Les Blancs, les Juifs et nous : la belle radicalité d’Houria Bouteldja.

Ce livre de la fondatrice des Indigènes de la république, publié en 2016, est très court, assez dense, et stimulant pour l’esprit. Dès son chapitre introductif, « Fusillez Sartre », elle relance la réflexion sartrienne sur la colonisation pour la titiller de l’intérieur.

Les Blancs, les Juifs et nous (La Fabrique éditons, 2016) est un bon essai car il a été longuement réfléchi et a été écrit avec soin. En tant que lecteur, je me sens respecté. En tant que Blanc, je ne me sens pas insulté. En tant que Français non plus.

À la différence des intellectuels de plateaux télé qui pondent cinq livres par an, probablement aidés par l’IA ou des auteurs sous-traitants, Houria Bouteldja publie un livre tous les dix ans. Elle assume la radicalité la plus grande et écrit en sachant qu’elle ne sera ni publiée, ni diffusée, ni lue, ni aimée. Elle est donc légère comme le mistral et peut laisser libre cours à cette voix qui la travaille. Elle s’est dit : je vais écrire un seul livre, et si je meurs, des gens liront ceci seulement, c’est mon testament, voici ce que j’ai à dire après 40 ans de réflexions,  de militantisme et de travail. Qui suis-je ? Une femme arabe française musulmane… Je vais écrire ce qu’a à dire une musulmane française aujourd’hui.

Elle va droit au but et s’adresse aux forces en présence : les Blancs. Sans peur, elle désigne une opposition « nous/vous » et va construire ses chapitres sur cette dichotomie.

1. Vous les Blancs

2. Vous les Juifs

3. Nous les femmes indigènes

4. Nous les indigènes

Voilà, une fois qu’on aura bien explicité qui « nous » sommes et qui « vous » êtes, on y verra plus clair et le livre sera fait. Les bases seront posées pour établir les conditions d’un rapprochement entre nous tous, voire d’une nouvelle forme d’amour.

Sous-titre du livre : Vers une politique de l’amour révolutionnaire.

On est bien loin des accusations de racisme et d’antisémitisme, mais cela, je suggère de le laisser aux parasites des plateaux télé.

Pour parler des Blancs, elle commence avec le cogito cartésien et se demande qui est ce « je » qui pense et qui, de ce fait, est. Les premières pages ne sont pas originales et la deconstruction de Descates ne m’a jamais paru stimulante.

Ce « je » est conquérant. Il est armé. Il a d’un côté la puissance de feu, de l’autre la Bible. C’est un prédateur. Ses victoires l’enivrent. « Nous devons nous rendre maîtres et possesseurs de la nature », poursuit Descartes.

Les Blancs, p. 29.

C’est faux. Descartes n’a jamais dit cela, le prof de philo en moi se révolte et voudrait faire un petit cours. Descartes a exactement écrit ceci et il a voulu dire cela, rien à voir avec le contexte colonial du XVIIe siècle. Or, ce qui compte quand on lit Houria Bouteldja n’est pas ce qu’a voulu dire Descartes mais ce que veut dire Houria Bouteldja. Alors écoutons. Lisons.

Parler des Blancs est difficile en France, car la culture républicaine a décidé d’invisibiliser ce que tout le monde voit. Non pas la couleur de peau, mais la concomitance entre des couleurs et des statuts sociaux. Des phénomènes de privilèges que notre idéologie ne reconnaît pas en installant un paravent appelé « universalisme ». François Bégaudeau explique à sa manière comment les jeunes professeurs blancs étaient missionnés pour aller civiliser les classes populaires dans les quartiers défavorisés:

Pour peu qu’on les aide à atteindre un niveau de vie décent, les Arabes deviendront des Blancs comme les autres. Dans une société parfaite, ils seraient cultivés, politisés, bons élèves, buveurs de Ricard. Ils seraient nous. Ils seraient universels et l’universel c’est nous.

F. Bégaudeau, Deux singes, 2011, p. 224-225.

Bégaudeau non plus ne recule pas devant la notion de blanchité :

Dans cent ans il n’y aura plus de Blancs sur la planète. Découvrant cette drôle de race dans des films, les humains d’alors écarquilleront les yeux comme mes élèves  quand je leur ai fait écouter un florilège de morceaux de rock.

F. Bégaudeau, Deux singes, 231.

Pour l’instant, les Blancs existent toujours et ils gouvernent le monde. Houria Bouteldja parle des Blancs avec un mélange de colère et de tendresse. Elle explique par exemple que la grande puissance des vainqueurs est de se rendre plus blancs que blanc, innocent :

Je vous vois, je vous fréquente, je vous observe. Vous portez tous ce visage de l’innocence. C’est là votre victoire ultime. Avoir réussi à vous innocenter.

Les blancs, p.30

Un livre écrit par fulgurances.

Passages propres à l’essai, le genre littéraire inventé par Michel de Montaigne, au XVIe siècle. Rien n’est plus beau que l’essai. L’auteur tente quelque chose, il bricole, construit un texte avec des bouts d’argumentation, des lambeaux de souvenirs, des sensations, des citations.

Comment comprendre par exemple la déclaration d’un président iranien sur l’absence d’homosexualité en Iran ? Il y aurait deux manières. La première est celle de la belle âme qui donne des leçons d’occidentalisme aux lecteurs français en parlant des femmes perses, comme M. Désérable l’a fait avec profit. La deuxième est de prendre cette phrase absurde comme une performance quasi artistique, un geste d’outrance absurde qui met en crise le régime d’innocence des Blancs :

Elles font mal aux tympans ces paroles. Mais elles sont foudroyantes et d’une mauvaise foi exquise. Pour les apprécier il faut être un peu lanceur de chaussures. Une émotion de minables, il faut avouer.

Les Blancs, p. 33

Si Bouteldja est meilleure écrivaine que Désérable, c’est que le jeune homme n’est en recherche que d’émotions respectables, centristes, adoubées par la vieille presse laïque. On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments de vieux centristes (je dis ça, je fais mon essayiste à la Bouteldja).

Le chapitre sur les juifs est bien entendu inflammable. Elle sait que le sujet sent le soufre alors elle y va, parce qu’elle ne va pas rester toute sa vie muette devant les intimidations qui s’érigent en obligations de se taire. Elle fait l’hypothèse que « les juifs » sont utilisés par « les blancs » pour accomplir plusieurs tâches en Europe et en Orient. Ils forment une communauté tampon entre les seigneurs (blancs) et les parias (africains), et ils sont le bras armé des maîtres pour imposer l’empire en Orient. Bouteldja est impressionnée par le génie du mal des Blancs qui, non contents d’asservir, réussissent à faire d’une communauté colonisée le bourreau d’une autre, avec les armes mêmes de leur idéal colonialiste :

Ils sont forts n’est-ce pas ? Je le concède volontiers, j’admire nos oppresseurs. (…) Ils ont réussi à vous faire troquer votre religion, votre histoire et vos mémoires contre une idéologie coloniale.

Les Juifs, p. 53

L’admiration pour le génie du mal est un classique de l’art du pamphlet.

Et la place du massacre des juifs ? Cet événement historique, selon l’écrivaine, a été transformé par les Blancs, sous la pression de leur culpabilité, en un temple sacré où ils puisent leur sentiment de dignité, et à l’aune duquel ils jugent celle des autres. Ils ont commis le crime antijuif ultime, par quoi ils retirent de la mémoire qu’ils en cultivent une supériorité morale sur les autres, en conséquence de quoi ils accusent les musulmans d’être antisémites, afin d’armer les juifs désireux de brutaliser les arabes. Tour de passe-passe génial.

Lorsqu’ils s’en prennent à la mémoire du génocide,  ils touchent à quelque chose de bien plus sensible que la mémoire des Juifs. Ils s’en prennent au temple du sacré : la bonne conscience blanche. Le lieu à partir duquel l’Occident confisque l’éthique humaine et en fait son monopole  (…) Le foyer de la dignité blanche. Le bunker de l’humanisme abstrait. L’étalon à partir duquel se mesure le niveau de civisation des subalternes.

Les Juifs, p. 67.

J’adore l’expression « bunker de l’humanisme abstrait », qui naturellement renvoie au Descartes volontairement mal compris du début de l’essai.

Le contresens du début (sur le « je » du Discours de la méthode) n’était pas une lecture défectueuse de la philosophie classique, mais une machine de guerre microscopique, moléculaire, employée pour ébranler la grande statue de marbre blanc qu’est la métaphysique : superstructure que les dominants hissent comme idéal universel, dans le but de rendre leur position hégémonique aussi naturel que l’ordre des saisons.

15 commentaires sur “Les Blancs, les Juifs et nous : la belle radicalité d’Houria Bouteldja.

  1. « Pour peu qu’on les aide à atteindre un niveau de vie décent, les Arabes deviendront des Blancs comme les autres. … » Et c’est bien ce qui arrive (et sans « pour peu qu’on les aide », ils s’aident eux-mêmes). Un « Arabe » qui se sort du prolétariat (la situation de celui qui n’a que son travail et en vit mal) quitte son quartier, change d’habitudes, est perdu pour sa « communauté » et devient invisible. C’est même un problème. Pas de modèle de réussite. Ou bien c’est un ex-délinquant devenu réalisateur de cinéma. Non, je ne parle pas d’Abdellatif Kechiche (La vie d’Adèle), exemple d’invisibilité, dont on ne voit même plus le nom, alors que son premier grand rôle au cinéma (Bezness, 1991) était outrageusement typé.

    Pour illustrer l’exemple contraire : Les Chinois de France ont réussi à monter une société complète, avec médecins, avocats, banquiers, entrepreneurs, travailleurs, malfaiteurs, et même immigrés exploités. Ils se marient entre eux et personne ne leur en veut pour ça. Et aucun parmi eux n’aurait l’idée de tirer profit d’un statut de victime, la réprobation des autres serait trop forte. Voir le documentaire d’Arte dimanche 4, où la réalisatrice au nom vietnamien rame pour rendre émouvants les témoignages d’une différenciation pourtant certaine.

    J’avais ouvert Houria Bouteldja il y a longtemps, et j’en avais tiré une impression de fabrication conforme pénible, sur le marché de la culpabilité blanche. Je vais lire sérieusement, puisque quelqu’un dont j’apprécie le jugement lui trouve un bon style.

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    1. Trop aimable, Pierre.
      Oui, le style d’écriture m’a plu, et je ne retrouve pas là cette volonté de culpabiliser les Français, ni cette victimisation stérile des immigrés. En tout cas, ce n’est clairement pas le but poursuivi par l’essayiste.
      Enfin oui, les Chinois de France sont un impensé intéressant, peut-être parce qu’ils sont beaucoup moins nombreux. Voyez ce qu’il en a été en Californie aux XIXe et XXe siècles, les choses ont été brûlantes aussi pour eux.

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    1. Merci pour l’info. Je vais aller voir cela.
      J’en profite pour glisser que nous allons publier sous peu le deuxième volume de Traits chinois/Lignes francophones. Il portera un autre titre, basé sur un colloque qui s’est tenu en 2019, et il sera publié en ligne chez un éditeur anglais.

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  2. « Je vous vois, je vous fréquente, je vous observe. Vous portez tous ce visage de l’innocence. C’est là votre victoire ultime. Avoir réussi à vous innocenter. » Là non plus, je ne suis pas sûr de comprendre. Soit je ne comprends rien, soit il y a dans ces phrases une incroyable naïveté. Qui ne cache pas de crimes sous le visage de l’innocence ? Qui est innocent ? Qui ne fait pas semblant de l’être ?

    Moi, franchement, j’adore les décoloniaux, j’ai vénéré Achille Mbembe, il y a un article de Ramon Grosfoguel qui m’a bouleversé (Les implications des altérités épistémiques dans la redefinition du capitalisme global | Cairn.info https://www.cairn.info/revue-multitudes-2006-3-page-51.htm), mais là je trouve que ce que je crois comprendre dans ce que dit Bouteldja est vraiment trivial. C’est une tautologie. Tous les peuples ont commis des crimes, tous les peuples les cachent, so what? Ou bien tout le monde est gentil sauf les blancs ? Et puis c’est quoi ces réflexions sur l’Iran ? En Iran, quand on torture les gens, c’est pas gênant, c’est « exquis »?

    Ce qui me choque le plus, c’est que ce genre de propos sur les blancs ceci, les blancs cela, ne s’accompagne jamais de la moindre allusion au sort des Africains en Afrique, ou dans les suds, des millions de gens qui sont condamnés, non pas à être « invisibilisés » ou « racisés », bichette, mais à vivre comme des clochards dans des bidonvilles au milieu des tas d’ordures dans la misère, la maladie, la violence… dans des dictatures indigènes de vieillards ploutocrates horribles qui n’ont rien à envier à personne en matière de crimes.

    Ces gens-là se regardent le nombril mais jamais l’Afrique ou le sud. Ça ferait trop de mal à la jouissance qu’ils prennent à dénoncer le blanc.

    Ou alors je ne comprends rien du tout à ce qu’elle raconte, ce qui reste possible, je sais pas si on peut trouver ses textes sur internet, moi j’ai rien trouvé mais à vrai dire j’ai pas non plus trop cherché.

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    1. Je ne dirais pas que tu ne comprends pas, car qui suis-je pour être aussi intempestif ? Non, ce qu’il s’agit de faire ici est de se décentrer intellectuellement et de donner à la notion de Blanc un contenu non biologique, comme lorsqu’on dit « on peut blanchir cette musique », ou « telle communauté est devenue blanche à la faveur de… ». Typiquement, les Italiens, les latinos, les Irlandais immigrés en Amérique ne sont pas automatiquement perçus comme Blancs dans l’usage même qu’en font les gens. Alors tu peux dire que cela ne concerne que le contexte américain, mais en France aussi, les classes populaires parlent de Blancs en terme de groupe social. Par exemple, moi j’avais l’impression que Zidane était blanc mais ceux avec qui je jouais au foot me disaient que non, qu’un mec d’origine algérienne n’est pas classé parmi les Blancs, malgré sa couleur de peau et son phénotype.
      Houria Bouteldja parle et réfléchit depuis cet usage populaire du langage, dans sa confrontation avec le registre soutenu de la langue administrative qui ne reconnaît pas les races, les ignore ou les occulte. Il y a un « masque blanc » qu’il faut porter quand un non-blanc parle ou écrit en public, masque qui doit dire que la seule communauté qui existe est la nationale, quelle que soit son origine ou sa couleur de peau. Cette contradiction interne peut générer des troubles. Le but de Bouteldja est davantage de travailler ce trouble que de dénoncer les Blancs.

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      1. « Vous portez tous ce visage de l’innocence », dans cette phrase je vois 3 choses :

        1″vous… tous », vous tous, les blancs, pourquoi pas, être blanc c’est pas pareil qu’être noir ou arabe ou métis, évidemment, et dans les blancs il y a aussi différentes catégories, tout ça construit socialement, et bien sûr il y a des inégalités, ça donne sans doute des privilèges, je dirais que c’est tellement évident.

        2e chose : blanc, noir, n’importe quel visage est un masque, ça me rappelle Fanon ou Mbembe, absolument. Il est bien entendu qu’il y a un hiatus entre le langage administratif et le vécu subjectif de soi, faudrait-il que l’administration française devienne discriminante pour autant ? je ne sais pas.

        3e chose : innocence/culpabilité. Là je trouve que c’est soit très très naïf, soit très très malsain et sous-entendre que la culpabilité et l’hypocrisie seraient blanches et donc l’innocence et la franchise noires ou n’importe quelle autre couleur à l’exception du blanc, je trouve ça d’une limitation dans la pensée qui confine soit à la bêtise, soit à l’obsession paranoïaque.

        En matière d’inégalités, d’oppression, d’exploitation, de violence de classe, de race, de genre, en matière d’homophobie, de racisme, de phallocratie, de ploutocratie, de gérontocratie, etc… ce qu’on voit « au sud du monde » est tellement massif, désespérant, immobile, qu’à côté de ça, les micro agressions, les assignations de genre, tout ça c’est tellement minuscule, et en particulier la société française tellement touchante dans ses efforts, certes faibles et maladroits, probablement hypocrites, pour évoluer vers plus de tolérance, d’inclusion… Bien sûr qu’il y a un système global dans lequel les sociétés du nord tirent profit des exploitations au sud, est-ce que ça enlève quelque chose à la responsabilité des acteurs de l’oppression à tous les niveaux des sociétés concernées ?

        Je connais pas mal de Congolais qui sont partis vivre en France et qui y vivent les inégalités sociales, le racisme sous-jacent, etc… comme un scandale permanent, insupportable, justifiant toutes les révoltes, l’apologie de Poutine, etc… mais très rarement un regard honnête sur la violence massive de la société congolaise, de ses préjugés, ses inégalités structurelles, qui au contraire sont valorisés comme héritage culturel.

        On ne peut pas supporter l’invisibilisation, le déni, le mépris pour la souffrance réelle de millions de gens des « suds » parce que sa reconnaissance remettrait trop en cause la croyance en l’universalité de la culpabilité blanche. « J’admire nos oppresseurs ». Donc les « oppresseurs » des « indigènes », c’est les blancs. Il n’y a pas d’autre oppression, nous les indigènes on n’est oppressés que par les blancs, quand c’est d’autres indigènes qui nous oppriment, c’est pas vraiment de l’oppression, c’est des petites blagues gentilles, c’est mignon.

        Les femmes brûlées vives dans les camps du Darfour par les milices, la misère dans les quartiers de Lagos ou de Kinshasa, les migrants refoulés dans le désert, la répression du hirak, tout ça, Bouteldja, elle s’en fout, elle, elle vit en France, y a des blancs, ça l’oppresse quand ils la regardent.

        Enfin, je suppose que je ne comprends pas ce qu’elle veut dire.

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      2. Ce que tu dis est bien intéressant mais je crois que vous ne parlez pas de la même chose. Donc il y aurait trop à dire sur chaque point pour faire la clarté.
        Plus généralement, Ben, je dirais que tout s’éclairerait si tu lisais Houria Bouteldja avec la même générosité intellectuelle que Mbembe.

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      3. « Elle vit en France, elle s’en fout… » dis-tu. Mais c’est précisément cela. Son discours est situé, circonscrit dans le temps et l’espace. La parole d’une Française née en Algérie, intellectuelle etc. Elle ne parle pas depuis la défense de tous les subternes. Et certainement pas en défense de ce qui se passe en Afrique.

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      4. Ouais, je vais voir… Tu peux me recommander des textes d’elle en ligne ? Moi je crois que tous ces propos et cette vision du monde s’écrasent contre la réalité indigène, africaine en particulier, mais je veux bien des trucs.

        Des gens comme Fanon, Mongo Beti ou Achille Mbembe étaient capables d’insulter la France mais aussi de regarder la réalité postcoloniale en face dans leurs bouquins. J’ai arrêté de lire Mbembe quand j’ai eu l’impression qu’il n’en était plus capable et qu’il se mettait à fantasmer sur les blancs unilatéralement.

        Il y a ici tout un discours de plus en plus puissant qui oriente la révolte justifiée des jeunesses africaines vers la présence française, les blancs, le néocolonialisme, etc.., alors que les Etats sont bouffés par la corruption, la violence… comme par exemple Kemi Seba, ou Nathalie Yamb.

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      5. À Munich, je te conseille la Bibliothèque nationale de Bavière, on y trouve de tout, dans toutes les langues, même les livres et articles du sage précaire.
        Quand Bouteldja parle des Blancs, ce n’est pas avec le présupposé que les non-blancs seraient parfaits. De même quand on critique la bourgeoisie, la masculinité toxique ou les médias, ce n’est pas dans l’optique que l’harmonie vivrait chez les prolos, les femmes ou les illettrés.
        Ne te force pas à la lire, de toute façon, tu as mieux à faire. Mais si tu le fais, lis-la comme tu lis Marx : tu apprécies la critique d’un système sans acheter nécessairement le système alternatif qui résoudraient les failles du système analysé.

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  3. En fait, ce matin j’ai lu un truc d’elle où elle parle de « souchien » pour « français de souche ». Là, ça me paraît plus précis que « blanc » et je comprends peut-être mieux de quoi elle parle. J’aime bien « indigène » mais « non-blanc » me paraît mauvais.

    Moi c’est son « système » qui me gêne, pas ses solutions éventuelles (« l’amour »?). Il me paraît tronqué et bancal. Je pense que le décolonial doit assumer le postcolonial, sinon il est vide. Pour penser sa position en France, l’immigré doit aussi penser son rapport à l’Afrique, sinon il est faux.

    Si je voulais faire de la mauvaise littérature, je dirais que cette espèce de perversité passive de concierge « je vous vois, je vous fréquente, je vous observe, vous êtes mauvais… », est le produit d’un transfert de ses frustrations, depuis le traumatisme impensable de l’Algérie fuie, vers le rapport conscientisé immigré/de souche dans lequel elle investit toute l’agressivité de sa pulsion. Mais au fond, tout ça, c’est triste, c’est se battre contre soi-même, contre le désir oublié d’une Algérie libre et heureuse.

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  4. Ton article m’a tellement énervé que j’ai été obligé d’acheter son bouquin « les blancs, les juifs et nous… » sur Cairn. Mais c’est vrai que ça fait longtemps que j’avais envie de le lire. Et je crois que j’ai trouvé sa réponse à une partie de mon incompréhension, dans le chapitre « nous les indigènes ». Elle parle d’une division internationale du travail militant :

    « Car avec les sujets coloniaux des métropoles coloniales nous formons ce groupe des damnés de l’intérieur, à la fois victimes et exploiteurs. Il serait malséant de nous confondre avec le grand Sud car il y a objectivement conflit d’intérêts entre eux et nous, ne serait-ce qu’à cause de la redistribution partielle du pillage mais aussi parce que nos vies sont plus protégées, que des armées étrangères ne font pas la loi chez nous et que nous n’avons pas de bombes qui nous tombent sur la tête. Je n’ai pas de leçons à leur donner, mais les peuples du Sud doivent cesser de regarder vers le Nord et privilégier des alliances Sud/Sud. S’il est vrai que les conflits d’intérêts, fractures et divisions (entre États-nations, ethniques, religieux, de genre, de couleur) sont nombreux chez eux, il existe une unité de condition de la majorité des peuples du Sud qui subissent une double violence : celle militaire, politique, économique et culturelle de l’Occident et celle autoritaire et dictatoriale de leurs propres gouvernants. Quant à nous, nous formons une unité historique et sociale dans le Nord. Il ne tient qu’à nous d’en faire une unité politique.

    « Mais, dira-t-on, cette unité brisée, on peut imaginer que le peuple colonisé puisse la reconstituer et intégrer ses nouvelles expériences, donc de nouvelles richesses, dans le cadre d’une nouvelle unité qui ne sera pas l’unité ancienne mais qui sera cependant une unité [12]. »

    Renouer avec Bandung et recréer une espèce de Tricontinentale à l’intérieur de l’Occident ? J’en vois déjà qui ricanent et parlent de cinquième colonne. Laissons-les à leurs sarcasmes et concentrons-nous sur notre horizon. Qui mieux que nous peut devenir force de proposition ? Qui mieux que nous peut contraindre, par le jeu des rapports de force, les Blancs antiracistes et anti-impérialistes à combattre les politiques impérialistes et néolibérales de leur pays, aider à décoloniser leurs organisations et renoncer à dicter la meilleure façon de lutter ? Qui mieux que nous peut créer les conditions de grandes alliances entre les tiers-peuples d’Occident et le prolétariat blanc pour résister à la tiers-mondisation de l’Europe ? L’ensemble de cette démarche pourrait s’apparenter à une division internationale du travail militant : sur le plan national, un internationalisme domestique, et sur le plan international, un internationalisme décolonial pour contenir les effets dévastateurs de la crise du capitalisme qui est aussi une crise de civilisation et participer à la transition vers un modèle plus humain, tout simplement. »

    Qu’ils se démerdent au sud, avec leurs dictatures et leurs divisions, »nous formons une unité historique et sociale dans le nord, il ne tient qu’à nous d’en faire une unité politique ».

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