
Se retrouver dans les montagnes du sud de l’Arabie, à la frontière du Yémen et de l’Arabie Saoudite. Depuis peu de temps, j’avais entendu parler de Bir Hima, site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, connu des scientifiques pour ses inscriptions rupestres et ses gravures anciennes. J’imaginais à tort qu’il suffirait de prendre un bus et d’acheter un ticket d’entrée, comme pour n’importe quel site historique.



Bir Hima n’est pas un simple lieu : c’est une constellation d’inscriptions disséminées à travers le désert, un immense palimpseste de pierres marquées par la main humaine depuis des millénaires. Certaines inscriptions remontent à plus de 9 000 ans, écrites dans des langues aujourd’hui disparues, qui ont cédé leur place à l’arabe. Ce qui frappe, en les observant, ce n’est pas seulement leur ancienneté, mais ce qu’elles disent du passé de ce territoire.

Un désert autrefois fertile
Il y a dix mille ans, cette étendue aride était recouverte de lacs d’eau douce. Des peuples nomades, marchands et voyageurs y faisaient halte, laissant derrière eux ces traces de leur passage. Ces gravures sont des témoignages silencieux d’un monde disparu, où la steppe verte et les points d’eau permettaient la vie et les échanges entre royaumes antiques.

Aujourd’hui, le désert a remplacé les lacs, mais la vie y est toujours présente. Et c’est peut-être là la plus grande surprise de mon voyage : la découverte d’un désert habité, beaucoup plus densément que je ne l’aurais imaginé. Je n’ai jamais vu autant de dromadaires paître en liberté.

La protection invisible de Bir Hima
Curieusement, les autorités locales n’ont mis en place aucune infrastructure touristique pour encadrer la visite du site. Pas de routes balisées, pas de panneaux indicateurs. C’est une forme de protection singulière, presque bédouine dans son approche : ce qui est difficile d’accès est préservé. Si j’avais loué une voiture et tenté d’explorer seul, je n’aurais jamais trouvé ces dessins gravés cachés parmi les roches.

C’est grâce à un Bédouin rencontré au hasard de mes recherches que j’ai pu me rendre à Bir Hima. Il m’a guidé à travers les vastes plaines caillouteuses, accompagné de dromadaires paisibles, presque romantiques dans leur allure nonchalante. Avec lui, j’ai découvert non seulement les inscriptions rupestres, mais aussi la manière dont les communautés locales continuent de vivre dans cet environnement rude, loin des centres urbains.
Un désert qui vit
Contrairement à l’image d’un désert vide et hostile, celui-ci est animé d’une présence humaine forte. Des familles bédouines y résident toujours, perpétuant des traditions millénaires tout en s’adaptant au monde moderne. Loin d’être abandonnées, ces communautés sont soutenues par des initiatives locales et nationales : des écoles ont été construites, des transports scolaires organisés, et certains anciens puits creusés à l’époque des royaumes antiques continuent de fournir de l’eau aux habitants.

Chaque jour, ces familles parcourent plusieurs kilomètres pour s’approvisionner en eau, réactivant involontairement les itinéraires de leurs ancêtres. Cette continuité entre passé et présent, entre vestiges antiques et vie contemporaine, donne à Bir Hima une profondeur singulière. Ce n’est pas seulement un site archéologique : c’est un espace où le temps dialogue avec lui-même, où les voix du passé s’entrelacent avec celles des habitants d’aujourd’hui.
