Les « femmes indigènes » selon Houria Bouteldja

J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam.

Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous, p. 72

Chaque mot de cette phrase fait mal. L’autrice sait ce qu’elle fait et elle sait ce qu’elle risque. On la traitera de raciste, de communautariste, on lui dira de rentrer en Algérie si elle n’aime pas la France, etc.

Dans ce chapitre, intitulé « Nous, les Femmes indigènes », elle conduit une brève réflexion sur le féminisme en contexte immigré, post-colonial et islamique. Ne peut-elle pas voir dans le féminisme proposé autre chose qu’un phénomène « blanc », pour « femmes blanches » ?

En même temps, comme dans l’ensemble de l’essai, Houria Bouteldja crie quelque chose d’intime qui me bouleverse. Ses mots me touchent notamment parce que la femme que j’aime est elle aussi arabe, musulmane, intellectuelle, émancipée, et inextricablement liée à sa famille.

Je n’ai rien à cacher de ce qui se passe chez nous. Du meilleur au plus pourri. Dans cette cicatrice, il y a toutes mes impasses de femme.

Idem.

Je trouve qu’il y a une immense générosité à oser parler des « impasses de femme » à un lectorat ouvert, possiblement hostile. C’est la  preuve que son livre n’est pas une déclaration de guerre, ni un rejet unilatéral de la France, mais une tentative fière et émue de nous tendre la main. On peut essayer de se comprendre.

Le monde est cruel envers nous. L’honneur de la famille repose sur la moustache de mon défunt père que j’aime et que la France a écrasé. (…) Mon frère a honte de son père. Mon père a honte de son fils. Aucun des deux n’est debout. Je ramasse leur virilité déchue, leur dignité bafouée, leur exil.

Idem.

Le féminisme que Bouteldja va tenter de mettre en place ne peut pas s’adosser à un individualisme de type Lumières/Révolution  française. Selon elle, la trahison que serait l’émancipation individuelle conduirait obligatoirement à « imiter » les Blanches, et à tout perdre en bout de course.

C’est pourquoi elle parle de ce réseau complexe de relations amoureuses entre hommes blancs, femmes indigènes et hommes indigènes. Ça fait mal de voir les choses sous cet angle de la possession des femmes, ça fait mal à notre bonne conscience de républicains universalistes, mais c’est toujours un peu comme ça que les choses sont vécues dans les communautés qui se sentent menacées : vous ne prendrez pas nos femmes, ou alors, il faudra payer.

Pourquoi croyez-vous que les Travellers irlandais sont encouragés à se marier dès l’adolescence et à faire beaucoup d’enfants ? Pour empêcher que les « paysans », les Irlandais majoritaires, ne séduisent leurs filles.

Et pourquoi croyez-vous qu’Éric Zemmour finit son livre sur la féminisation de la France en fantasmant sur les filles blanches qui se jettent dans les bras des rebeux et des renoirs, déçues qu’elles sont par le manque de virilité des petits blancs ? Il voit la France comme un pays soumis aux pays africains (!), peuplé d’une masse historique qui n’a plus de vigueur. Chez les masculinistes, en général, on note cette crise de masculinité et cette peur panique de tout ce qui est femme, homo, noir, arabe et musulman. Cela explique pourquoi la plupart du temps, les masculinistes se fondent dans l’extrême-droite et le racisme. Leur sentiment de défaillance sexuelle les fait rêver à des leaders politiques « forts », « fermes », à poigne.

Houria Bouteldja, elle, nous invite à un autre chemin, moins délétère. Celui de se libérer de tous ces jeux de rôles qui nous emprisonnent dans des « imitations » de stéréotypes : ces « beurettes » qui imitent les blanches, ces djihadistes qui imitent les armées coloniales, ces noirs qui portent des masques blancs, ces hommes qui maltraitent leur femme pour imiter les chefs et les flics.

Si nous avons une mission, ce serait de détruire l’imitation. Ce sera un travail d’orfèvre. Il faudra deviner dans la virilité  testostéronée du mâle indigène la part qui résiste à la domination blanche, la canaliser, en neutraliser la violence contre nous pour l’orienter vers un projet de libération commun.

Nous, les Femmes indigènes, p. 96-97.

4 commentaires sur “Les « femmes indigènes » selon Houria Bouteldja

  1. J’ai lu et relu 2 ou 3 fois son chapitre sur les femmes indigènes. J’ai du mal à comprendre le message d’ensemble. Finalement, au nom de l’émancipation, elle appelle les beurettes de quartier à se soumettre à leur fille et au mari que leurs parents leur ont choisi ? Ou bien j’ai encore pas compris

    Il y a 2 ou 3 trucs qui me viennent à l’esprit, dans le désordre :

    J’ai d’abord pensé aux Camerounaises. Il y a un phénomène au Cameroun, assez bien documenté, qu’on appelle les filles mères. Je crois que Mongo Beti ou Celestin Monga à écrit là dessus, je sais plus. Les filles mères sont en train de transformer la société Camerounaise. C’est des filles des villes qui se font engrosser très jeunes et qui doivent ensuite assumer leur bébé. Leurs familles les rejettent, les géniteurs fuient, etc. Au Cameroun c’est devenu un sport national de « coller la petite ». Je te laisse imaginer. Si tu dis à une Camerounaise de respecter la virilité blessée de l’homme noir, elle va te cracher sur la figure.

    Ensuite, la notion de loyauté. Moi, je peux comprendre ça, on ne se fabrique pas tout seul, on appartient à une famille. Mais ça se complique quand elle introduit le mot « communauté ». « Nous appartenons à la « communauté » et nous l’assurons de notre loyauté. » Dans une famille, il y a des gens, un père, une mère, une fratrie, etc. C’est des gens à qui on peut parler, ils peuvent évoluer. Par exemple, mon père venait d’une famille de mineurs, il a un un peu trahi en rejoignant la petite bourgeoisie, mais il s’est ensuite occupé de sa mère, de sa sœur, des ses neveux, etc… Mes frères et sœurs et moi, on les a beaucoup traumatisés, on a brisés leur rêve de communauté, mais ça ne brise pas la famille et à ça je suis loyal. Un famille, c’est vivant, ça évolue. Une communauté, c’est mort, ça n’évolue pas, c’est un pur fantasme.

    Il y a une phrase qui me gêne beaucoup dans son texte : « c’est moins la réalité de la domination masculine qui pose problème que sa déshumanisation ». Moi, je ne veux même pas essayer, je te laisse expliquer.

    Au début du chapitre, elle évoque une scène de scarification traditionnelle. « mon corps ne m’appartient pas, il appartient à la communauté, c’est normal que la communauté le marque pour marquer sa possession. Pourquoi pas. Mais, la scarification, la circoncision, tout ça c’est pas bien méchant. Au Tchad, il y a un truc qu’ils appellent l’excision. 80% des filless de 5 à 14 ans seraient excisées au Tchad. (https://www.dw.com/fr/tchad-les-jeunes-filles-toujours-livr%C3%A9es-%C3%A0-lexcision/a-55029923). L’excision n’est pas seulement cause de mortalité infantile, c’est aussi un acte de torture et ça interdit à la flamme toute vie sexuelle.

    Il se trouve que j’ai une fille tchadienne de cet âge. Je me demande bien ce que ferait Bouteldja si elle était sa mère. Je crois qu’elle refuserait avec horreur d’accepter que sa fille se fasse exciser. Je ne crois pas me tromper sur ce point.

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    1. Non tu ne te trompes pas sur ce point.
      Concernant le circoncision, je recommande fortement la lecture d’Antonin Potoski, qui en parle de manière originale dans L’Hôtel de l’amitié (P.O.L., 2004). J’en ai fait une analyse succincte dans un chapitre qui identifie le « pôle anti-ethnologique » de la littérature de voyage : https://www.academia.edu/88574027/Antonin_Potoski_et_le_p%C3%B4le_anti_ethnologique_

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  2. Masi c est pas plutot Seguela, que tu as rencontré ? Bacri lui ne se moque de personne, il essaye de comprendre des choses qu’il ne soupçonnait pas jusque là. Ce sont les autres qui se payent sa tronche, avec ses baffies, ses costards mal coupés, ses blagues scato et lourdingues….

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