
Souvenons-nous : à la fin du XIXᵉ siècle, la France s’est lancée dans un projet fou : construire des écoles en pierre dans chaque village, former des armées d’instituteurs, et apprendre le français à des millions d’enfants qui parlaient d’autres idiomes.
Les gamins du Cantal, du Finistère ou des Cévennes parlaient patois, occitan, breton ou basque, et les “hussards noirs de la République” débarquaient, craie en main, pour leur expliquer que désormais “le mot maison prend un ‘n’ et la France est un pays dont on peut dire qu’elle est une « république une et indivisible. »
C’était beau, héroïque, mais un peu brutal.
Un succès éducatif colossal, certes, mais aussi une opération linguistique d’une rare violence symbolique : on a construit la nation au prix d’un grand silence.
150 ans plus tard
La situation a changé, les habitudes et les pratiques culturelles ont évolué au point que la France de 2025 serait incompréhensible au Français de 1885. Et pourtant, avec l’immigration et le droit à tout enfant d’intégrer l’école publique, la situation linguistique des années 2020-2030 est analogue à celle de nos écoles des années 1870-1880.
Dans les médias, on apprend que la diversité linguistique est de retour, et cela inquiète les réactionnaires alors qu’aux yeux du Sage Précaire, cette diversité a tout pour être joyeuse, sonore et prometteuse. Ce n’est plus la France des “petites patries”, mais celle des grandes origines.
Et, comme en 1880, une question se pose : comment faire nation quand tout le monde ne parle pas la même langue ?
L’erreur à ne pas reproduire
En 1880, on avait la solution simple : on interdit les patois, et on punit ceux qui s’obstine à le pratiquer. Aujourd’hui, on sait que ce n’est pas la bonne méthode. On a déjà testé l’humiliation linguistique : le fameux “symbole”, ce morceau de bois qu’on pendait au cou des enfants surpris à parler breton ou occitan. Résultat : des générations entières ont appris le français, mais ont cessé de parler à leurs grands-parents.
Nous n’avons pas besoin de “symbole” 2.0 pour les enfants qui rentrent à la maison en mélangeant le français et l’arabe. Nous avons besoin de beaucoup d’activités sympathiques et créatives où le français est le véhicule de la camaraderie, du plaisir, de l’apprentissage inconscient. Mais pour cela il faut un grand respect pour les langues maternelles des élèves. Si, comme Robert Ménard, maire de Bézier, on se borne à déplorer qu’il y a trop d’arabes dans les classes, on en restera à l’abandon actuel des classes populaires pour privilégier en douce ceux qui paient des frais d’inscription élevés.
L’école républicaine, saison 2
Ce qu’il nous faut, c’est un nouvel investissement éducatif, du niveau de celui de la Troisième République, mais pour une école adaptée aux familles des quartiers populaires, qui accueille des enfants aux niveaux linguistiques très disparates. C’est pourquoi il faut beaucoup recruter et reconstruire, donner un encadrement constant à tous ces gamins dont beaucoup manquent de suivi et d’affection à la maison.
Plutôt que de « former les enseignants au FLE et au français langue seconde », et de leur alourdir toujours plus la tâche, il faut former une nouvelle génération d’enseignants qui sachent intégrer le FLE dans les cours de sciences. Abaisser le nombre d’heures assis en classe, réduire les programmes qui sont oubliés dès les examens passés et créer de vraies filières de formation qui assurent un niveau proprement élémentaire.
Linguistiquement, ces nouveaux enseignants sauront reconnaître la richesse linguistique comme une ressource, pas comme un obstacle. Et surtout, ils sauront faire entrer à l’école, tranquillement, l’arabe (et les autres grandes langues du pays) dans le cercle des langues nobles, au même titre que l’espagnol, l’italien ou l’allemand.
Le dernier lycée où j’ai enseigné, en 2023, avait une professeure d’allemand avec très peu d’élèves, et aucun prof d’arabe. Quel dommage de ne pas profiter des richesses disponibles. Parfois il n’y a qu’à ouvrir les yeux et se baisser pour cueillir les talents, les forces vives et les intelligences. Un cours d’arabe bien fait pourrait précisément aider à mieux pratiquer le français, grâce notamment à la grammaire comparées des deux langues.
L’unité par la diversité
Le français doit évidemment rester la langue commune. Mais il peut cohabiter avec d’autres sans perdre de sa force. La vraie maturité nationale, ce n’est pas de se crisper sur une langue, c’est de ne plus avoir peur des autres.
En 1880, on a fait des francophones en leur faisant honte de leur langue d’origine.
En 2025, on pourrait refaire des Français patriotes en leur apprenant à viser l’excellence dans plusieurs.
Quelques instituteurs l’ont fait pour l’alsacien, le breton et le corse, et ce temps ne fut point perdu.
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