudain la fumée de suie noire qui éclatait de la cheminée à chaque sortie de hérisson. Je me disais que la scène valait d’être filmée, sans même qu’il y ait d’histoire ni d’intrigue. Il fallait faire un film de contemplation pure. Je sortis mon carnet de note pour dessiner la silhouette de mon père qui marchait sur le toit. Les lignes que faisaient les plaques de tôle ondulée donnaient une architecture expressionniste à cette scène. Sur fond de ciel bleu, c’était beau à pleurer.

A cette époque, j’avais commencé un roman pour enfant qui mettait en scène un ramoneur, et un enfant qui fuyait je ne sais qui sur les toits. Mais j’étais encore trop enfant et je n’ai pas poursuivi mon roman.

Quand je suis tombé amoureux de F., j’étais encore ramoneur à temps partiel, et elle, sa peau était si blanche. Son appartement était en haut des pentes de la Croix-Rousse, et avait une vue dégagée sur le centre-ville. Quand je revenais de mes journées de ramonage, même lavé et savonné, mes mains avaient conservé de la suie dans les jointure. Ma vie était à cette époque très contrastée, entre le noir des chaufferies et la blancheur éthérée de F.

Je travaillais aussi au Musée d’art contemporain de Lyon, tout de blancheur lui aussi. Après avoir été viré, j’ai déboulé dans les bureaux habillé en ramoneur. La tête effarée, effrayée de mes anciens supérieurs hiérarchiques en me voyant. Un ouvrier, ils n’avaient jamais vu cela. Eux qui se croyaient de gauche, et qui lisaient Les Inrock le matin, en buvant du café.

Une image m’obsède : ma main noirâtre sur le visage pur et abandonné de F.

Je ferai un livre autour de cette image là, non parce qu’elle est intéressante, mais parce qu’elle concentre toutes les lignes narrratives qu’il y aura dans mon roman : l’amour, le travail, le musée et les toits.

Il y aurait beaucoup de choses à dire, si un écrivain voulait se donner la peine de prendre Lyon pour centre de ses intrigues et de ses errements. En plus, Lyon, quel nom!

4 commentaires sur “L’écrivain de Lyon

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