En 1921, Marcel Proust n’a plus qu’une année à vivre. Il est à l’agonie quand paraît Le Coté des Guermantes. C’est maintenant un écrivain reconnu qui a reçu le prix Goncourt pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs en 1919. Il n’a plus rien à prouver. En revanche il doit vivre assez de temps pour finir son cycle romanesque, À la recherche du temps perdu.
Finir n’est pas le mot, car Proust a fini depuis longtemps son cycle romanesque. En 1907, il a dit à Céleste, la gouvernante, « Cette nuit, j’ai commencé et terminé un très gros livre. » Il a donc écrit sa conclusion, ses dernières scènes, ce qui explique que le dernier tome du cycle, Le Temps retrouvé, se lit si facilement. C’est probablement le tome le mieux travaillé, le plus parfait.
Proust sait qu’il lui reste peu de temps à vivre quand il termine Le Côté des Guermantes, ce qui a plusieurs conséquences. D’abord il se fiche éperdument d’être divertissant ou élégant. Il peut se permettre des longueurs effroyables s’il les considère comme utiles à l’économie générale de l’œuvre. Ensuite, il peut faire dire à Swann qu’il est mourant car c’est ce que lui, l’auteur, ressent.
Enfin cela explique l’incroyable impudeur et impolitesse de Swann à l’endroit du duc et de la duchesse de Guermantes. J’ai déjà parlé de cela dans un autre billet.
L’auteur est mourant, il panique, son personnage préféré est mourant aussi, il brise toutes les règles de politesse : en passant par la fiction, Marcel Proust essaie de s’accrocher à la vie en faisant de son personnage un plaintif casse-pied.