Hommage aux femmes Nahdi

Je voudrais rendre un vibrant hommage au grand travail discret et efficace des sœurs et des nièces de Hajer pendant notre séjour en Tunisie. Dans les heures les plus chaudes d’un été épouvantable, chacune leur tour vient passer des heures de cuisine, de nettoyage, de lessive et de vaisselle que je n’hésite pas à qualifier d’héroïque.

De mon côté, je passe les heures les plus chaudes à lire des livres. Allongé sur l’une des couches qui composent le salon de la ferme, lui-même énergiquement nettoyé avant notre arrivée. Cet été j’ai lu Le Silence et la colère de Pierre Lemaître. Superbe roman populaire sur les années 1950 en France, dans lequel le rôle le plus important est celui d’une femme qui cherche à s’ens sortir dans un monde d’hommes. On pense à Françoise Giroud car le personnage est journaliste, et on pense à la série Mad Men.

Kaouther (prononcer à l’anglaise Kowther) la sœur de Hajer qui vit avec mari et enfants dans une ferme de Ftiss, elle aussi au bord du lac salé, nous prépare un pain à la semoule délicieux et le meilleur lait caillé que j’ai jamais mangé, avec le lait de sa vache.

L’île en béton de James G Ballard : un grand conte philosophique écrit dans les années 1970 qui narre la survie d’un accidenté de la route dans un terrain vague au cœur de Londres, rendu inaccessible et invisible par le réseau d’autoroutes. Une robinsonnade des temps post-modernes tout à fait brillante, probablement inspirée par celle qu’avait publiée Michel Tournier quelques années auparavant.

Bouchra, nièce de Hajer, jeune maman d’une Lamaar hyper active et enceinte de 6 à 7 mois, n’a pas hésité à venir prêter main forte en faisant des heures de ménage bienvenues et des soupes sublimes. Pour passer plus de temps avec Hajer et aider plus généreusement, elle a imposé à son mari de disparaître trois jours et de rester dormir deux nuits avec nous à la ferme.

J’ai aussi lu Kafka sur le rivage de Murakami dont je ne suis pas sûr d’avoir envie de dévorer l’œuvre complet. L’ambiance fantomatique, irréelle, du roman, fait écho à mon état somnambulique dû à la chaleur. Les femmes y sont traitées comme des êtres de second plan.

Hajer elle-même ne se comporte pas comme une princesse qui vient d’Europe et qui doit se faire dorloter, avec sa peau plus blanche que les autres. Au contraire, Hajer bosse comme une folle toute la journée pendant que je gémis sur mes coussins. Je lui demande vainement de se reposer. Je la regarde en me demandant si son énergie repose sur une force vitale qui s’exprime, ou si elle s’épuise et va finir aux urgences dans quelques jours. Le pire est que toutes ces femmes me plaignent et me font passer pour un mec gentil qui souffre le martyr sans se plaindre. Elles jugent cette fermette inhospitalière alors que j’y reçois un meilleur traitement que dans les meilleurs palaces.

Les hommes de la famille donnent aussi beaucoup d’eux-mêmes et se sacrifient pour notre confort en Tunisie, je ne voudrais pas qu’on méprenne ce billet pour une dénonciation de je ne sais quelle exploitation des femmes par des hommes paresseux.

Je lis un superbe roman sans fiction de Philippe Videlier, Rendez-vous à Kiev (Gallimard, 2023). Je consacrerai bientôt un billet spécifiquement à ce livre paru cet été et reçu en service de presse juste avant notre départ en voyage.

Inès, la fille de Kaouther, du haut de ses 17 ans, vient parfois prêter main forte et fait beaucoup de petites tâches utiles. Les petites voisines à leur manière aident mes beaux-parents à tenir la ferme pendant la visite encombrante de ces Français un peu gourds et lourdauds.

Le Paradigme de l’art contemporain de Nathalie Heinich (Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2014). Un essai de sociologie un peu scolaire mais utile, qui prend appui sur l’épistémologie de Thomas Kuhn pour décrire l’art contemporain non pas cme la suite chronologique de l’art moderne mais comme un changement de nature, d’où le sous-titre : Structures d’une révolution artistique.

Sans le travail incessant et invisible de ces femmes tunisiennes, ces vacances à la ferme serait simplement impossible. Elles rendent la vie possible. Sans elles, le désert aurait déjà tout recouvert et je n’aurais lu aucun livre.

6 commentaires sur “Hommage aux femmes Nahdi

  1. Hello Guillaume,
    Contente que tu goûtes la littérature de Pierre Lemaitre, qui porte bien son nom, je trouve.
    Le Silence et la colère, son dernier, est le seul que je n’ai pas lu (jolie panne de lecture en ce moment, ça reviendra) mais il m’attend sagement sur une étagère de ma bibliothèque.
    Ton billet m’a donné le goût d’enfin le découvrir.
    Une bise à vous deux.

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  2. Moi, je me sens très nettement semblable à ces femmes. Mais ce serait mal vu de te lever pour les aider ? Comment arrives-tu à rester à l’horizontal ? Comment arrives-tu à te concentrer sur des fictions quand le réel magnifique et prenant appelle nos mains, nos gestes et un « faire ensemble » qui me semble bien plus désirable que je ne sais quelle quête littéraire ?

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    1. Il y aurait beaucoup à dire pour te répondre ma chère Cécilia, mais pour faire court disons juste qu’il fait une température inhumaine. Des pointes à 49 degrés à la station météo la plus proche de nous. Cela veut dire bien plus de 50° dans la cuisine surchauffée. C’est pourquoi je parle d’héroïsme.

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